C'est par le bien-faire que se crée le bien-être

Cela fait que quelques jours que Magda est réveillée, qu’elle s’est déjà mise à travailler. Acharnée et surtout affolée de voir dans quel état est son arche, qu’il est de son devoir d’agir tout de suite et elle ne s’arrêtera que lorsque tout sera en ordre. Elle aurait bien retroussé ses manches et réparé une à une les pièces défectueuses, mais l’urgence, là, maintenant, c’est de s’occuper des passagers. Elle a eu vite fait d’apprendre ce qu’il s’est passé dans la zone scellée, avec l’aide d’Hécate elle a monté une liste des passagers éveillés et s’est mis en tête de faire le tour pour voir s’ils tiennent le coup ou si elle peut faire quelque chose pour eux. C’est sa motivation première depuis le tout début du projet : imaginer une Arche dans laquelle on se sentirait bien, on serait heureux de vivre… Tous les messages qui défilent sur les écrans, Magda y croit dur comme fer. Elle a oeuvré pour ça et aujourd’hui encore, elle va tout faire pour que la suite du voyage se déroule mieux que le début.

Alors, c’est avec sa liste à la main, soigneusement organisée et triée par ordre alphabétique, qu’elle arpente toute l’Arche. Elle n’a pas commencé par le début de l’alphabet, ni par la fin, non elle a préféré commencer par les noms du milieu… Et c’est sur Poppy Johnson que ses yeux se sont attardés. Ingénieure en robotique, Hécate a dit. Signes distinctifs : Rousse. Combinaison : Orange. Magda est d’abord allée taper à la porte de son dortoir, mais personne n’a répondu. Alors, c’est dans le département robotique qu’elle a décidé d’aller voir et effectivement, dans une des salles une rouquine s’active déjà à la tâche.

Magda prend un instant pour répéter dans sa tête le texte qu’elle va dire. Elle tape à la porte trois fois, attend un peu, n’entend pas la réponse, peut-être que quelqu’un lui a dit d’entrer peut-être pas, elle n’est pas bien sûre. Elle entre quand même, en s’excusant. Elle a une voix douce et posée.

« Bonjour, je suis Magdalena Hofer, spécialiste aménagement à bord. Vous êtes bien Poppy Johnson ? » Même si l’information est clairement écrite sur la combinaison, par politesse Magda demande quand même.

« Puis-je prendre quelques minutes de votre temps ? Je fais le tour de tous les passagers éveillés pour voir si tout va bien, si vous avez des suggestions d’amélioration, des détails à me partager afin que vous vous sentiez mieux sur Voyager. » Magda sait que le temps est très précieux et que les ingénieurs ont beaucoup de travail à bord, mais le moral des troupes est trop important pour le délaisser et le négliger. Elle sait aussi qu’un bel espace, un aménagement agréable a des conséquences sur le bien-être de tous, alors si elle peut rendre service d’une façon ou d’une autre. Elle le fera avec plaisir.

«  Avant cela, j’ai quelques questions : depuis quand êtes-vous éveillée ? Et êtes-vous au courant des évènements survenus le 30 juin ? » Elle termine sa phrase par un sourire chaleureux et rassurant. Elle ne veut que le bien des passagers et la frontière entre son job de spécialiste aménagement et psychologue à bord est bien fine…

Magda hausse les sourcils et ne quitte pas son interlocutrice des yeux. Clairement, elle la dérange. Ce n’est pas grave Magda ne se démonte pas et s’approche d’elle. C’est important pour elle de connaître les passagers éveillés, elle a une quarantaine de noms, veut mettre un visage sur chacun d’eux, voir un peu comment ils sont afin de mieux appréhender les besoins de tous. Magda veut également faire passer certains messages.

