Atterrissage catastrophe

Il a mal à la tête. Aux épaules. Absolument partout. Cieran pense presque à une gueule de bois monumentale, ou au premier réveil après une longue grippe. La dernière fois, il a été cloué au lit presque une semaine, avec cette même sensation de courbatures et de nausée. La dernière fois... c'était quand, la dernière fois ? Il a du mal à assembler ses pensées, et le message préenregistré démarre. Il s'efforce de respirer, lentement, pour ne pas laisser place à la panique qui menace d'exploser à chaque nouvelle information. Chaque chose en son temps. Organiser ses pensées, sortir de là, parler à des gens. Trois étapes, pas une de plus : cela semble assez simple, non ?

Le mode automatique dans son cerveau prend le relais et Cieran se redresse, roulant les épaules et clignant des yeux face à la lumière agressive. En réalité, elle ne doit pas l'être tant que ça mais réellement, il se sent trop mal pour réfléchir à ce point particulier. Première étape : s'organiser. D'accord. Sa main cherche inconsciemment le chapelet de son grand-père, qui ne quitte jamais son cou mais est absent, aujourd'hui. Dans ses bagages, il s'en rappelle. Alors... neuf siècles se sont écoulés. 900 ans. Plus rien n'existe sur Terre, puisqu'il n'y a même plus de Terre. Ils sont quelque part dans l'espace, le Voyager est endommagé par quelque chose d'inconnu qui est confiné à une partie de ce même Voyager. Bon. La situation pourrait être pire, non ? Peut-être ?

Cieran attend quelques secondes, mais rien ne se passe. Tout est silencieux, à peine troublé par le ronronnement des machines et le tambour qui bat la cadence dans son crâne et encore, il soupçonne ce dernier de ne pas réellement exister. Organiser, c'est fait. Il analysera tout ça plus tard, quand il se sentira mieux et ne sera pas à deux doigts d'une crise de panique. Fermant les yeux, il adresse une courte prière destinée à apaiser l'âme des défunts, et à les aider à trouver le repos. Dieu a des projets pour chacun et si Cieran est incapable de les comprendre pour le moment, il ne peut que s'en remettre à la sagesse divine et voir ce que la suite lui apportera. Deuxième étape du plan : sortir de là. Ce qui risque d'être assez compliqué : ses jambes sont en coton, il a toujours envie de vomir et l'impression d'avoir trop forcé sur sa dernière séance de sport. Et le mal de tête, n'oublions pas le mal de tête. C'est d'ailleurs sans doute à cause de ce dernier qu'il n'a pas repéré la jeune femme du caisson à côté du sien jusque là. Il ignore son nom, mais l'écusson sur sa combinaison indique qu'elle est américaine. Parfait. Elle devrait le comprendre, malgré son accent irlandais quelque peu prononcé.

"Je crois que je vais être malade." Les mots sortent de sa bouche avant même qu'il n'ait eu le temps d'y réfléchir. PIRE. PHRASE D'ACCROCHE. DU MONDE. De l'Univers tout entier, même. C'est peut-être un record, comme pire phrase de première rencontre avec un être humain après neuf siècles de sommeil.

Cette sensation de froid intense qui transperçait les os n'était pas la chose la plus agréable du monde. Cependant, Kat sentait sa tête tourner. Il était donc utopique de vouloir se lever maintenant. La seule chose qu'elle pouvait faire pour le moment, était de se concentrer sur son ouïe afin de mieux appréhender son environnement. Pourquoi ne pas jeter un coups d’œil rapide aux alentours ? Simplement parce que la luminosité ambiante était trop forte et cela même si la jeune femme gardait ses yeux fermés. Tout ce qu'elle pouvait entendre pour le moment, c'était la machinerie du bord avant de percevoir, d'entendre une voix humaine. Un enregistrement ? En tout cas c'était le sentiment que cela lui faisait. Toujours allongée sur sa table de réveil, l'ancienne Marins se concentra sur le sens du message. Cela faisait environ 900 ans qu'il était en sommeil, la Terre avait était détruite. Quelque chose se brisa en elle, son cœur se mit à saigner, mais part habitude la jeune femme contint ses émotions et tenta de libérer son esprit de tout cela pour continuer à prendre tous les renseignements utiles à sa mission. La voix automatique continua en disant qu'il y avait un problème avec le vaisseau qui avait heurté quelque chose et qu'apparemment une forme de vie alien avait envahit une partie de ce dernier, mais ce menus problème avait été confiné. Pour l'instant, tout semblait plus ou moins sous contrôle, mais ce n'était pas anodin que de faire sortir de stase un militaire et il était plus que probable qu'elle ne soit pas la seule dans ce cas. Comme disait le sergent Powel, "la sécurité avant tout les bleus bites".

