Deuxième étoile à droite

Vivante.
Contre toute attente, tu as survécu à l’épreuve – et tu es à peu près indemne. Quelques écorchures, une longue estafilade là où tu t’es accrochée à un rebord saillant au moment de sortir de la section occupée par les aliens, une fatigue intense… mais tous tes membres sont à leur emplacement théorique, et tu ne vas pas mourir. Enfin, pas tout de suite du moins : la survie à long terme te semble un peu plus discutable, mais tu ne tiens pas à y réfléchir de trop près. Si tu te penches sur ces pensées déprimantes, tu vas encore te mettre à pleurer ; et tu as surtout besoin de courage, ces temps-ci, pour continuer à avancer. Et surtout pas de t’apitoyer sur ton propre sort…

Trois jours ont passé depuis votre épopée chaotique, et l’heure du rendez-vous avec le secteur médical est arrivée. Tu n’as pas vraiment envie d’être encore auscultée sous toutes les coutures, une fois de plus, et ta pudeur naturelle a déjà été largement malmenée depuis ton réveil. Ce n’est pas tant l’examen de ton corps qui te pose souci : après tout, tu as commencé ta carrière en dansant dans un cabaret, et ton écharpe de Miss Brésil, c’est bien ta plastique qui te l’a accordée. Non, ce qui te gêne vraiment, c’est de devoir parler de toutes ces pensées dérangeantes qui rampent dans les tréfonds de ton esprit – ces doutes insidieux, cette angoisse perpétuelle, auxquelles s’ajoute maintenant la peur de l’inconnu. Il est bien quelque part, ce petit alien qui s’est échappé à votre suite ! Il se cache forcément dans un endroit de la station, et avec ta chance, sûrement est-il tapi dans un recoin du Bright Venture. Cette idée te terrifie bien plus que tout le reste, et tu as pris l’habitude, ces derniers jours, de te déplacer avec la louche que tu as récupérée pendant ta mésaventure. Il n’est pas dit que tu te laisseras dévorer sans rien dire ! Tu laisses tout de même ton arme improvisée dans la zone d’attente du secteur médical, peu désireuse d’expliquer ce que tu fabriques avec un ustensile de cuisine au médecin qui va te recevoir…

Tu grattes à la porte, timidement – personne pour te prendre en charge à ton arrivée, c’est un peu déconcertant, tout ce vide, en comparaison des cabinets médicaux de la Terre. Et lorsque l’on te répond, c’est une voix féminine qui s’élève : dans le pile ou face des tours de garde des deux seuls médecins du bord, c’est le docteur Zhao qui a gagné le douteux privilège de te recevoir. Tu te glisses dans son bureau, impeccablement sanglée dans ta combinaison blanche – tu as quand même pensé à laisser au Bright Venture le tablier qui te sert à éviter les taches pendant le service. « Bonjour, docteur. » réponds-tu poliment au médecin, ton expression le plus neutre possible, avant de te glisser sur la chaise qu’elle te désigne. Tu n’es vraiment pas à ton aise, et ton regard fuit le sien tandis qu’elle s’installe face à toi. Tu es bien embêtée par sa question : comment lui expliquer que tu ne sais pas toi-même comment tu vas ? Comment elle irait, elle, à ta place ? Quelle réponse te vaudra d’être enfermée sous surveillance ? Que veut-elle entendre exactement ? Indécise, tu te mords la lèvre, tortillant tes mains sur tes genoux. Tu la connais bien peu, l’exotique Ruiling, et même si tu aimes beaucoup la sonorité de son prénom – et que tu as, peut-être, une esquisse de chanson s’en inspirant – tu n’es pas sûre de ce que tu peux lui dire. Tu ne veux pas paraître faible. Tu ne veux pas inspirer la pitié. C’est la fierté qui te fait redresser la tête, relever un peu le menton, et rencontrer enfin ses yeux. Peu importe ce qu’elle va y lire, au fond – elle n’entendra que ce que tu voudras bien lui dire, n’est-ce pas ? « … Bien. » finis-tu par répondre du bout des lèvres, gravement, avec toute la solennité d’un témoin devant le tribunal. « Je suis en vie, indemne ou presque, je n’ai vraiment pas de quoi me plaindre, » ajoutes-tu en haussant les épaules, faussement désinvolte, « tout le monde n’a pas eu ma chance ! »

