LEO ▲ Sorrow spares no one, and scars respect no person.

• 13/10/1986 : « Ah, désolé monsieur mais vous n'aurez pas eu droit au choix du roi. Mais il a l'air en très bonne santé ! » Le médecin remit un nouveau-né braillard à sa mère, dont le visage n'exprimait pas la joie qu'une mère ressent généralement lorsqu'on lui permet de tenir son bébé dans ses bras pour la première fois. Elle regardait cet enfant avec mépris, presque avec dégoût. Il était bien fait, ne semblait pas malade, et ses pleurs n'étaient même pas si bruyants que ça. Seulement, il ne s'agissait pas d'une fille. Avec sa santé, la mère savait qu'elle n'aurait que peu d'occasions d'avoir des enfants, elle avait déjà fait plusieurs fausses couches. L'enfant était à peine né qu'elle lui en voulait déjà. Son père qui dut lui trouver un prénom à l'accouchement, car sa mère n'avait choisi qu'un prénom féminin. Le retour à la maison ne serait pas plus joyeux, la mère délaisserait rapidement l'enfant, ne s'occupant de lui que pour ses besoins vitaux. Son père et son frère combleraient de leur mieux le vide maternel.

• 1994 : Leo avait sept ans lorsque sa mère donna à nouveau la vie à un enfant. La troisième fois serait la bonne, les deux garçons venaient d'avoir une petite soeur. Le peu d'attention que Leo obtenait de sa mère s'était instantanément amenuisé un peu plus encore, mais il n'en tenait pas rigueur à sa soeur, il connaissait sa mère. En réalité, il était devenu fou de sa soeur dès qu'il l'avait vue. Bien que sa mère était réticente à cette idée, Leo s'occupait de sa soeur très souvent. Il accourait dès qu'il l'entendait pleurer et savait toujours comment la calmer. Au fil des mois s'était tissé un indéfectible lien entre les deux. Un phare au coeur de la tempête qu'était déjà la vie de Leo, et qui n'allait cesser de s'intensifier.

• 1999 : Stupeur, effroi, larmes, cris. La vie prenait toujours ce qu'elle avait donné en un claquement de doigts. Souvent, elle ne prenait même pas la peine de crier gare, laissant un vide immense dans la vie de ceux qu'elle avait décidé de prendre pour cible. La journée avait pourtant bien commencé. C'était un dimanche chaud et ensoleillé, une journée de week end comme tout le monde les aimait. Rien ne prévoyait alors l'issue dramatique qu'elle allait prendre. Comme tous les enfants aventuriers, les deux frères faisaient les fous dans le grand jardin de leurs parents. « T'es pas cap de monter sur la grosse branche en haut de l'arbre ! » « Bien sûr que si, je suis pas une poule mouillée ! » avait rétorqué le grand frère de Leo. Il y était d'ailleurs parvenu comme un chef. Mais c'est en descendant que la situation devint plus périlleuse. Terrifié par le vide qui s'étendait désormais sous ses pieds, l'aîné des Morgan ne réussissait pas à regagner la terre ferme. Dans un élan de solidarité, Leo grimpa dans l'arbre à son tour, jusqu'à gagner la même branche que son frère, qui céda sous leur poids. Leo avait réussi à se rattraper grâce à la base de la branche et au tronc de l'arbre, mais son frère avait chuté avec la branche. En une fraction de seconde, le jeune homme était redescendu de l'arbre pour porter secours à son frère, qui respirait à peine. Ses parents, alertés par le bruit, s'étaient précipités vers eux et avaient fait conduire leur fils à l'hôpital. Sans surprise, le jeune homme était décédé sur le chemin, dans l'ambulance. Jusqu'à son enterrement, les parents de Leo ne lui adressèrent pas la parole. C'est une fois rentrés de la cérémonie que son père le fixa, droit dans les yeux. « Arrête de faire semblant de pleurer, c'est de ta faute si Gabriel est mort. » Le garçon baissa les yeux, sans répondre, persuadé que son père avait raison. C'était lui qui avait provoqué son frère, rien ne serait arrivé s'il ne lui avait pas demandé de monter dans ce satané arbre. Quelques jours plus tard, ce fut au tour de sa mère de réagir. Elle qui avait toujours été si froide envers le moins aimé de ses enfants s'enflamma lorsque Leo lui demanda s'il pouvait aller jouer dans sa chambre. Elle se leva de sa vieille chaise en bois et lui asséna une gifle monumentale. « Va faire le ménage dans le salon ! Et après, tu passeras aux chambres ! Jouer ? Tu vas voir si tu vas jouer. » Plus rien ne serait jamais comme avant.

