Rapport 2047

Comment ça coin ?

Je plisse des yeux, sans bien savoir qui je dois regarder d’un air mauvais pour montrer à quel point je suis contrarié. C’est compliqué quand c’est tout ce qui m’entoure qui me met des bâtons dans les roues. Pourtant, j’aurais dû me douter, ça aurait été trop facile d’obtenir ce que je cherche facilement.

… bon, d’accord, je ne savais pas trop ce que je cherchais. Mais j’avoue que c’est passablement contrariant d’en être empêché. Je finis par brandir un poing rageur dans le vide, avant de quitter les lieux, grommelant dans la barbe que je n’ai pas quelques jurons bien senti. J’attends le moment où Hécate va faire un commentaire mais, fort heureusement, ce n’est pas le cas.

Je bifurque en direction du réfectoire, cherchant vaguement quelqu’un des yeux capable de m’aider à me dépatouiller. Oh, je sais, je pourrais tout à fait lâcher l’affaire. Après tout, je ne faisais que chercher des signes de vie extraterrestre et ce n’est pas comme si je n’avais pas déjà eu une réponse à cette question. Mais l’idée qu’Hécate ou qui que ce soit ait pu avoir des preuves par le passé, nous le cacher et nous laisser nous embarquer dans cette histoire sans le savoir… c’est profondément dérangeant. Et paradoxalement, y réfléchir m’évite de trop penser au reste.

Alors, à défaut d’aller rendre visite au psy, je cherche donc un directeur des yeux. On va éviter Vargas, j’ai encore en tête son petit sourire au moment du jeu de paint-ball, même si ça fait plusieurs semaines. Alec ? Pourquoi pas. Ou… ah Mar. C’est parfait ça. Je me plante devant elle, fixant son assiette encore pleine en levant un sourcil avant de souffler, d’une voix qui ne souffre pas vraiment la réplique. « Super, je te cherchais. Viens avec moi, j’ai un truc à te montrer. Et ce sera toujours mieux que cette assiette qui te donne un peu envie de mourir. Pourtant, j’ai pas souvenir que c’était si mauvais que ça. »

Ni une ni deux, je l’embarque avec moi, sans écouter les possibles récriminations. Jusqu’à ce qu’on se retrouve de nouveau au serveur central. Et je m’assois devant un écran, levant un sourcil en direction de Mar avant de continuer, d’un ton un peu moins assuré que je le voudrais. « Je fais des recherches. Et j’ai besoin d’un passe-droit Madame la Directrice. Si je te promets de venir toute la semaine à la salle de sport, tu veux bien m’aider ? » J’aurais pu proposer de lui offrir des verres mais, outre le fait qu’elle de plus gros moyens que moi, continuer à hanter le bar pour éviter de penser aux cauchemars qu’on fait tous n’est pas l’idée du siècle. Alors j’attends, avec la mine de celui qui est sûr qu’elle dira oui.

Il y a toujours des moments où on essaie de voir le positif et de se focaliser dessus. Des moments où on se dit que ça pourrait être pire. Et la plupart du temps, on a raison, la plupart du temps, le pire n’arrive pas, la plupart du temps, la situation s’améliore. C’est le cas, en quelque sorte, pour l’Arche. Nous sommes parvenus à récupérer pas mal de données, des possibilités de navigation, voire d’explorations du coup, des trucs plutôt cool et utiles.
Si l’on omet le fait que des extra-terrestres se baladent non loin de nous et que l’un d’eux est peut-être même à quelques mètres de moi… s’ils peuvent changer de formes, c’est possible non ? Donc si l’on omet tout ça, notre situation s’améliore.

La situation de l’Arche.
Pas la mienne.
J’évite maintenant de me dire que ça pourrait être encore pire, comme pour ne pas tenter le mauvais sort. On ne sait jamais, je l’ai bien vu et appris à mes dépens.