Comme la pauvre Yekaterina, par exemple, ou même encore Veronica, sûrement alitée en observation à proximité. Oui vraiment, tu as eu de la chance… « Et vous, docteur, vous tenez le coup ? » demandes-tu à mi-voix, bien consciente du stress que ces derniers jours a dû causer à la Chinoise toute sérieuse qui te fait face.

Il y a comme une ombre qui passe dans le visage du médecin, lorsque tu l’interroges. Elle ne s’attendait peut-être pas à ce que tu lui renvoies la question ? Cela te semble bien normal, pourtant : comment avoir confiance en la personne supposée te soigner, ou du moins censée veiller à ton équilibre mental, si elle-même n’est pas en état de s’occuper de toi ? Le bien-être de Ruiling est peut-être le plus important parmi tous les autres membres de l’équipage – car c’est elle qui est chargée de veiller sur vous. Il est hors de question que le cordonnier soit le plus mal chaussé à bord de Voyager : la survie de l’humanité est en jeu, tout de même ! Tu supposes que la gouverneure Wang a fait le nécessaire pour s’assurer que le docteur Zhao soit en état d’exercer, mais tu ne peux te défendre d’une certaine paranoïa que tu traînes à fleur de peau depuis… à peu près ta sortie du caisson. Elle a l’air de tenir le coup, en tout cas : d’après les rumeurs qui courent au sein de l’équipage (et Dieu sait combien ton poste au Bright Venture te permet de connaître tous les ragots du coin), Ruiling n’aurait montré absolument aucun signe de crise de nerfs en préparation. Est-ce là le légendaire stoïcisme des Chinois ? Ou simplement une volonté acharnée de sauver les apparences ? Quoi qu’il en soit, tu ne peux qu’admirer son self-control : toi, tu t’es endormie en larmes pendant le premier mois, et tu n’as pas arrêté de faire des cauchemars affreux ensuite. Même si, ça, tu ferais peut-être mieux de ne pas le mentionner : quelque chose te dit que la gentille docteur pourrait se montrer extrêmement ferme, et tu n’as pas vraiment envie d’être placée sous surveillance renforcée.

La docilité est sûrement le meilleur moyen de mettre Ruiling de ton côté ; tu opines donc sagement du chef lorsqu’elle te demande la permission de t’examiner. Elle est médecin, après tout : il faut bien qu’elle base son diagnostic sur quelque chose… « Je n’ose même pas imaginer la panique en cas d’épidémie. Tout le monde est un peu tendu, vous avez dû vous en rendre compte après avoir examiné tous ces gens… » Ta grimace évocatrice traduit bien à quel point tu as peu foi en les compétences de maîtrise de tes camarades d’infortune. En cas de danger, ce sera sauve qui peut, chacun pour soi, tu en es persuadée – et tes propres chances de survie te semblent nettement plus minces que celles de tous les autres, qui ont au moins une formation scientifique ou pratique susceptible de les aider quelque peu. « Votre calme m’impressionne beaucoup, docteur. » te sens-tu obligée de confesser. C’est quoi, son secret, pour tenir bon de la sorte ? A-t-elle accès à des pilules magiques ? Ou peut-être même à des réserves clandestines de substances prohibées susceptible de lui faire un peu oublier cette galère ? Tu lui demanderas plus tard. Éventuellement. Si elle décide que l’examen qu’elle est en train de réaliser ne justifie pas ton internement immédiat.

« Vous devez en avoir assez que les gens viennent vous voir avec la peur au ventre, non ? » À peine as-tu articulé ta question que tu voudrais la ravaler. Même si elle a conscience de la méfiance prudente de l’équipage dès qu’il est question d’entrer dans son bureau, le lui rappeler aussi brutalement n’est certainement pas la meilleure manière de t’en faire une amie ! « Pardon, c’était assez indélicat, comme question. » t’empresses-tu d’ajouter, un peu confuse.