• 2000 - 2014 : Sa mère ne décolérerait sans doute jamais. Elle qui n'avait jamais vraiment porté ce second fils dans son coeur, elle avait fini par le détester depuis qu'elle le jugeait coupable de la mort de son aîné adoré. Leo, lui, n'arrêterait certainement jamais de porter ce fardeau sur ses épaules. Son père empêchait sa soeur de jouer avec lui et sa mère le traitait comme un moins que rien, ne lui adressait presque plus la parole et, ne pouvant plus le voir dans sa propre maison, le jetait régulièrement dehors. Leo avait à peine treize ou quatorze ans qu'il avait déjà passé de rudes nuits dans les rues de Londres, où il avait déménagé avec sa famille peu de temps après le drame. C'est là qu'il allait découvrir ce qui allait le faire vibrer, une vraie passion qui lui permette de surmonter la mort de son frère. Il se rendait régulièrement dans des cybercafés pour s'abriter de la pluie lorsque sa mère le chassait de chez lui ou qu'il ne voulait pas revenir du collège trop tôt. Leo payait avec les quelques billets que sa petite soeur lui donnait régulièrement en cachette.

A mesure que le temps passait, il était de plus en plus fasciné par l'informatique. Il enregistrait les informations qu'il pouvait trouver ça et là sur l'internet du début des années 2000, une vraie encyclopédie. C'est sans surprise qu'à la fin du lycée, il partit étudier l'informatique à l'université, qu'il se payait tant bien que mal grâce à son job dans un magasin d'informatique. Selon son patron, il conseillait les clients mieux que tous les employés qu'il avait pu avoir, avec une passion infinie. Quand il ne conseillait pas les clients, Leo réparait le matériel qu'il leur était apporté en panne au magasin. Il n'était jamais fatigué de réparer ou d'apprendre de nouvelles choses. Grâce à l'ordinateur que lui avait offert son patron, il continuait de se former en programmation informatique. Il n'aurait su choisir entre le métier d'informaticien et celui de développeur : il aimait toutes les facettes de l'informatique et d'internet, et il excellait en tout. C'est avec regrets qu'il quitta son job étudiant à la fin de ses études pour trouver un emploi stable à plein temps qui lui permettrait de développer tout son potentiel. Il détestait l'environnement aseptisé de son nouveau cadre de travail, mais les perspectives d'évolution étaient suffisantes pour lui permettre de supporter ses collègues et les couloirs froids de son entreprise.

• 2014 - 2018 : C'était avec son meilleur ami que Leo découvrit l'immense projet et l'ouverture des candidatures. Il ne leur fallut pas longtemps pour postuler. Aucun des deux n'avait de réel intérêt à rester. On ne les aimait guère, ils avaient été comme des parias toute leur vie. Les parents de l'un le détestaient, ceux de l'autre l'avaient abandonné et leurs remplaçants avaient été plus monstrueux les uns que les autres. Ils n'avaient jamais vraiment réussi à s'intégrer pleinement dans la société qui était la leur, et bien qu'ils aimaient affirmer que ça ne leur faisait ni chaud ni froid, ils en souffraient autant l'un que l'autre. Ils s'étaient cependant promis une chose : soit ils participaient tous les deux à ce projet, soit aucun des deux ne monterait à bord. Ils devaient absolument être acceptés tous les deux pour la mission. Il était hors de question d'en laisser un, seul, sur Terre. C'était donc avec énormément de chance qu'ils auraient tous les deux la chance de participer à cette mission hors du commun. La formation se passa pour le mieux, et jamais ils ne remirent en question leur volonté de faire partie de cette immense projet.

• Décembre 2018 : Clap de fin d'une partie de sa vie. Le jour des adieux, seule sa soeur était venue lui dire au revoir. Ils s'étaient pris dans les bras, silencieusement, pendant de nombreuses minutes. Sa soeur brisa finalement le silence d'une voix brisée. « Je suis tellement désolée. Désolée pour tout. Ce que j'ai eu alors que toi non. Tout ce qu'ils t'ont fait. Tu méritais pas ça. J'espère que tout ça t'apportera plus de bonheur. Je t'aime. Fais attention, et reviens-moi entier. » Elle ne saurait jamais à quel point il fut difficile pour Leo de retenir ses larmes, ni qu'elle ne le reverrait jamais. « C'est pas de ta faute. C'était écrit comme ça. Je t'aime aussi... Ne t'en fais pas, je pars pas tout seul de toute manière. Sois heureuse quoiqu'il arrive. » Les adieux terminés, il rejoignit son meilleur ami. « Prêt pour la congélation ? » « Il est trop tard pour dire non j'imagine ? » Il était trop tard pour tant de choses. Il serait trop tard pour tant d'autres lorsqu'ils se réveilleraient enfin.