Dans le doute, reboot. • Poppy

●1990●
Au plus chaud de l’année Poppy vient au monde. Petite dernière d’une famille de déjà deux enfants, trois avec elle, elle ouvre les yeux à la maternité d’Adelaide, en Australie.
Ses parents, Kate et Andrew, sont deux agents immobiliers à la réputation respectable. Lui est Australien, elle également - mais d’origine écossaise. Poppy sera la dernière de leurs trois enfants : la petite rousse aux yeux grands ouverts les occupera bien assez, en plus de leurs deux fils aînés âgés de six ans.

●1994●
Poppy grandit dans une maison de Medindee, banlieue riche d’Adelaide. Ses parents sont plus ou moins là : la cohésion familiale, qui se délitera grandement au fil du temps, est forte. Ses frères de 10 ans jouent avec elle quand elle le demande, s’occupent d’elle quand elle en a besoin. Et si quelquefois ils lui jouent des tours pendables, la petite rousse ne leur en tiendra pas rigueur - même si ses colères sont mémorables. Elle apprend à lire avec eux et sa mère quand viennent ses cinq ans : les images, c’est bien, mais les mots sont mieux.


●1996
Elle rentre à l’école en février 1996. La petite veut apprendre et ne se tait jamais. Elle aime questionner sur le monde qui l’entoure, sur n’importe quoi. Vive et joyeuse, petite boule d’énergie à l’écriture illisible.
Cependant, Poppy n’aime pas être interrompue dans ce qu’elle fait. Toute chose commencée doit avoir une fin et s’arrêter pour prendre une pause n’est pas une option. Elle aime jouer en extérieur avec ses amis, mais si elle n’a pas fini son travail quand sonne l’heure de la sortie, elle refusera de se lever. Petite tête de mule consciencieuse. Ses parents en rient, quand ils viennent la récupérer ! Étonnamment, ils rient moins quand il faut attendre trente minutes que la petite ait fini son art qui “ressemble à Jeremy”.
Avec les années, elle apprendra à se mettre en pause, à interrompre sa pensée au moins quelques minutes pour souffler ou changer de sujet.

●1998●
Les premiers “cours d’informatique”. Poppy se prend de fascination pour l’utilisation des ordinateurs et leur fonctionnement. Les explications de son professeur, pendant les rares heures allouées à cette matière, se résument à “c’est comme une télévision, avec de l’électricité… Et quand tu tapes sur le clavier ou que tu cliques, tu changes de chaîne.”
Ça ne lui suffit pas. À huit ans et demi, elle n’a pas le support ou les aides nécessaires pour comprendre une science encore bien obscure aux yeux de qui n’est pas dans le domaine. Alors, elle se force et se contient, elle demande à d’autres. Elle saura, que le monde le veuille ou non, parce que Poppy veut savoir.
(Elle a aussi volé une grande part des boules dans les souris. C’est une collection qu’elle entretiendra jusqu’à la disparition de l’espèce des souris-à-boules. )

●2000●
Le bogue qui ne vient jamais. Elle y pense souvent alors que la vie continue. Par curiosité, Poppy en apprend petit à petit plus sur l’informatique. Elle reste à la bibliothèque une fois l’école finie, avale les revues sur les micro-ordinateurs et les systèmes. Tout la fascine et à défaut de comprendre en détail Poppy s’imprègne de l’idée générale, posant les bases de sa curiosité. (La plupart du temps, elle ne comprend pas, mais elle crâne en prétendant que si. )

Elle est mignonne la petite rousse, avec ses couettes et son manuel IBM pour les Nuls, les pieds chaussés de sandales rouges qui ne touchent même pas terre. Elle est mignonne et un peu étrange.

En mars 2000, Poppy passe directement en cinquième année après un vague dialogue entre ses parents et l’école. Elle travaille dur pour réussir. Son arrivée est un peu compliquée, en plein cycle scolaire et la jeune a quelque mal à se lier avec les gens autour. L'année sera longue. Les suivantes aussi.