Je croque un bout de ce qui doit être un morceau de carotte au vu de la couleur d’un air peu convaincu. J’essaie pourtant, vraiment. Déjà parce que j’ai faim. Et parce que si ça continue je serai obligée, sans doute, d’en parler à quelqu’un. Je n’en ai aucune envie, que ce soit à Hécate ou à une psy, ou peu importe d’ailleurs. Tous ceux qui se sont retrouvés là-bas, qui les ont aperçus, se retrouvent à faire des cauchemars non ? Peut-être pas au point de devenir insomniaque, mais je ne suis pas la seule. Mais même eux, comprendraient-ils à quel point la simple vue de cette assiette me donne la nausée ? J’ai comme un doute. Et comme dit, je n’ai aucune envie de le dire. Jusqu’à présent, ça marche plutôt bien, personne n’a rien relevé. Sans doute parce que je me débrouille pour venir quand il n’y a personne ou presque. En général.
Je lève la tête, fronçant les sourcils quand il commence à parler. « Ce n’est pas mauvais, je réfléchissais et… »

Bon très bien. Je le suis quand il m’entraîne, sans trop protester, vu que ça m’évite de me justifier. Mes yeux se plissent pourtant en voyant où il m’emmène, et je le toise en haussant les sourcils quand il commence à parler. Croisant les bras, une ombre de sourire un peu narquois aux lèvres, je continue de le dévisager.

« Des recherches qui nécessite l’autorisation d’un directeur ? » Mon sourire s’agrandit un peu. « Je n’ai pas réussi a te convaincre et là, tu me vends une semaine, pour une autorisation ? C’est sur quoi tes recherches ? » Je le fixe, la hanche contre le bureau, les bras croisés, un sourcil toujours levé. « 3h par jour pendant 10 jours. Non négociable. » Et un sourire. J’aurais peut-être dû dire 14 jours…

Je lève un sourcil quand elle fronce les siens et je secoue la tête. « On ne me la fait pas à moi. Et on est tous dans un sale état si ça peut te rassurer. Chacun essaie de s’occuper l’esprit comme il peut. » Elle fait du sport. D’autres se concentrent sur les opérateurs. On essaie tous de se focaliser sur un truc concret qui essaiera de nous faire oublier, même quelques instants, qu’on a un alien qui se balade dans les couloirs et qui va nous faire je ne sais quoi.

Evidemment, je m’attendais à ce petit sourire là. A dire vrai, une part de moi l’espérait même clairement, comme pour m’assurer qu’elle en est encore capable. Qu’on en est tous capables d’une certaine façon. Je lui rends un sourire faussement innocent avant de jeter des regards autour de moi, comme pour m’assurer que nous ne sommes que tous les deux. « … en effet. Visiblement, être la mémoire de ce vaisseau ne suffit pas à m’arroger tous les droits. Ce que je trouve passablement scandaleux soit dit en passant. J’envisage de me plaindre à qui de droit mais j’ai comme un doute sur le fait qu’Hécate soit aussi réceptive que je le voudrais. »

Je lève les yeux au ciel, comme si je pouvais apercevoir Hécate se manifester physiquement, d’une façon ou d’une autre. C’est vraiment perturbant de la savoir partout et nulle part. Même si ici, d’une certaine façon, elle est plus proche de nous que jamais. J’élude la question de la jeune femme, sachant que ce ne sera qu’une question de secondes avant qu’elle ne revienne à la charge et je tousse un rire au reste. « 10 jours ? Vous êtes dure en affaire Directrice Ortega. Mais vu que je crois que le jeu en vaut la chandelle, j’accepte. » Je tends la main pour scelle l’accord avant de me faire de nouveau plus sérieux. « Je fais des recherches sur… ce truc. Et autant j’ai accès à beaucoup de données, autant là, j’ai été bloqué quand j’ai commencé à fouiner sur les rapports relatifs à Apollo 11. Ce qui n’est pas logique, tu en conviendras. En théorie, il n’y a rien là-haut qu’on ne sache pas. » Mais visiblement, en pratique, c’est tout autre chose. Et j’avoue que l’idée qu’on puisse en savoir plus sur eux, qu’on aurait pu en savoir davantage avant, a quelque chose de passablement perturbant. Et d’un peu agaçant. « … alors je me disais que tu aimerais bien savoir ce qu’on a pu essayer de nous cacher toutes ces années. » Je lui désigne alors la console qui n’attend plus que son autorisation pour qu’on essaie d’en savoir plus, me demandant si elle va être piquée au vif ou si elle va préférer ignorer tout ça. Je penche quand même pour la première option, ne serait-ce que pour moi voir galérer trois heures par jour.

