Mar Ortega

• 22 novembre 1993 : La Colombie, pays des trafiquants, des stupéfiants, de la contrebande et de la corruption en tout genre. Sincelejo, petite ville au nord du pays, ne fait guère exception au commerce ambiant, si ce n’est que la branche locale fait davantage dans l’équipement. Les armes pour être plus précise. J’ai toujours été impressionnée par cette capacité et cette volonté qu’ont les hommes de faire valoir leurs droits et revendications par la force, par ce besoin de s’imposer aux autres par la violence. Je le comprends néanmoins, il n’y a parfois que comme cela que l’on peut être entendu. Et sans cela, ma famille n’aurait pas fait fortune et n’aurait pas été aussi enracinée et influente dans tous le pays…
On dit qu’on ne choisit pas sa famille, et il n’y a malheureusement rien de plus vrai. J’y suis née, mais n’y suis pas restée assez longtemps pour en faire vraiment partie, et c’est tant mieux.

• 1997 : J’aimerais pouvoir dire que mes souvenirs remontent à aussi loin, mais ce n’est pas le cas. Je me souviens de son visage, mais peut-être uniquement grâce aux photos que ma mère emmenait partout. Il est mort quand j’avais 4 ans, et si ma mère a toujours refusé de me dire ce qui était arrivé exactement, je n’en ai pas vraiment eu besoin. Mon père était un Ortega, et il était un digne représentant du commerce familial, nul besoin de chercher plus loin.
Ma mère a déménagé, elle a tout quitté, elle a accepté un poste d’intendante dans une riche famille, à Bogota. Pour moi. Tout ce que j’ai construit, tout ce que j’ai accompli, c’est à elle que je le dois.
À elle et aux Pérez il est vrai. Si ma mère a travaillé d’arrache-pied et fait nombre de sacrifices, sans eux, je n’aurais sans doute pas pu obtenir à tout cela. Ou du moins, je n’aurais pas eu autant de facilités, je n’aurais pas pu accéder à des études aussi coûteuses.

• 2006 : Je termine le premier cycle avec un peu d’avance, et avec des félicitations. Si ma mère s’inquiète un peu de ne pas trop me connaître d’amis, ça ne revêt pas une réelle importance à mes yeux. J’ai beaucoup trop de choses à découvrir, je m’intéresse à des sujets que ceux de mon âge regardent d’un air effaré. Bon, ce qui l’inquiète peut-être davantage en vérité sont les quelques fois où elle a été appelée à l’établissement suite à mon comportement. Être une élève prodige ne donne visiblement pas vraiment de traitement de faveur quand on s’en prend à un autre élève, quand bien même l’eut-il cherché. Et quand elle me dit que je ressemble à mon père, ses paroles prennent alors une tout autre signification. Une signification que je refuse. Ne voulant pas la décevoir davantage, je la convaincs, sans trop de mal, de me laisser m’inscrire à des cours d’arts martiaux. J’en essaie beaucoup, je me défoule dans beaucoup. Le Taekwondo, le Ju-jitsu, le Karaté ou même la Capoeira y passent, sans que je ne m’attache vraiment à l’un en particulier. A force d’entraînement, de trop plein d’énergie et d’un peu trop d’exaltation, je finis par me débrouiller… Et je parviens à canaliser comme je peux cette agressivité latente.
Ce qui ne m’empêche pas d’entamer des études supérieures, de continuer d’apprendre et d’avancer. Ce n’est que le début alors que je me suis découvert une fascination pour l’astronomie et l’étude des objets de l’univers. L’astrophysique s’impose à moi et je me lance à corps perdu dans l’étude de l’univers.

• Janvier 2015 : A l’âge où les autres étudient, sortent et s’amusent, je suis déjà en poste dans un grand laboratoire de recherches. J’adore mon travail et les découvertes qui en découlent. Étudier les étoiles, les compositions et formations des galaxies, les facteurs de créations de vie, créer de nouvelles simulations et trouver de nouvelles possibilités, il y a tant à faire et à découvrir que chaque jour offre de nouvelles perspectives.
Des rumeurs ont commencé à circuler, des murmures concernant la création d’une mission hors norme, une mission dans l’espace, une énorme station spatiale d’études des corps célestes ou quelque chose dans ce goût-là. J’ai essayé de chercher un peu, de creuser pour savoir de quoi il s’agissait exactement. Qui ne l’aurait pas fait ? C’est toute ma vie ! Mais je n’ai pas trop eu à le faire, ils sont venus à moi. Et ils m’ont proposé le boulot de rêves. Directrice de la Physique, dans une mission mondiale, aux confins de l’univers. A 22 ans. Évidemment que j’ai accepté. Même si effectivement le départ n’était pas pour tout de suite, je n’ai au que plus de temps pour continuer de m’améliorer et optimiser mes connaissances. Et encore mieux, j’ai eu mon mot à dire pour chaque recrutement de ma section.

• 2018 : L’entraînement. Il s’agit plus de perfectionnement dans son domaine de prédilection, encore, et de l’apprentissage de certaines compétences essentielles pour la vie, et la survie, sur un vaisseau spatial. Un méli-mélo de cours de premiers secours, de trucs militaires, de maniement d’armes, super, je retrouve un lien avec ma famille, de combat, ce qui est plutôt cool, et d’entraînement en apesanteur. Ça, c’était amusant. Même si un an, c’est long. J’ai dû quitter mon travail pour cela, mais c’était prévu, et puis, j’avais beau l’aimer, ça ne faisait carrément pas le poids. Je passe mon peu de temps libre à amasser les données nécessaires qui pourraient encore manquer, à cumuler les éléments et documents d’études qui pourraient être utiles et nécessaires.
Pendant ce temps, la station se monte, et je récupère comme je peux des informations à ce sujet, sur son fonctionnement et autre, par pure curiosité. Et puis, après tout, on est jamais trop prudent…

• Décembre 2018 : Je ne pensais pas que ce serait aussi dur. Se dire que je ne pourrais la revoir, lui parler, que dans 20 ans n’a pas franchement aidé, surtout de son côté. Savoir que je ne la laissais pas seule et que les Pérez continueraient de veiller sur ma mère, ils me l’avaient assuré, était une maigre consolation. Des adieux en demi-teintes, colorés d’espoir, de convictions et de promesses, qui me laissèrent un goût amer dans la bouche. Tant de choses pouvaient arriver en 20 ans… Pourtant ni elle, ni eux, n’auraient songé à me faire changer d’avis, et cela aurait été peine perdue de toute manière. J’avais longuement réfléchi avant d’accepter, aux conséquences, au fait que je ne la reverrai jamais pour de bon. Mais c’était l’œuvre d’une vie, un projet monumental, ouvrant tant d’espérances que ça m’en donnait le tournis. Jamais je n’aurais pu refuser ou changer d’avis.