Elle plisse les yeux et demande « Cet opérateur provient de la zone scellée ? » , elle essaie de comprendre sur quoi travaille Poppy, parce que ça l’intéresse et aussi pour se tenir au courant de l’avancée des événements sur l’Arche. Tout en parlant, Magda griffonne dans son carnet. Elle note que Poppy est déjà au travail, sa date de réveil et qu’elle a l’air d’aller bien - cela reste encore à déterminer officiellement. Elle en profite pour scruter l’espace autour d’elle pour voir si tout est en ordre. Cela a l’air d’être le cas. Discrètement, elle remet quelques objets bien droits et alignés. Elle se sait extrêmement maniaque ; voir trop – elle essaie de faire attention et de se maîtriser.

Elle pose doucement sa main sur celle de Poppy l’obligeant à arrêter ce qu’elle est en train de faire. Magda étant ingénieure de métier, a su choisir le moment avec le moins d’impact sur la réparation de Poppy. « Tout va bien Poppy ? Pas de peur particulière ? Pas d’angoisse liée aux aliens ? Vous vous sentez bien dans votre environnement autant ici que dans votre dortoir ? » autant que cela est possible, elle en a bien conscience… Sa voix est rassurante et posée, en la touchant elle ne veut pas l’agresser ni la heurter. Elle sait que certaines personnes n’aiment pas les contacts, mais elle a compris que ce n’est pas par sa voix qu’elle aurait eu son attention.

Magda craint que Poppy n’évite les sujets qui fâchent en restant concentrer sur son travail de manière acharnée. Ignorant que la jeune femme est monotâche. Magda allait insister jusqu’à temps d’avoir une réponse satisfaisante pour elle. Elle ne veut pas l’embêter trop longtemps, mais si ce n’est pas maintenant ça serait un autre moment et comme tout le monde est toujours très occupé. Il n’y a jamais de moments parfaits.

Magda voulait bien le croire que Poppy avait pris ses fonctions rapidement. C’était sans aucun doute que la jeune femme était une acharnée de travail et ce n’était pas étonnant qu’elle ait été prise à bord de Voyager. Et puis, il y avait déjà beaucoup de travail à bord. On lui avait raconté à Magda et puis les bruits de couloirs… Les opérateurs fous qui ont attaqué l’équipe d’exploration étaient au cœur des conversations pendant un temps. Que le groupe avait eu la peur de leur vie à cause des bruits de balles et de mitrailleuses alors que les chargeurs étaient vides.

Magda note sur son calepin : besoin de repère, quelque chose à laquelle se rattacher. Elle n’était pas psychologue et ne prétendait pas l’être, mais elle déduisait qu’éventuellement ce n’était pas une bonne idée de tout déménager sur le vaisseau. De changer le mobilier, la décoration de place que certains, pendant ces deux mois, avaient pris leurs repères et que ce n’était pas le moment de tout chambouler. Pour certains passagers, le réveil était synonyme de perte de toute leur famille restée sur Terre. Magda le savait ses parents avaient dû périr dans l’éruption solaire et elle compatissait envers tous les membres de l’équipage qui étaient dans la même situation. Magda leur avait dit au revoir comme si elle ne les reverrait plus jamais, elle se doutait qu'à son retour sur Terre elle n’aurait trouvé personne, mais elle avait quand même l’espoir… Et le rêve secret de rester dans l'espace toute sa vie...

Magda note à nouveau : seule dans son dortoir. Et sourit quand elle entend le compliment sur la station sur le fait qu’elle est plus qu’agréable, telle que promise. « Vous m’en voyez ravie ! » et Magda reprend et marque : « RAS » en guise de « okay ! ça lui plaît, elle valide. » Le vaisseau a été assemblé dans l’espace et donc avant d’y faire monter les membres de l’équipage en cryosommeil, elle n’avait eu aucun avis sur l’Arche. Certes, toutes les personnes qui avaient participé de près ou de loin à la construction de la station avaient, pour la plupart, approuvé les plans, l’aménagement, mais en pratique, cela devait plaire aux membres de l’équipage, c’était eux les principaux intéressés. C'était pour eux tout ça, pour qu'ils se sentent bien à bord pendant des années.