Dans un sale état, c’est un euphémisme un peu non ? Je sais bien que tout le monde regarde autour de lui comme si l’alien, et ses petits amis, allaient soudainement surgir, mais on n’est pas si nombreux à vraiment avoir vu tout ce qui s’est passé. Je ne vais pas dire que je suis la plus à plaindre, mais je pense être dans le pôle trois quand même.
Du coup, tout est bon à prendre pour ne pas y penser. Même le suivre et l’écouter parler, comme le vendeur de tapis qu’il est. Mais il parvient à me faire sourire, ce qui est ample-ment suffisant à l’heure actuelle pour lui accorder toute mon attention. « La mémoire de ce vaisseau. Rien que ça... Tu aurais l’air bien plus crédible sans les coups d’œil nerveux. Et je suis sûre qu’Hecate écoutera tes plaintes et réclamations avec attention. »

Je continue de le fixer, mon attention augmentant d’un cran encore quand il élude la question et préfère parler sport. « Tu ne négocies même pas. Je savais que j’aurais dû demander plus. » Je grimace pour le principe et serre sa main en secouant la tête, avant de me crisper. Oui bon, c’était plus que prévisible je sais, mais j’avais espoir que ce soit autre chose. Ou pas. Je suis aussi curieuse que lui en vérité. Je fronce les sourcils et le dévisage comme pour deviner s’il se moque de moi. « De quoi tu parles ? Comment tu es arrivé sur Apollo 11 ? Et pourquoi y aurait-il un rapport entre les deux ? » Je continue de le fixer un moment, essayant d’assimiler tout ce qu’impliquerait le fait qu’il ne cherche pas uniquement à passer le temps et qu’il puisse avoir raison, sentant un poids plus lourd encore que ces derniers jours peser sur ma poitrine.

Et j’attrape un fauteuil, m’installant devant la console qu’il a désigné, pour y entrer mon code d’autorisation, en m’assurant d’un coup d’oeil mécontent qu’il n’en profite pas pour l’enregistrer. Avec lui, on ne sait jamais.

« Très bien. Hécate, maintenant que tu as l’autorisation de la Directrice Ortega, montre-nous le dossier classé s’il te plait. »

Une blague, cela ne peut être qu’une blague, ils ne pouvaient pas savoir et avoir tus une telle information à tout le monde, pendant tout ce temps, et à nous... Pas vrai ?

J’ai toujours été doué pour… non pas embrouiller les gens. Le terme serait péjoratif et je ne l’apprécie guère. Je dirais plutôt pour vendre ce qui m’intéresse. Appelez ça du bagou ou que sais-je encore mais, au final, je n’ai jamais eu trop de difficultés pour arriver à mes fins, que ce soit en perdant mon interlocuteur en cours de route ou en étant suffisamment convaincant pour qu’il se décide de lui-même que mon option était la meilleure. En tout cas, ça a l’air de marcher pour Mar. Ou c’est tout simplement qu’elle a elle aussi besoin de se changer les idées. « La mémoire de ce vaisseau. Parfaitement. Tu crois qu’on m’a proposé de venir ici pour mes beaux yeux ? Ça aurait pu, je veux bien le reconnaitre. Mais non, ce n’est pas que pour mon physique que j’ai été débauché. » Si j’ai parlé d’un ton léger, il est vrai que je suis plus inquiet que je ne veux bien le reconnaitre. Et j’ai une grimace au reste. « Je ne suis pas si nerveux que ça. Et je ferais un joli speech à Hécate. Si tu es sage, je te laisserais l’écouter. »

Mon sourire s’élargit au reste. « Trop tard, nous avons un accord Directrice Ortega. Et qui sait, tu me donneras peut-être goût au sport. » Ou pas, nous sommes bien d’accord. Je vais probablement me plaindre et être insupportable à chaque séance ou peu s’en faut. Juste pour le principe. Mais cette histoire me sort de l’esprit quand nous abordons le vrai sujet de sa venue dans cette salle. Je prends une grande inspiration, ne sachant pas vraiment par où commencer, mais je finis par me lancer, non sans avoir fixé le vide quelques instants. « Je me suis mis à chercher toutes les expéditions dans l’espace qui ont eu lieu. Et je suis remonté loin. Très loin donc. Cherchant les détails qui pourraient me faire tiquer, qui pourraient sortir de l’ordinaire. Je n’ai rien trouvé de bien passionnant. Jusqu’à ce que je tombe sur un dossier scellé à propos d’Apollo 11. J’ai souvenir de tous les complots et théories qui ont émaillés cette épopée. Et j’avoue que je suis curieux de voir ce qui est vrai ou pas. De là à dire qu’il y a un lien avec ce que nous avons pu voir… en vérité, je n’en ai pas la moindre idée. Mais tu ne serais pas curieuse toi aussi de savoir ce qu’on a pu nous cacher au moment des premiers pas sur la lune ? Même si au final, ça ne changera plus grand-chose. »

