A la recherche de vrai café

Le bip de mon comlink me tire de mes pensées. Je lève les yeux de mon écran et constate qu’il est l’heure d’aller manger. J’enregistre les dernières analyses de données effectuées puis je quitte mon bureau pour rejoindre le réfectoire. Sur le trajet, je ne peux m’empêcher de vérifier les alentours, vu les dangers rodant sur Voyager, je n’ai guère envie de me retrouver face à l’alien ou face au meurtrier. Et vu les résultats des enquêtes tout le monde est suspect et ce n’est guère rassurant comme constat. Une fois arrivée à ma destination, je me sers et je regarde mon plateau repas avant d’observer la salle pour trouver une table de libre. Je repère Ellen Rivers et je décide de l’aborder, d’autant que j’ai une requête à lui soumettre.

- Bonjour, Ellen. Puis-je me joindre à vous ? Je me permets de l’appeler par son prénom. Etant compatriote, nous avons effectué notre formation dans le même centre. Nous avons déjà échangé quelque mots mais notre relation est restée purement cordiale et professionnelle jusqu’à présent. Je n’ai pas eu l’occasion de beaucoup discuter avec la directrice de l’approvisionnement depuis son réveil, même si nous avons participé ensemble à l’expédition sur Amazone. Comment allez-vous depuis la dernière fois ? En tout cas, vous tombez bien j’ai une requête à vous soumettre.

Bon, elle me concerne principalement mais peut être valable également pour d’autres voyageurs réveillés. En découvrant le café distribué sur Voyager, j’ai regretté de ne pas avoir pris des réserves de ceux que je buvais sur Terre et qui étaient d’une qualité bien meilleure. Et j’en suis venue à me demander s’il n’y en avait pas dans les stocks du vaisseau alors autant demander directement à la personne la mieux placée pour avoir ce genre d’informations.

- J’aimerai savoir s’il y a des réserves de café de qualité dans les soutes de Voyager, car je dois dire que celui qu’on nous sert actuellement est loin de mériter le qualificatif de « café de qualité ». Ou bien des plants de caféier que les équipes du directeur Campbell pourraient cultiver.

Après Ellen a peut-être d’autres préoccupations plus importantes que de gérer les besoins d’une cafeinophile comme moi, mais j’en profite pour faire remonter les soucis que peuvent éprouver certains éveillés face à notre nouvel environnement et à ses désagréments.

C’est fou de voir que la routine s’installe partout même en temps de crise.
Se lever, aller au travail, régler les soucis du quotidien, aller manger... surveiller du coin de l’oeil chaque recoin au cas où un alien s’y cache, observer ses compagnons d’un oeil inquisiteur car on sait qu’un meurtrier se cache à bord... Tout ceci est devenu le quotidien de Voyager et bien que peur et suspicion sans preuves ne soient pas dans la nature de Ellen, il faut bien avouer qu’elle marche d’un pas plus prudent et qu’elle observe davantage ses comparses.

La militaire n’est pas spécialement une solitaire mais elle ne cherche pas à tout prix le contact, c’est pourquoi il n’est pas rare de la voir manger seule. Depuis son réveil, elle ne s’est pas forcément fait beaucoup d’amis, elle à Meghan c’est tout ce qui compte et puis il y a Teddy à qui elle s’est attachée durant la formation de l’éleveur, ça lui a fait plaisir de découvrir qu’il faisait parti des éveillés.

Depuis, elle a revu quelques visages familier, et découvert de nouvelles têtes que ce soit dans son département ou ailleurs sur l’arche. Beaucoup la respecte, certains semble avoir quelques craintes et osent à peine lui adresser la parole comme si elle dégageait une aura de messie... bref, des conneries tout ça.
A part son statut de vétérante de l’expédition, elle n’est qu’une passagère comme les autres quoiqu’un peu plus cynique et expérimentée pour faire face aux situations de crise que bon nombre des voyageurs.

Lorsque Mackenzie approche avec son plateau et demande poliment de pouvoir s’installer à sa table, Ellen acquiesce tout en finissant d’avaler la bouchée de mixture sans saveur qui était servie par les synthétiseur.