D'après ce qu'elle pouvait entendre, elle n'était effectivement pas la seule à être réveillée en ce moment. La personne à ses côtés bougeait beaucoup, il devait souffrir du mal de la cryo comme quasiment tout le monde, mais il semblait ne pas savoir comment faire pour tenter d'en minimiser les effets. Chacun avait le droit à des symptômes différents et variés qu'ils n'étaient pas évident de contrer. A chacun sa réaction face à cette difficulté et le message automatique ne devait pas aider les plus désorientées des personnes réveillées. Après de longues minutes de repos, Kat commença à se lever légèrement pour prendre appuis sur ses coudes et ouvrit doucement ses yeux qui s'étaient légèrement habitués à la luminosité ambiante à travers les paupières. Un petit coup d’œil circulaire et elle put découvrir son environnement. Une salle comme tant d'autres où les caissons de stase étaient rangés. Sur sa droite, un homme gesticulait de manière désordonnée. Elle l'observa un instant afin de se faire une idée sur ce futur collègue de travail. Un écusson irlandais était floqué sur sa tenue. Au moins ils pourraient communiquer entre eux sans se prendre la barrière de la langue dans les dents. L'homme finit par la remarquer tandis qu'elle se mettait tranquillement en position assise sur le bord de la table de réveille. Il lui adressa la parole pour lui sortir une phrase d'accroche étrange. Kat arqua un sourcil avant d'afficher un large sourire et répondre sur un ton léger.

- Yekaterina Blokhine: Désolé ! Mais je ne suis pas infirmière. Par contre, si tu veux un coup de pied au cul, fait moi signe, ça je sais faire.

Puis, elle laissa échapper un léger rire qui se réverbéra dans toute la pièce et lui rappela à quel point tout était calme. Le sérieux de la situation venait de la reprendre et son sourire s'effaça pour laisser place à la détermination dont elle avait toujours fait preuve dans sa vie.

- Yekaterina Blokhine: Tu es militaire ? Moi oui, je suis une ancienne du corps des Marins des USA. Apparemment, il y a quelques problèmes de sécurité à bord.

Il a seulement enlevé son casque, mais la combinaison de survie ne le dérange pas : au cours des entraînements, il l'a suffisamment porté pour qu'elle ne soit qu'un désagrément mineur.  Tant bien que mal, Cieran s'agite jusqu'à trouver une position plus confortable, qui lui permet de faire travailler ses muscles sans trop se fatiguer : en toute honnêteté, il n'a pas assez confiance en ses capacités pour tenter de se lever maintenant.