●2005●
Poppy a quatorze ans, de l’acné et une chambre pleine de pcs démontés récupérés en décharge ou chez des amis. Au lycée, la jeune ne cache pas sa passion et ses activités extra-scolaires. Les notes appuient son intérêt : excellente en mathématiques et en sciences, le reste se passe de commentaires. Elle travaille, dormant peu pour se maintenir à flot. (Et engloutit des litres de café. )

Elle aime construire, refaire à son idée. Précise, appliquée, même si prompte à la bouderie quand les choses ne vont pas dans son sens, elle griffonne des plans dans les marges de ses cours d’anglais pour les remettre au propre dans son cahier de projets à l’heure de la pause. Un petit groupe éclectique d'amis : sportifs, nerds, un emo pour le quotient minorité. Soirées sur révisions sur sorties, les jeunes se complètent et ont leur dynamique propre.
Elle se rapproche d’Hank, un jeune qui a une passion pour la science dans sa grandeur. Elle lui parle de ses bidouilles, de son intérêt qui doucement glisse vers les systèmes automatisés et les robots ; il réplique en lui parlant des étrangetés de l’univers, de la beauté de la Terre et des mystères cachés dans le cœur des étoiles. Ils se sont bien trouvés.
Elle commence à apprendre d’un instrument, se découvre une passion pour l’harmonica. Est-ce qu'elle sait en jouer correctement ? Pas le moins du monde.

En novembre 2005, Poppy termine la réalisation de son premier robot. Construit à partir de Legos et d’un système bidouillé grâce à des conseils sur le net, le “Nettoyomator” terrorise pendant quelques mois le chat de la maison. Prototype d’aspirateur télécommandé et programmable, il a juste assez d’autonomie pour faire le tour de la demeure Johnson - de plus en plus vide depuis que ses frères ont déménagé, que ses parents rentrent à peine. Poppy passe son adolescence seule dans l'immense propriété. Le silence de sa chambre la nuit résonne et l'empêche de dormir. La solitude s'incruste en son cœur. Elle en vient à craindre le sommeil et le silence.

●2006●
Un concours national de fin de secondaire occupera toute son année en préparant son certificat. Assistée dans la fabrication par un petit groupe, elle est la responsable en charge de la conception du projet.

Fin décembre 2006, son établissement présente au concours un jouet pour enfant. Le véhicule non radioguidé se déplace seul, tel un jouet autonome. Doté d’un capteur de collisions et d’un détecteur de mouvements, le robot est en réalité un relais lié au système de surveillance. Il détecte les intrus lorsqu’il est activé et déclenche le système d'alarme. Enfin, si on lui met des piles. Leur projet gagne la première place, de peu.
(Poppy niera toute influence, ou traumatisme, de Toy Story. Hank affirmera, des années plus tard, que ce machin lui file encore des cauchemars. )


●2007●
Elle rentre à l’université d’Adelaide pour un bachelor de robotique et mécatronique. Les études coûtent, en Australie et les dollars ne poussent pas en plein milieu de l’Outback. Elle économise sur le logement, sur les sorties, travaille en fin de semaine en réparant des pcs. Ses études la fascinent et elle se donne à fond - comme toujours. Si elle garde un œil sur les nouvelles technologies disponibles au grand public, la rousse est bien plus intéressée par les avancées techniques en robotique. Ses professeurs voient en elle une élève impliquée et passionnée, petite rouquine perdue au cœur de la promotion masculine. Elle n’hésite pas, d’ailleurs, à revendiquer son statut d’étudiante et à s’impliquer pour promouvoir l’égalité quant à l’accès à cette formation.
Son meilleur ami la suit dans ses études, entamant un cursus d’astronomie. Jamais ils ne se séparent réellement, même si leur petite bande déjà lentement se délite. Elle se fait de nouveaux contacts. Elle ne se méfie pas, de personne, de rien.

Avec l’âge viennent les premières amours. Et vient Samuel. De quatre ans son aîné, étudiant en robotique avec pour projet de construire le parfait androïde - rien que ça - il a l’étincelle. Il a la passion.
Poppy se met en couple avec lui en juillet 2007. Ses amis sont une bande bien plus âgée, plus dangereuse également que les cercles qu’elle a l’habitude de fréquenter. Elle n’en parle pas réellement à Sam, mais redoute toujours un peu l’influence de ceux-ci sur lui.