Elle reconnut la jeune femme, elles étaient compatriote et avait toutes deux traversés les pluies acides de Amazone. Expédition qui avait apporté plus d’ennuis que de bénéfices mais dont tout le monde était revenu indemne, ce qui était le principal.

L’astronome posa son plateau puis s’enquit de l’état de santé de sa compatriote avant de dévoiler, sans même laisser à la directrice Rivers le temps de répondre, le but caché de sa venue.

Ellen releva la tête de son assiette et posa sa fourchette le temps d’écouter sa vis à vis avec un petit sourire cynique sur les lèvres.

Et vous demandez souvent aux gens comment ils vont sans leur laisser le temps de répondre ?

Son ton, bien qu’un peu brusque ne se voulait ni cassant, ni méprisant. Elle parlait seulement en toute franchise. Elle aimait mettre les gens face à leur impolitesse, surtout lorsque celle ci était presque devenue une norme sociale.
Qui de nos jours n’avait pas tendance à saluer chaque personne qu’il croisait d’un “Salut, ca va ?” sans attendre de réponse sincère à cette question et bien souvent sans même s’attendre à une réponse tout court.
Cela horripilait un peu Ellen qui était un peu de la “vieille école” comme certain dirait.

Ellen n’a pas l’air d’apprécier mon entrée en matière et je peux la comprendre, je ne lui ai pas laissé le temps de s’exprimer sur son état de santé, ce qui peut faire passer ma question pour une simple formule de politesse sans fondement. Mais loin de moi cette idée même si je pince les lèvres devant la rebuffade.

- Ça m’arrive parfois, je lui concède ce fait qui survient surtout quand j’ai une idée en tête et que je ne veux pas l’oublier. Mais cette histoire de café accapare une petite partie de mon esprit. Je ne voulais pas me montrer impolie. Bon, il est trop tard pour revenir en arrière de toute manière. Je m’assois suite à l’accord de la directrice. Alors comment allez-vous ?

Je réitère ma question en lui laissant cette fois-ci le temps de répondre. Je saisis ma fourchette mais garde mon attention portée sur mon interlocutrice pour écouter sa réponse. Je prends une bouchée de mon assiette avant de poser une nouvelle question.

- Comment ça se passe dans votre département ?

Après sa santé, je m’enquiers de son quotidien dans son département qui reste un des plus importants à mes yeux puisqu’il gère notre production. Je n’aborde pas de suite ma requête pour ne pas paraître empresser, je la laisse revenir sur ma demande si elle le souhaite sinon je la relancerai au cours de la conversation.

Au moins la jeune femme n’essayait pas de noyer le poisson en essayant de lui faire croire qu’elle avait réellement attendu une réponse sur son état de santé.
Elle sourit à l’astronome lorsqu’elle admit cet oubli de sa part et l’invita à s’asseoir d’un geste de la main.

Je vais bien même si cette nourriture est infâme.

Une petite remarque pour alléger l’atmosphère après son accueil un peu froid. La jeune femme qui est maintenant assise en face d’elle à la bonne idée de ne pas rebondir immédiatement sur son envie de bon café. Ellen apprécie tout en étant un peu amusée de voir que Mackenzie fait maintenant davantage attention à être polie. La vétérante hésite un peu entre arrêter le suspense pour l’amatrice de café ou la laisser mariner encore un peu.

Je crois hélas que notre département est comme tous les autres, il manque cruellement de stock et de moyens humains.

Elle s’interrompt une seconde à peine avant de se pencher légèrement vers l’avant comme si elle allait donner une information secrète à la jeune femme.

Et pour ce qui est de bon café... je n’ai trouvé que des paquets éventé et du grain sans saveur. J’ai bien retrouvé de la chicorée... mais ça n’a pas le même goût.

La vétérante soupçonnait que quelqu’un avait déjà cherché à satisfaire son envie de café avant qu’elle ne soit réveillée et ne remette un peu d’ordre dans les stocks.

Je crois bien qu’il y a quelques plants en stase hélas ils ne sont pas prioritaire pour la mise en culture. Les caféiers sont des espère très vulnérable et il faut terminer l'arboretum avant toute chose.

Elle laissa à Mackenzie un peu de temps pour digérer l’information tout en continuant à manger la mixture qui était communément servie à bord.

Et vous Miss Duhammel, comment vous portez vous ?