Certes, sa première phrase était bien nulle, il le reconnaît lui-même, mais quand la jeune femme prend la parole, Cieran ne peut s'empêcher de la dévisager d'un air interrogateur. Que... quoi ? L'irlandais lève les yeux au ciel : et réellement, les américains se demandent pourquoi ils sont considérés comme des crétins sans éducation ? Franchement, ce n'est même pas drôle, et le rire léger de la jeune femme ne parvient pas à le dérider. Réellement, ce n'est pas marrant, ou alors son mal de crâne l'empêche de saisir le côté amusant de ses paroles. "Ca va aller, merci." Maugrée-t-il même en sachant pertinemment qu'elle n'attendait pas de réponse de sa part. La jeune femme enchaîne avec une question avant de se présenter, et Cieran se relève un peu plus, réflexe inconscient dû à des années de conditionnement militaire. "Cieran O'Reilly, de l' Aer Chór..." Les vieilles habitudes ont la vie dure, il le sait, et il passe une main gênée dans ses cheveux avant de traduire. "Corps aérien irlandais. Je suis pilote." Explique-t-il, avant de passer le doigt sur le drapeau irlandais scratché à sa combinaison. Si ce que dit l'enregistrement est vrai, cela n'a plus réellement de sens. La Terre n'existe plus. L'Irlande n'existe plus. Cieran a l'impression qu'un gouffre immense s'ouvre sous ses pieds à cette pensée mais il parvient à cacher quelque peu son trouble. Le Voyager est désormais le seul représentant de la Terre... non, c'est trop gros à appréhender. "Et quelques problèmes de sécurité, c'est un euphémisme si on en croit l'enregistrement."

Ils sont dans l'espace. Depuis 900 ans. La Terre a disparu, la plupart des gens ne sont pas réveillé, Voyager doit être dans un état pitoyable et c'est sans compter cette histoire de collision. Les quelques problèmes sont plutôt une montagne de problèmes, en vérité. Une montagne sur laquelle Dieu ne fait que rajouter quelques rochers. Cieran est croyant, il a toujours puisé sa force dans cette croyance mais à l'idée que la Terre puisse avoir disparu, il se sent démuni. Tentant de se concentrer sur la conversation et non sur la panique qui menace, à chaque seconde, de déborder, il se masse le crâne avant de reprendre. "Quelque chose a du sérieusement dysfonctionner." suppose-t-il, pensif. "Et ça risque d'empirer." A sa connaissance, le Voyager n'est pas conçu pour durer aussi longtemps... et en toute honnêteté, il n'aurait pas pensé que les caissons de cryosommeil tiendraient jusque là.. "Tu faisais quoi, dans les Marines ?" Demande Cieran, plus pour penser à autre chose que par réel intérêt. Quoique. Il a toujours été curieux de toute manière . "Pas infirmière, si j'ai bien compris." La pique n'a rien de méchante, mais il tient à le souligner. La blague n'était définitivement pas drôle.

Même si Kat ne le releva pas, son interlocuteur semblait complètement à la masse. Son regard interrogateur en premier lieu avant de finir au ciel montra bien qu'il ne goûtait peu à l'humour dont tentait de faire preuve l'ancienne Marins. Il se présenta à son tour, un pilote irlandais qui semblait encore avoir du mal à intégrer que la Terre n'était plus. Certes, Kat comprenait cela parfaitement, car elle-même avait encore un peu de mal avec cette nouvelle, mais son entraînement lui avait enseigné à s'adapter rapidement à la situation. Alors, elle faisait ce qu'elle avait appris en mettant de côté ses sentiments pour laisser son esprit analytique agir. Part certain côté, on pouvait considérer cette réaction comme étant particulièrement inhumaine, voir même trop proche du pragmatisme absolu d'une IA sans émotion. L'homme de son côté cherchait à cacher de son mieux ses propres émotions, mais un œil exercé pouvait saisir le chamboulement interne de cet irlandais perdu au milieu de nul part avec des problèmes pouvant mener à l'extinction définitive de la race humaine.

Le pilote O'Reilly donna son avis sur la situation. Une analyse à chaud qui n'était pas très optimiste. Kat n'était pas du genre à imaginer des choses, mais plutôt du genre à s'appuyer sur des éléments factuels. L' enregistrement dont faisait mention Cieran n'était pas alarmiste, mais laissait sous-entendre que c'était tout de même la cata. Son interlocuteur alla de sa petite prédiction en parlant du fait que les choses allaient probablement empirer et c'était certainement pour cela qu'ils avaient été sortis de leur sommeil. D'ailleurs, la jeune femme se permit de lui répondre sur ce point bien précis.

- Yekaterina Blokhine: Peut être, et c'est probablement pour cela que l'on nous a sorti du caisson. Tu ne crois pas ?