Est-ce qu’elle a paniqué, la très sérieuse Ruiling, quand elle est sortie de son caisson de cryosommeil ? Est-ce qu’elle a demandé pourquoi elle, est-ce qu’elle s’est demandé ce qu’elle avait fait pour compter au nombre des rescapés ? Est-ce qu’elle a regretté d’être tirée du bienheureux oubli pour se voir projetée dans cette réalité cruelle ? Est-ce qu’elle a voulu rejoindre ses êtres chers dans la mort pour ne plus avoir à porter ça ? Est-ce qu’elle a maudit son dieu, est-ce qu’elle lui a demandé des comptes dans le secret de ses pensées, est-ce qu’elle s’est révoltée contre les choix de la destinée ? Est-ce qu’elle doute d’être capable ? Est-ce qu’elle craint de s’effondrer, de craquer et de perdre pied ? Est-ce qu’elle a peur de ne pas être à la hauteur ? À l’observer, ainsi posément installée, tu en doutes. Ces terreurs-là, ces pensées noires, cette nostalgie toxique, ce sont les tiennes, et les tiennes uniquement… Ruiling, elle, semble bien plus courageuse que toi. Toi, tu n’es que la barmaid, après tout : facilement remplaçable. Ta place, tu l’as achetée : tu n’as pas eu besoin de prouver que tu étais utile. C’est là tout ce qui vous distingue l’une de l’autre, Ruiling et toi : elle est incontestablement l’une des personnes les plus importantes à bord, et tu lui es reconnaissante d’avoir trouvé dans son emploi du temps chargé le temps de s’occuper de ton cas. Il va falloir jouer serré, pourtant, et lui cacher à quel point les récents événements t’ont secouée. Elle n’a pas besoin de savoir, pour tes cauchemars, tes peurs et tes angoisses. Quant à tes hallucinations du coin de l’œil, c’est sûrement juste la fatigue qui te joue des tours : tu ne dors que très peu, et affreusement mal, c’est tout à fait logique.

Inutile d’inquiéter le bon docteur Zhao avec ces bêtises.

Un sourire crispé étire tes lèvres, lorsqu’elle mentionne les paparazzis. Tu en as, des souvenirs complètement absurdes, de harcèlement, de l’abdication de toute idée de vie privée, de conduite dangereuse – la tienne, et la leur. Un soupir pensif t’échappe, tandis que ta mémoire ouvre des tiroirs que tu n’as pas osé approcher de trop près depuis ton réveil. « Les paparazzis encore… C’était la règle du jeu, vous comprenez ? Ils faisaient leur boulot, et en devenant célèbre je savais que ça arriverait. C’était un package : la renommée, la gloire, et la traque. Non, le pire – ce sont les fans. Pas la majorité, hein, la plupart sont tout à fait normaux ; mais y’en a toujours quelques-uns qui sont… qui sont dérangés. Malsains. Je me rappelle d’avoir été terrorisée, par moments, en recevant certaines lettres. Des fois y’avait des photos avec. Ou des… des cadeaux. Des choses inimaginables, docteur… » Tu en frémis, rétrospectivement. Tu es incapable de désigner le plus angoissant. Les sous-vêtements déchiquetés en lambeaux, ou les cadavres de petits animaux ? La police pensait que c’était le même expéditeur. Ils ne l’ont jamais attrapé. Il doit être mort depuis des siècles, maintenant, mais… le souvenir de la terreur, lui, est toujours là.

Et tu n’avais pas vraiment besoin de te remémorer tout ça. « Disons que je ne suis pas mécontente d’en avoir terminé avec tout ça. Pas de paparazzi à bord de Voyager, et le secteur presse censé documenter le voyage est encore endormi, alors… J’ai plutôt la paix, de ce côté-là. » Tu hausses les épaules, écarquillant les yeux dans ta plus belle imitation d’un air innocent. Tu vas très bien : voilà ce qu’elle doit inscrire dans ton dossier !

