Toc toc, qui est là ? Dan

« C’est BIEN, Lady Di ! Tu t’en sors à merveille, continue ! »

Rhiannon applaudit des deux mains, comme pour encourager un enfant de quatre ans particulièrement maladroit à persévérer dans ses efforts laborieux – sauf que l’enfant en question, aujourd’hui, c’est Lady Diana, opérateur d’entretien de son état, dont la programmation a été particulièrement complexe à terminer. Avec l’aide inattendue et fort bienvenue de Peter Rosewood, historien compétent dont les connaissances lui ont permis de rendre le caractère artificiel de l’opérateur aussi conforme que possible à la personnalité réelle de feue la princesse de Galles. Bon, l’opérateur n’est pas encore doté de parole ; mais le petit salut un peu tremblant qu’il exécute de son mieux à l’écoute des compliments de Rhiannon ressemble fortement à une révérence, et la rouquine sourit de plus belle.

Remontant le couloir menant à sa cabine, elle répète l’opération à plusieurs reprises, observant attentivement la précision des gestes du robot quand il nettoie des taches ici et là et ramasse quelques objets tombés et abandonnés – sa dextérité fine s’est nettement améliorée, et il manipule désormais ses petits bras articulés téléscopiques sans presque rien renverser. C’est sûrement ce sentiment de fierté et de devoir accompli que doit ressentir un parent devant les premiers pas de son enfant, se dit Rhiannon – avant de réaliser qu’un obstacle se trouve sur leur route. « Vzzt-vzzt ? » interroge Lady Di, toute perplexe, avec ce qui pourrait ressembler à de la méfiance devant la taille inhabituelle de l’objet à retirer, avant d’étendre prudemment l’un de ses bras pour évaluer le statut de la chose non-identifiée bloquant leur passage. Humain, détectent ses capteurs – immédiatement, l’opérateur rétracte sa sonde dans son châssis et contourne poliment l’intrus, lévitant sagement à quelques mètres, attendant que Rhiannon énonce ses ordres.

« Tu me cherchais ? » demande-t-elle à son visiteur inattendu, qu’elle identifie comme l’un des amis pilotes d’Adrian. Un presque-compatriote, à une frontière près – Shamrock, si sa mémoire lui restitue correctement son callsign. Un trèfle, tout irlandais dans son impertinence. Que peut-il bien lui vouloir de si urgent qu’il doive venir l’interrompre pendant son cycle de loisir, alors qu’elle s’amuse avec Lady Di ?

Cieran, se présente l’inconnu, et Rhiannon hoche vigoureusement la tête. Elle a déjà entendu ce nom-là dans la bouche d’Adrian, et comme sa combinaison l’identifie comme pilote, elle n’est pas surprise qu’il lui confirme ses déductions. Ils ne sont pas beaucoup à être réveillés, les membres de l’escadron de Voyager, et elle en connaît la majorité : la directrice Vargas rencontrée après une énième facétie du Visseur Fou, Adrian rencontré au saut du caisson, Veronica Salgueiro rencontrée via la fabuleuse Siya, sa nouvelle BFF à bord – ne reste que le spécialiste tactique qu’elle n’a pas encore croisé, et le fameux Cieran. Voilà chose faite. Elle s’apprête à lui répondre, lorsqu’un cliquetis attire son attention vers l’opérateur qui lévite presque droit. « Je suis Lady Diana, princesse de Galles. C’est un plaisir de recevoir vos hommages. » déclare la voix métallique de l’opérateur. Rhiannon hausse un sourcil étonné, avant d’adresser un hochement de tête approbateur à la machine – la politesse doit toujours être encouragée ! « C’est intéressant : je ne lui ai pas appris à parler.  Je n’ai aucune idée d’où elle tire ça, c’est fascinant ! Sûrement un vestige de son ancien codage… D’ordinaire, Lady Di est plutôt timide et il faut du temps avant qu’elle ne fasse confiance aux humains, vous devez lui sembler particulièrement fiable pour qu’elle se soit présentée spontanément. » explique-t-elle, son esprit listant à toute vitesse les facteurs pouvant justifier ce témoignage inattendu de confiance. Est-ce parce qu’il porte un uniforme de pilote et que Lady Di connaît bien Adrian ? Est-ce parce qu’il s’est présenté le premier, provoquant une réponse typiquement sociale ? Est-ce parce que Ladi Di a compris qu’il parlait d’elle ? Ou est-ce que feue la véritable princesse de Galles aurait pu trouver Cieran beau garçon ? Il faudra qu’elle étudie les logs des réactions de l’opérateur pour en savoir plus, une fois de retour au labo.