La remarque d’Ellen sur la qualité ou plutôt l’absence de qualité de la nourriture m’arrache un sourire. Elle n’a pas tort, les plats manquent de la patte d’un cuisinier. Elle ajoute que son département manque d’effectif et de stock, ce que je comprends très bien, mon propre département ayant le même souci en termes de personnel. Je pique dans les aliments de mon plateau jusqu’à ce qu’elle se penche vers moi, comme pour une confidence. J’interromps mes gestes, attentive à ce qu’elle va me dire. Ainsi Ellen n’a rien trouvé dans les stocks pouvant ressembler à du vrai café et je fais une moue lorsqu’elle mentionne la chicorée. C’est bien loin de satisfaire une amatrice de café, ça peut le pallier quelques temps mais pas indéfiniment. Par contre, je me redresse légèrement quand elle m’informe qu’il y a bien des plants de caféier mais qu’ils ne sont pas prioritaires.

- Oh, je vois…. Au moins je sais qu’un jour j’aurai peut-être la possibilité de voir de vrais grains de café. J’espère au moins qu’ils ont sélectionné de belles variétés. Il va falloir que je prenne mon mal en patience alors, du moins jusqu’à ce que l’arboretum puisse accueillir ces plants.

Bon, même si je suis un peu déçue de la réponse de la directrice, je garde en mémoire que les réserves en stase sont prometteuses. Je prends une nouvelle bouchée de nourriture avant d’entreprendre de répondre à mon interlocutrice.

- Ça fait aller vu les circonstances, on s’adapte, comme tout le monde je crois… Je garde espoir que l’immensité de l’univers recèle des planètes viables et que Voyager nous mènera à celles-ci.

Je reste optimiste en dépit des successions de mésaventures qui s’abat sur nous, même si je peux me montrer cynique suivant les circonstances, mais de toute manière, je dois faire avec, je n’ai pas d’autres endroits où me réfugier que le vaisseau.

- S’occuper de petits problèmes tels que trouver du bon café peut donner un peu de légèreté à notre quotidien. Mais ça reste mon point de vue, peut-être qu’Ellen à d’autres chats à fouetter que de satisfaire les envies d’une seule passagère. Et puis le secteur Divertissement fait au mieux pour nous changer les idées. Vous avez déjà participé à l’une de leurs activités ?

Je prends régulièrement part à leurs animations quand mon emploi du temps le permet, néanmoins je n’ai pas souvenir d’avoir croisé Ellen lors de l’une d’elles.

Mackenzie semblait du genre raisonnable malgré sa quête un peu futile de bon café vu les circonstances auxquelles Voyager et son équipage devaient faire face.
Ellen pouvait comprendre ce besoin de retrouver quelque chose de familier et de bon!
N’avait elle pas elle même fouillé le stock dans une quête similaire quelques semaines après son réveil ?

La vétérante ne pouvait qu'acquiescer, l’adaptation était un facteur essentiel pour vivre sur Voyager, et même si le recrutement avait pris en compte cet aspect psychologique pour l’équipage, personne n’avait été préparé à se réveiller avec 900 ans de retard!

Ellen lui sourit, se lancer dans une quête de réconfort, comme ce fameux café, était de son aveu, une façon d’alléger un peu le quotidien. En effet, la trivialité d’un tel but soulageait après les recherches sur les nouveaux artéfacts, les corps stellaire, les casse tête sur la gestion des stocks, des vivres et des hommes et femmes du bord, les doutes sur l’avenir de l’humanité.
Les équipes du divertissement faisaient leur possible pour permettre à chacun de souffler un peu, mais ce n’était qu’un répit de courte durée.

Pas vraiment, je suis allée boire un verre une fois ou deux en écoutant quelques musiciens mais je préfère le calme de ma cabine et la compagnie d’un bon livre.

Même si Ellen n’était pas forcément une solitaire pure et dure, elle appréciait de pouvoir s’isoler et la différence d’âge avec une grande partie de l’équipage ne la poussait pas vraiment à s’associer à leurs activités ludiques.

Et vous, qu’avez vous fait pour vous distraire un peu ces derniers temps?

Elle eut à peine le temps de terminer sa phrase que quelqu’un hurla dans le coin opposé du réfectoire.