Les talents des paparazzi, dit le docteur Zhao. Tu espères bien qu’aucun n’a été pris au sein de l’équipage. De toute façon, tu doutes qu’un membre de cette corporation méprisable ait pu rassembler suffisamment d’argent pour couvrir le prix exorbitant de la carte d’embarquement ! Et si jamais l’un d’eux a réussi… si jamais tu te retrouves face à face avec un de ces suppôts de Satan sans principes… tu pourras toujours laisser entendre qu’il trafique de la drogue ou qu’il sait où est l’alien, à portée d’oreille de Hassan. Les grandes compétences professionnelles et le sérieux remarquable du directeur de la sécurité feront le travail pour toi. Satisfaite de ton plan, tu hoches machinalement la tête, avant de reporter ton attention sur Ruiling, qui vient de déclarer ton pouls normal. Parfait ! L’angoisse omniprésente dans tes tripes n’affecte visiblement pas ton système sanguin, c’est une bonne chose. Il ne manquerait plus que tu développes des problèmes cardiaques, après être venue si loin de la Terre… !

Tu n’as visiblement pas réussi à distraire suffisamment ses pensées : elle ramène la discussion sur ton état de santé, et plus spécifiquement ta santé mentale. C’est un sujet que tu ne tenais pas nécessairement à aborder : tu ne sais pas vraiment toi-même comment tu te sens, en fait. Bon, tu sais que tu as peur, que tu es sous pression, tout le temps, constamment ; tu sais les cauchemars qui te réveillent chaque nuit, tes cris d’angoisse qui empêchent Siya de dormir tranquillement, tu sais parfaitement que tu sursautes dès qu’un mouvement brusque a lieu à la périphérie de ton champ de vision, et que tu pleures parfois pendant des heures sans pouvoir en nommer la raison précise. Est-ce qu’un tel comportement fait de toi une personne malade ? Est-ce que la gentille docteur Zhao va t’enfermer en isolement pour ne pas que tu te mettes à attaquer les gens ? Pour ne pas que tu mettes en danger le reste de l’équipage ? Ou pour que tu évites de t’en prendre à toi-même… ? Tu n’as pas particulièrement d’idées destructrices – plus maintenant, pas autant que dans les premiers jours de ton éveil – mais tu as déjà pensé, occasionnellement, que tu serais mieux si on ne t’avait jamais réveillée ; ou mieux, si tu n’avais jamais quitté la Terre pour commencer. C’est une pensée qui est revenue à plusieurs reprises, c’est vrai. Au point qu’une fois, tu as envisagé de prendre un crayon, un carnet, et d’en faire une chanson pour exorciser l’appel du vide. Mais tu n’as pas concrétisé cette hypothèse : ta vie d’artiste, elle est loin derrière toi. Créer quoi que ce soit ne serait qu’un rappel trop cruel de tout ce qui ne sera plus. Ce nouveau monde n’a pas besoin de chanteuses, ni de nouvelles chansons. Il a besoin d’ouvrières sérieuses, et de leur motivation.

Un soupir désabusé pourrait être la seule réponse que tu ferais à Ruiling, mais elle t’a traitée avec une grande correction jusqu’ici, tu lui dois bien la courtoisie d’une réponse complète et détaillée. Un second soupir t’échappe, plus résigné que triste, et ton regard qui parcourait les angles de la pièce finir par revenir se poser sur elle. « Je me prends parfois à songer à ce qu’était ma vie sur Terre. À tout ce que nous avons laissé derrière, alors que nous pensions revenir. J’ai… » Peur. Tu as peur, Tina ; tu es terrifiée. Comme tout le monde à bord de cette foutue arche. « Des regrets. » Tu pourrais aussi t’arrêter là. C’est une réponse sûre, sans risques, inoffensive. Mais tu dois l’honnêteté au docteur, du moins autant que possible. Autant de sincérité dans tes semi-vérités que ta fierté pourra le supporter. « Je regrette d’être partie, tout en étant quand même stupidement soulagée d’être en vie. Et je regrette aussi qu’on m’ait réveillée. J’aurais préféré mourir dans mon sommeil sans avoir conscience de ce qui nous arrive, ou bien être tirée du sommeil une fois la station sécurisée et une planète viable colonisée. Je me sens inutile, ici, docteur. Spectatrice. Encombrante. » Le dernier mot s’arrache de ta gorge. « Indésirable. », finis-tu par murmurer en baissant les yeux.