L'homme semblait encore tout chose après 900 ans de sommeil. De son côté, l'ancienne Marins allait doucement pour éviter un malaise. Assise sur le bord de la table de réveille, elle balançait ses jambes afin de leur redonner des sensations. Après quelques minutes, elle compris qu'elle allait devoir attendre encore un peu pour que tous ses muscles soient totalement réveillés et puissent s'activer correctement. L'homme l'interrogea sur ce qu'elle faisait sur Terre quand elle était encore Marins. Il en profita pour montrer qu'il avait bien comprit qu'elle n'était pas infirmière et probablement qu'il n'avait pas apprécié l'humour. Une pique en passant qui ne faisait ni chaud, ni froid à la jeune femme brune. Elle le regarda avec un léger sourire.

- Yekaterina Blokhine: Je faisais parti d'un commando et j'occupais la fonction de tireur d'élite. Et toi ? Tu étais pilote de quoi ? Chasseur ? Gros porteur ? D'hélicoptère ?

C'était pour le moment un jeu de questions/réponses qui permettait de faire passer le temps en attendant de pouvoir vraiment se lever. Kat commença à sentir des fourmillement dans les jambes qu'elle commença à masser afin de faire passer cette désagréable sensation. Bientôt, elle pourrait se tenir debout sans risque de voir ses jambes flancher sous l'effort.

C'est vrai qu'il n'est pas très optimiste pour le moment Cieran, abattu par l'idée bien trop énorme que la Terre a disparu. C'est juste... incompréhensible ? Son cerveau refuse tout simplement d'appréhender la situation, et encore moins d'y trouver une notion positive. Rien, dans tout ça, ne semble laisser présager d'un avenir meilleur, et certainement pas ce message. La question de la jeune femme résonne dans la pièce, et Cieran hoche doucement la tête. "Si tant est que ce n'est pas un dysfonctionnement." C'est déprimant comme idée, il en a pleinement conscience, mais si c'est voulu, alors pourquoi rien ne se passe comme la procédure l'exige ? "Je veux dire, on est tout seuls, aucun médecin en vue. On est visiblement les seuls à se réveiller ici alors qu'il devrait y avoir d'autres caissons ouverts. Ou disons, un peu plus." Il ne voit pas grand chose de là où il est assis, mais assez pour certifier qu'à proximité d'eux, les autres caissons sont bel et bien clos, avec leur occupant à l'intérieur.

Histoire d'orienter la conversation vers un sujet moins déprimant, Cieran joue les curieux auprès de la jeune femme éveillée en même temps que lui. Il ne connaît des Marines que ce que les films à la télé indiquent, et ce n'est probablement pas une source très fiable. Surtout que là-dedans, on décrit plus des cowboys avec des kilos de muscles que des jeunes femmes comme celle qui lui fait face. L'américaine ne se fait pas prier, lui révélant qu'elle était tireuse d'élite au sein d'un commando. Pas mal, vraiment. Sans vouloir paraître offensant, Cieran observe la jeune femme avec curiosité. Comme on le dit souvent, les apparences sont trompeuses. Secouant doucement la tête pour s'éclaircir les idées, le jeune homme explique. "Ni les uns, ni les autres. J'ai volé sur des chasseurs en formation et pour des perfectionnements, mais mon appareil principal est plutôt un avion tactique. Biturbopropulseur, plus gros qu'un chasseur, permettant..." Il marque un temps d'arrêt Cieran, avant de rougir et de se passer la main dans les cheveux. "Et je vais m'arrêter là, parce que tu n'as probablement pas envie d'un cours et que j'ai tendance à être légèrement bavard quand le sujet me passionne." Il a presque grandi sur le terrain d'aviation de son grand-père après tout, il est pilote et son loisir consiste à monter des maquettes d'avion, à en bidouiller l'électronique et à les faire voler. Évidemment qu'il est passionné ! Ce qui, il le sait, à parfois tendance à soûler ses interlocuteurs, surtout quand ils n'y connaissent rien aux avions. Il ne peut s'empêcher de songer que désormais, la voltige au-dessus de l'aérodrome, le survol des falaises de Moher ou les flots déchaînés qui s'étendent à perte de vue sous le ventre de son appareil ne sont plus qu'un lointain souvenir.