Je finis par m’assoir à côté d’elle et, à son coup d’œil, j’ai un sourire innocent. « Ne me prête pas des attentions que je n’ai pas Mar. Si je voulais t’arnaquer, je ne t’aurais pas fait venir jusqu’ici. » Et voilà qu’elle demande à Hécate l’exécution de la commande qui me bloquait depuis quelques heures. Je penche vers l’écran, non sans un regard en coin en direction de la jeune femme, avant de froncer les sourcils quand le texte apparait. Je garde le silence, réussissant tant bien que mal à déchiffrer ce qui peut l’être, avant de souffler quelques jurons bien sentis. « J’ai entendu parler du code 1202. Je l’ai lu dans la matinée. Ils ont déplacé le site initial d’alunissage pour des raisons techniques. A ton avis, qu’est-ce qu’ils ont pu voir ? Et… tu veux forcer la main ou tu veux qu’on essaie de choper le reste du dossier ? » A dire vrai, les deux options me tentent. Mais je me vois mal expliquer ce qui s’est passé si nous cassons plus de trucs.

Je le fixe, sceptique, et je laisse courir mon regard sur lui en l’entendant. D’accord, il n’est pas si mal que ça, mais heureusement qu’il plaisante, trop d’arrogance tue l’arrogance. Quoi qu’il se pose quand même pas mal niveau suffisance… En même temps, je pense qu’on peut tous se le permettre, nous ne serions pas là sinon. Un léger sourire au coin des lèvres, je hoche donc la tête. « Tes yeux sont fort jolis et je reconnais que pour un ancêtre qui ne fait aucun effort, cela pourrait être pire. Mais heureusement que tu as été débauché pour cette immense capacité. » Je lui fais un clin d’œil, avant de me retenir de lever les yeux au ciel. « Monsieur est trop bon. » Pas si nerveux tu parles, on dirait un gamin qui complote et qui a peur de se faire prendre. D’accord, ça éveille mon intérêt plus que cela m’inquiète, mais quand même.

Je plisse le nez et lève pour de bon les yeux au ciel. « Tu parles, rien qu’à voir ta tête, je sais que je finirais par regretter de t’avoir proposé ça. Mais ça me laissera l’opportunité de te tabasser pour me venger, je ne suis pas si perdante. » Et au moins, je me sentirais possiblement un peu moins seule et il arrivera bien à me changer les idées, que ce soit en râlant ou en racontant des histoires. Mais pour le coup, ça passe à la trappe et je finis par entrer dans son jeu, l’écoutant avec attention. Je fronce un peu les sourcils. « Disons que si certains détails ont été cachés, ça ne changera certes plus rien, mais ce serait profondément dérangeant de savoir qu’ils nous ont envoyé ici en dissimulant des éléments essentiels quels qu’ils soient. Que le Gouvernement américain, de l’époque jusqu’à maintenant… jusqu’à notre départ, ait eu des secrets n’a rien d’étonnant, mais tu crois qu’ils n’auraient pas jugé bon d’en informer quiconque sur ce vaisseau ? Et si c’était le cas… » Le Commandant était mort, ce qui l’enlevait de l’équation. Et la Gouverneure ? Je soupire et entre les informations demandées, sans lui adresser un regard en coin. « Tu parles. Prêcher le faux pour avoir le vrai, ce genre de trucs, je suis sûre que t’es un spécialiste là-dedans. » Pas comme si je ne savais pas faire non plus.