Fin 2007, alors que Poppy entre en deuxième année, est lancé le projet BlindSpot au sein de l’université. BlindSpot est un projet sur dix-huit mois : il s’agit de permettre une prise en charge des personnes nouvellement malvoyantes et aveugles, afin de leur apprendre et de les guider dans la vie de tous les jours. Poppy y participe, rejoignant l’équipe d’étudiants pour la plupart en fin de bachelor. Sam n’y croit pas, quand elle lui décrit le projet : stupide, un peu gamin, irréalisable. Elle acquiescera. C’est son propre de croire en ce qui ne marchera pas.

●2009●
BlindSpot, basé sur la structure et le système populaire de Nao est une réussite mitigée (pour ne pas dire un échec retentissant) et ne suscite pas l’intérêt auquel l’équipe s’attendait. Poppy a majoritairement travaillé sur certaines améliorations matérielles pour le robot : capteurs supplémentaires, commande vocale...

En juin, son frère Jeremy se marie et quitte l’Australie pour aller vivre en Suède avec sa dulcinée. Elle craint vaguement qu’il ne se transforme en glaçon, mais des nouvelles qu’elle reçoit régulièrement, le littéraire de la famille se porte plutôt bien.
Sam la quitte pour aller tenter sa chance aux USA. Le peu de tristesse qu’elle ressent à son départ lui confirme ce qu’elle avait commencé à penser quelques mois plus tôt : bon débarras.

●2011●
Poppy obtient avec les honneurs son bachelor et enchaîne sur un master en ingénierie mécatronique : penser, créer, organiser. Elle sera la seule de ses amis encore dans la branche à choisir cette orientation.

●Décembre 2011●
Poppy quitte le domicile familial. Son sujet de fin d'études lui prend trop de temps. Quelques combines et coups de fil à des amis de ses parents et la rousse se retrouve dans un appartement à deux pas de ses cours.
Elle s’installe dans un quartier bien proche de ses amis encore en études. Weekends chargés en perspective, nuits sans sommeil pour célébrer quand vient la nouvelle année au cœur de l’été brûlant.

●Mars 2012●
Phase de tests d’Apocalyse. Le robot est supposé être capable de patrouiller de manière autonome dans des conditions extrêmes. (Une chance que les tests se déroulent en Australie.)
…. Disons qu’il est encore en phase de test. Lors d’un essai de patrouille autonome, l’imposant bloc de métal s’emballe et fonce pour se crasher sur Poppy, la blessant au passage.
Sonnée, le bras pendant à moitié à l'envers et globalement molestée par un robot indestructible low-cost, la jeune femme est emmenée en urgence à l’hôpital, où un chirurgien aura l’immense privilège de retirer un éclat de métal de son bras et de la remettre en place.
S'en suivront de longs mois de rééducation et un suivi régulier. Elle n'en gardera pas de réelle séquelle.

●Octobre 2012●
Le chirurgien est devenu Anatole, puis Nat. Une adresse mail, puis un appel, puis un contact dans le téléphone de l’étudiante. Elle le tient au courant de ses projets, l’invite à passer voir son robot, boire un verre.
(Finir la soirée dans ses bras, parce qu’elle le peut, qu’elle l’aime un peu trop. )

Poppy postule pour un projet hors de son université, projet trouvé au hasard dans une descente au cœur des internets. Une société japonaise en association avec les hôpitaux australiens cherche à construire un robot-chirurgien next gen. Intéressée, elle leur transmet ses plans et exploits passés, son sujet de master, ses concours, ses projets personnels.
Le monde doit partir en flammes dans quelques mois, au pire. Elle ne le regrettera pas.

●21 décembre 2012●
À défaut de la fin du monde, c’est le début d’un avenir étonnant qui se profile. La jeune en dernière année de master, à quelques mois d’obtenir son diplôme, est acceptée au sein du programme. Elle intègre, à temps partiel jusqu’à la fin de ses études, l’équipe australienne travaillant sur les plans. Observatrice plus qu'autre chose, cela est supposé faciliter son intégration.
Bien qu’on lui ait assuré que le poste ne nécessitait pas une maîtrise du japonais, elle se plonge dans son apprentissage.