Tu n’as jamais été vraiment à l’aise, avec les médecins. Il y avait de ces histoires folles, à la favela quand tu étais petite, de docteurs un peu trop insistants avec les petites filles. Parfois aussi avec les petits garçons. Toute la communauté s’était mobilisée. Il y avait eu un lynchage sauvage. Puis la loi martiale dans les rues de terre, pendant des semaines. Et quand les nouveaux docteurs sont arrivés, la méfiance et l’hostilité des habitants a été telle qu’ils ont fini par repartir. Devenue célèbre et richissime, quand il a fallu t’associer à des œuvres caritatives, tu as soigneusement choisi. C’est à Doctors Without Borders que tu as prêté ton visage ; c’est pour eux que tu t’es faite porte-parole et mécène, parce que ces médecins-là n’ont jamais porté la main sur un enfant dans ton bidonville. Tu es allée avec eux rencontrer les gosses qui cavalent dans la poussière, pendant deux semaines intenses qui t’ont replongée dans la misère de ton enfance. Tu t’y étais sentie chez toi, au milieu de tous ces gens affamés, sales et misérables, mais débordant de solidarité, de résilience et d’un courage digne qui t’a souvent mis les larmes aux yeux. Ces médecins-là, ça pouvait aller.

Mais les docteurs tous propres et bien apprêtés, comme la jolie Ruiling ? Ceux qui te regardent avec l’air de tout savoir de toi, même tes plus noirs secrets – même si c’est simplement l’aura de la compétence qui la nimbe toute entière, même si elle ne cherche pas à t’impressionner, même si elle essaie simplement de te mettre en confiance, tu te crispes. Oh, tu attendais quelques conseils moralisateurs, quelques poncifs bien éculés pour t’encourager à prendre sur toi et à cesser de t’apitoyer sur ton sort. Tu n’attendais pas ses confidences, par contre ; et ta gorge se serre tandis que tu y portes involontairement la main. Tu n’as pas chanté depuis ton réveil – même pas une simple mélodie fredonnée sous la douche – mais la simple idée de ne plus jamais pouvoir le faire te terrorise. Ce n’était pas ta vocation, toi la danseuse qui a commencé comme reine de beauté dans la misère ; mais c’est devenu ta passion. Être privée de ça… un frisson d’angoisse te parcourt l’échine à cette hypothèse, et tu déglutis nerveusement. « Je-je suis navrée d’entendre ça. Personne ne devrait avoir à porter le deuil de ses rêves. » Mais c’est ce qui lui a permis de devenir celle qu’elle est, n’est-ce pas au moins une bonne conséquence ? Tu ne peux t’empêcher de ressentir un élan de sympathie pour cette femme, d’autant plus lorsqu’elle tente de valoriser le travail de fortune qu’on t’a donné, et tu hoches doctement la tête pour manifester ton écoute attentive. Tu n’y crois pas vraiment ; mais c’est quand même gentil de sa part d’essayer de te remonter le moral !

Un opéra de Beijing.
Quelle tristesse.

Tu te secoues mentalement, et tu reportes ton attention sur le docteur Zhao qui est repassée en mode médical, abruptement. Fini, les confidences ? Ce qu’elle te propose te fait te redresser sur ton siège, droite comme un i. Voyager est remplie d’aliens qui tentent de te bouffer toute crue, et elle veut que tu poses les pieds sur une planète… ? Comment être sûre que rien de plus dangereux ne t’attend là-bas ? Ou pire, que la station ne repartirait pas sans toi ? L’idée est intéressante, quand même ; tu as toujours aimé l’air libre et les grands espaces, alors pourquoi pas ? Plissant les yeux avec méfiance, tu ne peux retenir quelques questions angoissées. « Quelle planète ? Vous êtes certaine qu’on ne risque rien en quittant Voyager, docteur ? Est-ce que… est-ce que vous viendriez aussi ? Je pense que je me sentirais plus en sécurité si vous étiez là… » avoues-tu en contemplant le bout de tes doigts, les mains sur tes genoux, baissant piteusement le nez à avouer ton manque affligeant de courage.