Il n'y a plus de falaises, plus d'océan, plus de Terre.  A nouveau, la panique menace de déborder et Cieran se force à avaler sa salive avant de demander. "La procédure indique de rester sur place et d'attendre quelqu'un, mais il me paraît utopique de croire que tout va se dérouler selon le manuel." Parce que franchement, rien ne se déroule comme attendu jusque là. On les a sélectionné en partie aussi pour leurs compétences d'adaptation et de prise d'initiative, alors l'irlandais étire à nouveau ses jambes,sans pouvoir retenir une grimace de douleur. Il se sent courbaturé comme après un long sommeil sur un matelas peu confortable et si le mal de tête qui ravage son crâne disparaît peu à peu, il n'est clairement pas au mieux de sa forme. "On ferait mieux de trouver l'infirmerie nous-même je pense." Et trouver quelqu'un d'autre, parce qu'ils ne peuvent pas être les seuls éveillés. Hors de question !

Alors que le type commençait à lui parler de sa profession terrienne, Kat' continua d'échauffer ses jambes dans l'optique de pouvoir marcher d'ici peu de temps. Cela la démangeait et ce n'était pas le genre de femme à rester le cul sur une chaise pendant des heures, l'ancienne Marins était une femme d'action pure et dure. Donc, il fallait trouver le moyen de réactiver son corps sans prendre le risque de se retrouver par terre parce qu'elle s'était précipitée pour se lever. Même si elle regardait son interlocuteur, la jeune femme l'écoutait d'une oreille distraite. Non pas qu'elle n'en avait rien à faire, mais plutôt parce qu'elle tentait de réfléchir à divers solutions et surtout afin de se préparer à ce qui pourrait advenir. Le point fort de Kat' était sa capacité à garder un sang-froid incroyable dans quasiment toutes les situation, mais cela passait aussi par le fait de se préparer mentalement. Quand il coupa net ses explications, l'irlandais tira l'américaine de ses réflexions. D'ailleurs, la militaire acquiesça de la tête.

- Yekaterina Blokhine: Tu as raison, ce n'est pas un sujet que je maîtrise.

Se contenta-t-elle de répondre au jeune homme pour confirmer que ce n'était pas intéressant de son point de vu. C'était une jeune femme plutôt franche et faisant preuve de peu de diplomatie même si elle tentait de remédier à ces petits travers. Le stress était assez palpable chez l'irlandais qui cherchait à combler les silences autant que possible. De son côté, Kat' aurait aimé pouvoir scruter avec plus de facilité son environnement auditif. Cela aurait peut-être permis de se rendre compte de certaines choses avant de les découvrir. Ceci dit, les deux avait le même genre d'idée en tête, c'est-à-dire se lever afin de partir à la recherche de quelqu'un qui pourrait les informer sur ce qui se passait plus exactement. D'ailleurs, KAt' se hasarda à se mettre debout afin de tester son équilibre. Bien qu'encore assez hésitante, elle parvenait à se tenir sur ses deux jambes. La tête lui tournait un peu comme une sensation de vertige, mais rien de bien méchant dans l'absolu. Quelques pas traînant afin de retrouver ses sensations et l'ancienne Marins se tourna pour faire face à Cieran.

- Yekaterina Blokhine: Je suis prête à y aller. Et toi ?

Elle l'observa un instant avant de marcher encore un peu. Cela faisait un bien fou de se dégourdir les jambes même si elle n'était pas encore à l'abris de les voir céder sous l'effort. D'ailleurs, par sécurité, elle marchait en longeant du mobilier afin de pouvoir s'y retenir en cas de chute.

- Yekaterina Blokhine: Est-ce que tu te souviens des plans de cette partie du vaisseau ? Car en ce qui me concerne, c'est un peu flou.