●Février 2013●
Poppy obtient son master et se lance à corps perdu dans le projet du robot-chirurgien. L’équipe australienne reste sur le site plus longtemps que prévu et c’est depuis Adelaide que la conception s’effectue, avec quelques voyages mensuels à Tokyo.
Elle présente Nat à sa famille mi-2013 : ce n’est rien, mais jamais encore n’avait-elle osé leur présenter quelqu’un. L’accueil est plus que mitigé – leur relation a débuté dans un contexte particulier et la limite est rapidement franchie pour eux quand il s'agit d'imaginer qu'elle n'a pas vraiment choisi d'être avec lui, qu'il aurait pu abuser de sa position.

●Décembre 2013●
La phase de conception est terminée. Poppy est demandée, ainsi que toute l’équipe, à Tokyo afin de superviser et encadrer le processus de fabrication. Elle n’hésitera pas - même si son cœur se déchire, ses intérêts passent en premier. Elle quitte l’Australie en laissant son amant et toute sa famille derrière elle. La relation ne tiendra pas la distance.

●Mai 2014●
Le robot Fujimi est dévoilé au public. Concurrent direct du leader états-unien Da Vinci, celui-ci est une révolution quant à sa précision et son mode de fonctionnement : des capteurs reliés au patient, une implémentation de réalité augmentée et des mouvements infiniment plus précis que ce que permettait jusque là son prédécesseur occidental. Poppy est ravie. Elle apparaîtra peu, mais sera mise en avant avec le reste de l’équipe d’ingénieurs - principalement japonais.

La firme lui propose un autre contrat. Elle hésite : certaines personnes lui manquent. Elle sait aussi qu'ici elle restera pour toujours une gaijin - une étrangère, trop rousse, trop directe, trop Australienne.
Elle aime ce pays d’un amour et d’une fascination qu’elle ne peut expliquer. Elle y a des amis, un petit logement minuscule dans Tokyo – minimaliste mais fonctionnel, un de ces appartements d’une dizaine de mètres carrés. Elle y a un cœur un peu réparé par des histoires sans lendemain – cheveux de feu qui fascinent. Alors, elle reste.
Seul Hank, éternel optimiste, n’est pas foutu de lui en vouloir parmi toutes ses connaissances restées au sud du monde. Le Japon, c’est presque à côté, pas vrai ?

●Janvier 2015●
Poppy, à 24 ans tout juste fêtés, dépose sa candidature pour le projet Voyager. Si de l’espace et du monde galactique elle ne sait rien de plus que le grand public - malgré les nombreux chats entre Hank et elle pour tenter de lui apprendre des choses incompréhensibles - l’idée de se joindre à l’équipe d’ingénieurs la fascine. Pensez-vous ! Créer, inventer, faire progresser la robotique et la science depuis si loin ! Si elle se sait jeune et plus inexpérimentée que d’autres, elle veut tenter.
Elle est, lors de l’envoi, dans les prémisses de la conception d’un androïde de premiers soins pour nouveaux-nés qui l'occupera deux ans. (Une idée stupide, selon elle. )

●2017●
Sa candidature est acceptée, dans les dernières, mais acceptée. Poppy fait part de la nouvelle à sa famille et ses amis, qui le prennent mal, se sentant abandonnés par celle qui déjà les avait largués pour le Japon. La culpabilité grignote son coeur, le troue un peu plus sans qu’elle ne le montre. Si le regret est grand, aussi lourd que la peine de décevoir et blesser ceux qu’elle aime et qui comptent pour elle, encore plus grand est l’avenir qui l’attend.

●2018●
Poppy intègre l’équipe d’ingénieurs en robotique. La formation se passe sans heurt.
Un dernier voyage en Australie est programmé lorsque vient l’heure des adieux. Ses frères et leurs femmes serrent les lèvres, refusent de dire réellement au revoir ; ses parents la serrent contre eux, murmurent des adieux qu’ils ont déjà dits deux fois ; Hank, jaloux de ne pas avoir été pris, lance une dernière blague qui tombe à plat. Elle n’a pas cherché à contacter Nat, ne lui a même pas parlé de sa candidature, sa présence manque, mais elle ne le dira pas. Les années sont passées et si elle garde encore dans son téléphone leurs photos et son numéro (par pure nostalgie), elle n’ose pas lui reparler.
Lui aussi, elle l’a depuis longtemps abandonné.
Et quand elle s’endort, avec leurs visages fermés en tête, Poppy quitte la Terre avec en bouche un goût amer.