« La maintenance et l’équipe de robotique l’ont réparé, oui, moi je lui ai programmé une intelligence artificielle. » explique-t-elle posément, en déverrouillant la porte de sa cabine d’un scan de son comlink devant le capteur. Lui faisant signe d’entrer de la tête, elle indique également à l’opérateur de les suivre, d’un doigt pointé vers l’ouverture que Lady Di franchit sans rien percuter. « Sa personnalité est calquée sur celle de Lady Diana, comme tu as pu le constater – ça commence à marcher à peu près comme je voulais que le programme fonctionne, elle apprend bien et retient vite, maintenant. Ça n’a pas été facile d’en arriver là, mais je suis très fière d’elle, elle fait beaucoup d’efforts ! » Certains tiquent en entendant la rouquine genrer ses machines au masculin ou au féminin, mais la réalité est là : Lady Di est dotée d’une personnalité radicalement féminine, elle la traitera donc en accord avec le caractère qu’elle tente de lui enseigner. L’opérateur émet un son réjoui, et avant que Rhiannon ne puisse l’en empêcher, elle étend l’un de ses bras robotiques pour saisir délicatement la tasse et la déposer sur le bureau, y plaçant le sachet de thé et se dirigeant ensuite vers la bouilloire. « Hum. Et là, visiblement, Lady Di veut nous servir le thé. Vas-y. » autorise-t-elle l’opérateur qui vzzt-vzzt de plus belle. « Je ne lui ai pas appris ça non plus. » glisse-t-elle doucement à son visiteur.

Peut-être Hécate a-t-elle corrigé elle-même certains défauts du code sophistiqué de Lady Diana… ?

L’intérêt de Cieran pour Lady Diana ravit Rhiannon. Sûrement a-t-il l’habitude des opérateurs d’entretien et de maintenance qu’elle a affectés aux baies des chasseurs il y a déjà un moment ; son aisance avec la créature robotique est tout de même fort plaisante, et elle ne peut retenir un large sourire d’étirer ses lèvres. Il y a bien trop de personnes à bord qui n’ont pas cette ouverture d’esprit ! Rien que la dangereuse terroriste, là, celle qui est sûrement mafiosette en chef du maquis brésilien ou quelque chose de similaire, et qui règne sur le Bright Venture – elle a menacé une autre des machines avec une chaise, pas plus tard que la veille ! Les gens sont décidément tous un peu fous, et ce ne sont pas les conditions de vie sur Voyager qui vont détendre l’atmosphère…

Cieran ne fait pas partie de cette portion de la population, en tout cas, et Rhiannon écarte les mains dans un geste d’impuissance. « Je n’ai aucune idée d’où elle va chercher tout ça. Soit ses circuits logiques sont nettement plus performants que je ne le croyais, soit ses données de personnalité sont bien plus étendues que le code ne le suggère. Il va falloir que j’analyse ses réactions aux stimuli pour savoir. Je travaille quasiment à l’aveugle, tu sais – je découvre tellement de choses en fouillant le code développé en autonomie par Hécate pendant notre sommeil… » Abruptement, elle se tait. Inutile d’en dévoiler trop ; et ses inquiétudes secrètes ne doivent pas être révélées au reste de l’équipage. Pas encore. Et surtout pas à portée des détecteurs de l’IA qui contrôle la totalité de Voyager ! Pas tant qu’elle n’en sait pas plus, et pas avant d’avoir des certitudes étayées par des preuves formelles.

Un vzzt-vzzt contrarié attire son attention sur Lady Di, qui flotte d’avant en arrière près du mur. « Pas de sucre. Pas de sucre. Pas de sucre. Consigne inadaptée. Impossible de répondre. Imposs-imposs-imposs-imp-imp-imp- » Un bip strident déchire l’atmosphère pendant une fraction de seconde, et les voyants de contrôle clignotent frénétiquement, avant de se stabiliser. « Altération du protocole. Recherche prioritaire : sucre. Protocole adéquat sélectionné. » Et l’opérateur fonce sur la porte, qu’il percute de plein fouet, rebondissant dans un tintamarre métallique, avant de léviter de plus belle, activant l’ouverture manuelle de l’un de ses bras télescopiques, la tasse fermement serrée dans l’autre. Rhiannon n’a même pas le temps d’intervenir : à demi-levée de son siège, elle ne peut qu’observer Lady Diana sortir de la pièce de toute la vitesse de ses petits propulseurs, avant de disparaître dans le couloir dans la direction générale du réfectoire. Ébahie, elle reste interdite un instant, avant de se rasseoir machinalement tandis que la porte se referme automatiquement. Elle cligne des yeux, puis tourne un regard vaguement amusé vers Cieran. « Je crains que ce sachet de thé soit perdu pour toujours. » glisse-t-elle d’un ton malicieux. « Je ne m’inquiète pas pour elle, elle finira bien par revenir, je la retrouverai facilement avec sa balise de localisation, mais je t’avoue que je ne m’attendais pas à ça. Visiblement, elle avait vraiment envie de te faire plaisir ! » ajoute-t-elle avant de conclure par un petit rire amusé. « Enfin, trêve de bêtises – dis-moi ce qui t’amène ? Tout va bien dans l’escadron ? »