Malgré son habitude de toujours chercher à mémoriser les lieux où elle se trouvait, Kat' avait bien du mal à s'y retrouver pour le moment. Elle se demandait même si on ne les avait pas déplacé pendant leur sommeil dans des pièces autres que celles où ils avaient été mis en caisson cryo. La jeune femme faisait de gros efforts de concentration pour tenter de visualiser les bribes de plans qu'elle avait vu pendant sa formation, mais pour le moment cela n'était pas concluant. Le seul point positif à cet instant précis, s'était qu'elle arrivait à marcher à peu près correctement.

- Yekaterina Blokhine: On y va ou tu as encore besoin de temps pour te réveiller ?

Cieran a la vague impression que Yekaterina l'écoute parler uniquement par politesse et encore, l'écoute parler, c'est assez complaisant comme tournure de phrase. Plutôt, il lui semble qu'elle ne l'écoute même pas, trop occupée à enfouir ses sentiments et à se montrer la plus froide possible. C'est un tantinet vexant en réalité et quand la jeune femme lui répond, Cieran réprime à grand peine une réponse pas très polie. C'est vrai qu'il parle beaucoup quand il est nerveux, ou pour distraire ses pensées et en toute honnêteté, s'il s'arrête de parler, il sait bien qu'il va paniquer. Et il ne doit pas paniquer, ce serait simplement de l'inconscience : il a besoin de toute sa tête, et surtout, de la garder froide. Réfléchir. Agir. "Dún do chlab mór, Cieran."* Souffle-t-il sans prendre la peine de traduire pour l'américaine. Entendre sa langue natale, même s'il s'agit de sa propre voix, a pourtant une efficacité toute modérée. L'idée qu'il est, peut-être, l'un des dernier à parler cette langue dans l'espace tout entier a de quoi donner le tournis à n'importe qui.

Il s'oblige à répondre à la jeune femme, pourtant. "Tá mé ceart go leor "*. Il reprend d'ailleurs aussitôt, l'air penaud. "Je veux dire, je vais bien. On peut y aller." Prudemment, Cieran se laisse glisser sur le sol, quittant son caisson. Celui ci se replie aussitôt pour être détruit et recyclé, n'étant plus d'aucune utilité. Sur Voyager, désormais, chaque morceau de métal compte de toute manière. Faisant quelques pas, l'irlandais ne peut s'empêcher de grimacer : les courbatures sont présentes, comme souvent après un trop long sommeil et pas assez de sport. Laissant son casque sur place, il réfléchit un instant à la question de l'américaine. Il a étudié les plans de la station, comme tout le monde, mais il a vraisemblablement meilleure mémoire que Yekaterina. Hochant la tête, il acquiesce. "Je devrais être capable de trouver l'infirmerie, oui. Elle ne doit pas être trop éloignée." Parce que s'il a mémorisé les plans  des salles les plus importantes, il ne se rappelle pas forcément de l'échelle.

"Laisse-moi quelques secondes." Demande l'irlandais, faisant quelques pas. Il se débarrasserait bien de sa combinaison comme il s'est débarrassé de son casque, mais il doute que cela soit une très bonne idée. Il attend un moment Cieran, histoire d'être certain de ne pas s'écrouler à terre. Cela ne le dérange pas de s'effondrer dans les bras de l'américaine, honnêtement, mais il se demande si elle serait du genre à le rattraper. Elle semble froide et fermée, comme si rien ne pouvait la toucher, à moins que ce ne soit sa façon de gérer le choc de la révélation ? "Hey, ça va aller." Souffle soudain Cieran, sans trop y réfléchir. "Les humains sont pleins de ressources, on va rebondir." Il veut y croire, réellement. Il ne sait pas quand, il ne sait pas comment, mais ça va aller. Ils n'ont pas vraiment le choix. "On va la trouver, cette infirmerie ?" Ajoute-t-il avec autant de positivisme qu'il est capable d'en montrer en cet instant. Seul, il pourra paniquer. Pour l'instant, avoir un but l'aide à se concentrer sur garder ses nerfs sous contrôle.

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