Mais peu importe. Le document s’affiche, en partie du moins. Je l’écoute d’une oreille, essayant de combler les trous, mon doigt sur l’écran, suivant les lignes alors que je parle. « Des êtres non identifiés… Ils ont vu des… extra-terrestres ? Tu… Les trois ont aperçu des formes de vie non humaines. » Je cille, laissant mes neurones enregistrer ces informations, et me laisse aller sur le dossier du fauteuil, avant de le regarder. « Ils ont changé la nature de l’incident pour la version officielle, ça d’accord. Ils ont demandé aux astronautes d’en capturer ? Tu crois qu’ils ont réussi ? Ils ont déplacé la navette ensuite, mais tu penses qu’ils ont réussi à en attraper ? » J’inspire, me demandant vaguement dans quel merdier j’ai foutu les pieds. Je secoue la tête. « Non, on ne peut pas, je ne suis pas assez douée en informatique et si on fait plus de dégâts, ce serait catastrophique… Imagine qu’on supprime ou endommage d’autres documents ?
Hécate, tu as les prises de vue effectuées par Michael Collins le 25 juillet 1969 ? La PJ 43 ? Les témoignages précis des témoins qui ont été classés avec ce rapport ? »

Parfois, je me demande à quel point je peux plaisanter quand je me fais arrogant comme ça. Je sais qu’il y a un fond de vérité dans ce que je dis. Et pas qu’un fond au final, si tant est que cela a une quelconque importance aujourd’hui. Si nous avons été à un moment une espèce d’élite de l’humanité, maintenant, nous sommes tout ce qu’il reste. Alors, élite ou pas, peu importe au fond. Je me fends quand même d’un sourire amusé à sa répartie. « Je note ce savant mélange de tacle et de compliment. C’est drôle de ne pas savoir comment le prendre donc. Je vais le prendre bien et ne retenir que mes jolis yeux. » Et, même si je me frotte nerveusement les mains sur mon pantalon, mon sourire se fait tout de même plus large. « Je sais, ma bonté me perdra. » Mais je sais que j’ai éveillé sa curiosité et c’est ce que je voulais.

Elle m’amuse à froncer le nez comme ça. Et je hausse une épaule au reste de ses propos. « Regretter ? Pourquoi ? Mais je note que tu songes directement à me tabasser. Là, j’avoue que je ne sais pas du tout comment le prendre. » Enfin, je finis quand même par lui donner la raison de ma présence et par me faire plus sérieux. Je hoche la tête, tout à mes réflexions, avant de souffler. « Tu avais des doutes sur le fait qu’on nous ait caché des choses avant de nous faire embarquer dans cette expédition ? Moi pas. Que ce soit le gouvernement américain, anglais ou que sais-je encore… je pense qu’il y avait tout de même autre chose derrière ce grand projet beaucoup trop utopique pour être totalement crédible. » Et pourtant, comme beaucoup, j’y ai cru et j’ai foncé tête baissée. Mais depuis notre réveil et les découvertes successives, autant dire qu’il flotte une certaine paranoïa dans l’air qui ne me plait guère. Remarquez, c’est tout de même moins pire que la déprime. Je suppose.

Et je me fige devant notre découverte, mon cœur ayant un raté quand je comprends que nous ne sommes donc pas les premiers à avoir été confrontés à une autre forme de vie. De là à me dire qu’ils nous ont envoyés dans l’espace pour confirmer tout ça, il n’y a qu’un pas que je ne suis pas prêt à franchir pour le moment. Ils savaient donc, d’une façon ou d’une autre. « … normal qu’ils aient changé la version officielle, ça aurait fait désordre. Quant à savoir s’ils ont réussi à en attraper. Tu penses que ça aussi, ils auraient pu l’étouffer ? » Tout en parlant, je tapote sur mon pad pour retranscrire ce qu’on a sous les yeux. Et je grimace au reste, même si j’acquiesce alors qu’elle demande des prises de vue. Pour laisser filer une bordée de jurons quand la photo apparait. « Okay. Bien. Parfait. Tu peux enregistrer la photo ? Vu qu’on peut pas la… prendre en photo donc. Ou l’envoyer par mail, je sais pas trop. »

Au reste des paroles d’Hécate, j’ai un silence avant de reprendre, plus sérieux que jamais. « On continue ? On a rien… appris là. Enfin si, qu’ils étaient déjà au courant de l’existence de ces araignées. Mais peut-être que si on continue, on en saura plus. T’en dis quoi ? Ca vaut la peine de perdre une photo et un rapport incomplet non ? » J’avoue, dire que je suis nerveux est un euphémisme. Je ne sais pas encore tout à fait si j’ai hâte de voir la suite ou si je l’appréhende plus que jamais. Probablement les deux.