Jusqu’ici, Rhiannon n’avait pas encore vu d’opérateur se déplacer aussi rapidement, à croire que tous les démons de l’enfer se sont lancés à la poursuite de la pauvre Lady Diana ! Bon, il faut bien admettre que la plupart des robots présente des bugs de déplacement assez intéressants à observer – allant de la percussion répétée d’une paroi pour tenter de transmuter la matière en créant une porte n’importe où, au déni total, complet et irréversible de toute notion de ligne droite. Mais les aime comme ça, ses petits auxiliaires mécaniques un peu limités : avec leurs petits travers qui les rendent si attachants, quel que soit leur service d’affectation et le couloir où ils vzzt-vzzt gaiement.
À l’exception notable du Visseur Fou, qui pousse le dévouement professionnel à un tout autre niveau, et élève le sabotage au rang d’un art largement sous-estimé.

Bonne chance, lady Di, dans ta quête de sucre, et puissent les dieux du thé favoriser ta quête. Ça ne périme pas, cette substance-là, normalement, de ce qui se murmure sur Voyager – mais qui oserait vraiment avaler une cuillérée vieille de neuf cents ans… ? « T’en fais pas pour elle. Elle a résisté à bien pire qu’une petite réaction excessive, je vais lui remettre la main dessus rapidement. » sourit-elle à Cieran, qui est tout de même fort touchant de s’inquiéter ainsi pour ce que le plupart de l’équipage considère comme un vulgaire tas de boulons. Elle hoche la tête quand il demande à s’asseoir, son attention captivée par ses mots. Les sorties dans l’espace la fascinent, et elle aimerait vraiment – vraiment, vraiment – avoir un jour le privilège d’accompagner une sortie dans l’espace ! Mais non, espoir déçu – il a besoin d’elle pour un… pour un simulateur de vol.

Et le projet est intéressant. Basculant en arrière pour s’adosser confortablement à sa chaise, Rhiannon se tapote le menton d’un air méditatif, le regard rêveur. Tout cela a un petit goût de science-fiction qui la réjouit au plus haut point ! Nul problème excessivement urgent ne requiert son attention ces jours-ci, Hécate se gère plutôt bien toute seule (au point que c’en est quand même pas mal inquiétant, quand elle y réfléchit, dans la solitude de sa cabine quand vient la nuit), et les quelques IA greffées aux opérateurs doivent encore être évaluées quelques jours avant qu’elle ne puisse y apporter des corrections efficaces – d’où ses expérimentations ludiques avec Lady Di. Bon, il y a bien l’opérateur médical panseur de fissures à regarder de plus près, mais ce n’est pas urgentissime. « Si le directeur Minaïev me donne son aval, je pourrai certainement t’aider, oui… Tu veux que son simulateur enseigne les techniques de vol à des novices, ou simplement qu’il exécute des escarmouches aléatoires pour des pilotes déjà confirmés ? » Le premier cas demandera des heures de travail absolument inconcevables, d’autant plus qu’elle n’y connaît strictement rien au pilotage – mais la seconde option ne demanderait que quelques semaines de conception, surtout avec l’aide de quelques autres membres de l’équipe.

Il est divertissant, ce pilote, et plus d’une fois Rhiannon se prend à rire à ses blagues. De fil en aiguille, elle assemble les informations nécessaires pour la programmation de l’IA demandée, notant soigneusement toute une liste de prérequis exigés pour que le système fonctionne comme les concepteurs l’entendent. C’est ambitieux, comme projet, mais la rouquine en comprend bien la nécessité : au vu de la situation de l’équipage, mieux vaut entraîner les pilotes en conditions simulées, afin d’éviter toute blessure ou mort accidentelle, et pour préserver le matériel qui n’est pas remplaçable.

Et lorsque Cieran s’en va, Rhiannon sait déjà par quoi commencer.
Elle a juste un léger doute en ce qui concerne les scones.

- RP TERMINÉ -