Ah. Visiblement, ils n’ont pas encore arrêté leur choix sur la planète où envoyer l’équipage en villégiature – tu ne sais pas trop ce que tu penses de cette idée, en toute honnêteté. Plus jeune, tu adorais voyager, c’est un fait : après ton sacre de reine de beauté, tu as parcouru la planète pendant un an, en ambassadrice de bonne volonté, pour promouvoir toutes sortes d’opérations humanitaires, assister à une quantité d’inaugurations officielles, et attirer l’attention du public sur de nobles causes obscures. Et puis, avec Sunrise, tu n’as jamais vraiment arrêté : chaque année, une tournée différente t’emmenait aux quatre coins du monde, et tu te sais privilégiée d’avoir ainsi posé le pied sur tous les continents et visité plus d’une cinquantaine de pays différents. La petite Tina des favelas n’aurait jamais rêvé d’une vie aussi riche en découvertes – mais la Tina de maintenant se découvre une prudence farouche à l’idée de visiter un nouvel endroit. C’est une nouvelle galaxie, après tout – et les planètes qui s’y trouvent n’ont vraisemblablement pas grand-chose de commun avec la Terre !

Mais le personnel médical semble y avoir bien réfléchi, dans tous les cas – tu peux éventuellement accorder à la gentille Ruiling le bénéfice du doute, elle semble après tout fort dévouée au bien être psychologique de ses patients ! Ce n’est pas le cas de tous les officiels du bord, et la considération dont elle fait preuve te fait quand même chaud au cœur. Il faut bien admettre que la sédentarité te pèse… Tu ne te promènes pas vraiment à bord, l’essentiel de tes journées se déroule entre le Bright Venture et ton dortoir. Voir quelque chose de neuf te changera peut-être les idées ? Tu n’utilises pas l’Imaginarium, contrairement au reste de l’équipage : voir le rappel de tout ce que vous avez perdu ne te tente absolument pas, alors… oui, le docteur a peut-être raison. Quelque chose de nouveau, c’est positif, non ? C’est porteur d’espoir, qu’un jour peut-être, vous pourrez reconstruire votre civilisation sur une nouvelle planète.
Peut-être.

Pour l’instant, tu veux te raccrocher à cette idée. Le docteur Zhao poursuit ses explications, et tu te prends à opiner pensivement du chef. Elle ne t’impose pas, elle te propose – et avoir ce choix ne fait que renforcer ta confiance en ce qu’elle t’explique. « Je pense que vous avez raison, docteur. » avoues-tu après quelques secondes de réflexion silencieuse. « Je n’ai pas l’impression d’être très utile, à bord – n’importe qui pourrait servir à boire, je n’ai rien d’indispensable à la communauté. Peut-être que participer activement à l’exploration me fera du bien, alors pourquoi pas ? Trouvez-nous une jolie planète qui n’essaiera pas de nous tuer, et je vous suivrai avec plaisir, docteur. » conclus-tu avec un sourire un peu forcé, mais tout de même sincère. Tu ne t’imagines absolument pas partir explorer avec tous ces héros de guerre décorés de hauts-faits et tous ces scientifiques honorés des prix les plus prestigieux, mais pourquoi pas ! Tes disques d’or ne tiennent pas la comparaison, mais tu peux quand même essayer de servir à quelque chose. N’importe quoi. « Dites-moi docteur, est-ce que je dois prévoir un entraînement quelconque pour ça… ? Je ne suis pas particulièrement friande de musculation, mais s’il faut courir ou quoi, je peux essayer de caser ça dans mon emploi du temps… ? » Tu n’es pas spécialement amatrice de course non plus, en fait, mais ton entraînement de danseuse ne suffira peut-être pas pour préparer une expédition.