Je fais une ébauche de révérence et je souffle un rire en secouant la tête. « Merci de le souligner, ça représente des années d’entraînement. Et garde le positif oui, tu te souviendras que je t’ai complimenté, ça me va. » Je soupire d’un air dépité quand il en rajoute une couche, quand bien même mon sourire reste toujours en place. S’il s’amenuise un peu, c’est uniquement parce que cette sensation de me faire avoir se fait de plus en plus grande. Mais il est doué pour baratiner oui, et pour appâter, alors je me laisse attraper pour le coup. « Parce que tu es bien trop content de toi, et que ça ne veut dire qu’une chose : tu y gagnes bien plus que moi. Donc je me fais avoir. Et je le regretterais sans doute. Et non, je songeais à prolonger ton espérance de vie et à te garder en bonne forme, mais tu vas rechigner, te plaindre et te comporter en gosse. Ce qui me donnera envie de t’en coller une. »

Je fais un geste de la main alors qu’on poursuit sur un sujet bien plus sérieux et délicat. « Non, pas qu’on nous ait caché des choses, comme dit, tous les gouvernements, multinationales et autres ont des secrets et des intérêts personnels, mais… » Je le fixe un instant. « Tu crois que tout ça… C’était suite à ça et à d’autres révélations du même genre ? » Je fais des gestes tout en parlant, désignant tour à tour l’Arche, puis le dossier. Je me renfrogne un peu en me rendant compte que je n’ai jamais vraiment réfléchi au pourquoi du comment du début de tout cela. « Je suis une scientifique. Je ne me suis pas demandée pourquoi, je me suis demandée ce que j’allais pouvoir voir et découvrir. L’espace, ses lois, ce qu’on ignore encore, ce qu’on suppose, l’inconnu, les découvertes, les perspectives et possibilités… C’est toute ma vie. Non, je n’ai pas songé aux secrets et motifs cachés... » Même si la question m’avait effleuré l’esprit, je l’avais chassé tellement rapidement face à cette chance monstrueuse de faire partie de cette expédition que ça ne comptait pas vraiment.

Ça aurait dû. J’aurais dû m’interroger davantage. Surtout au vu de tout ce qui s’est passé depuis mon réveil… et au vu de ça. Ce rapport. Tellement improbable et tellement évident à la fois. Je relis encore et encore le document. « Peut-être pas totalement. La zone 51 a toujours fait parlé d’elle. L’affaire Roswell bien avant ça. Je n’en sais rien. S’ils ont réussi et que ce sont les mêmes… ça veut dire qu’on peut aussi. Du moins les petits, parce que l’autre chose… » Je me tais, mes yeux soudainement un peu trop écarquillés et j’inspire en les fermant. Ce qui ne sert à rien parce que la photo apparaît. Mes jurons font écho aux siens et j’acquiesce par automatisme. « Hécate, tu peux faire une copie écran ? Ou comme dit Peter m’envoyer déjà ça par mail ? »

Je me tourne vers lui, le fixant un moment en silence. « Si on perd tout, on n’aura plus que notre parole pour… convaincre les autres. Et si on ne détruit pas seulement ce rapport, mais d’autres documents aussi importants ? Si la manœuvre fait disjoncter ou je ne sais pas quoi tout le machin ? » Je regarde de nouveau l’écran, mes doigts tapotant nerveusement sur la table. « Tu connais pas un informaticien ou… Enfin quelqu’un qui saurait nous dire ou nous aider… Imagine qu’un rapport expliquant comment neutraliser ces choses soit détruit ? Ou qu’on perde à tout jamais la recette du kouglof ou le Requiem de Mozart ou la Bible ? » Ah si, je suis sérieuse. Déjà que le premier livre imprimé de l’histoire a été détruit et qu’il ne reste que la version numérique, que les plus grands compositeurs, peintres, acteurs, musiciens et j’en passe, et leurs œuvres, ont tous disparus et qu’il ne reste que traces de codes pour s’en souvenir… On fera quoi si on détruit tout ça ? Ou pire donc, si on efface un document relatif auxdits extra-terrestres ?