« En effet, ils sont dans la zone scellée. Il faudrait pourtant reprendre le contrôle de la Passerelle, surtout vu les circonstances, il faut que l’on remette en ''marche'' Voyager. J’entends par là : rallumer les propulseurs et reprendre la naviguation. On ne peut pas errer et divaguer comme ça encore 10 ans. » Magda restait vague au sujet des aliens, elle ne savait pas trop s’il serait aisé de les garder enfermés encore longtemps. Elle l’espérait vraiment. Sinon elle n’osait imaginer dans quelle panique et quel chaos sombrerait le vaisseau.

Avant de venir frapper à sa porte, elle s’était renseigné Magda et elle n’était pas aveugle, elle voyait clairement le fourbi autour de Poppy. Bazar qui ne l’était peut-être pas, mais pour la maniaque qu’elle était, cela commençait à la démanger de ne pas pouvoir aligner les outils de l’ingénieure… « Oui, vous avez raison. Je sais que des équipes d’exploration sont en train de se mettre en place pour que l’on puisse reprendre la zone scellée. C’est une priorité, j’imagine, pour les équipes logistiques et le département sécurité. On compte également sur vos opérateurs Poppy Johnson.   »

Sourire aux lèvres, fervente admiratrice du projet Voyager, elle s’était donné pour mission d’encourager les passagers à se donner à fond pour ce beau projet qui était maintenant leur arche de survie. C’était ce qu’elle était en train de faire avec Poppy : l’encourager (même si ce n’était pas la peine) à continuer à fabriquer des opérateurs. « Comme vous, j’espère que l’on pourra reprendre rapidement le contrôle du Voyager, ça serait mieux pour la navigation.  » Un petit rire échappa à Magda, elle essayait de rester positive, même si elle était quand même soucieuse pour l’avenir.

Magda était un peu déstabilisée par la question de Poppy. Elle, qui faisait partie de ces gens pro-Voyager. Elle, qui soutenait le projet dans sa globalité, malgré ses failles et ses défauts. La question de Poppy tomba un peu comme un cheveu sur la soupe, doutait-elle de la situation ? « Je ne saisis pas bien là où vous voulez en venir... L’Arche n’est pas comme vous l’aviez imaginée ?» Perplexe, elle attendait la réponse de la rouquine avant de se faire une idée, mais sur le coup Magda se sent un peu vexée. Elle a imaginé les plans du vaisseau et notamment l’intérieur de la station, a essayé d’imaginer un endroit convivial et fonctionnel alors si ce n’est pas ce à quoi on s’attendait… Cela pourrait toucher Magda en plein cœur cette remarque.

« Me concernant, je suis bien ici. À bord de Voyager. J’ai conscience que la station peut être améliorée pour que l’on s’y sente mieux, c’est pour cela que je suis devant vous aujourd’hui. Toutefois, c’est totalement ce à quoi je m’attendais, vous aviez d’autres attentes de votre côté ? Des désillusions peut-être au vu de votre question ? Vous savez, je suis quelqu’un de très maniaque,  alors oui l’environnement me perturbe souvent surtout lorsque ce dernier est mal rangé, mais il me semble que votre question est bien plus vaste… C’est une chance que nous avons d’être sur l’Arche. D’être les survivants de l’humanité, même si je n’aime pas trop dire ça… Il faut l’aimer désormais, c’est notre seul refuge, notre seule maison. »

La voix de Magda était calme et posée, mais on sentait dans l'intonation de sa voix qu'elle parlait avec passion. Elle s'interrogeait beaucoup sur cette question de Poppy qui l'étonnait un peu, mais elle avait un peu du mal à concevoir qu'on puisse penser différemment. Ce projet, c'était son rêve. C'était toute sa vie, alors il y avait un brin de déni dans son esprit. Elle voulait surtout comprendre ce que Poppy avait en tête.

A la fin de la discussion, Magda tourna les talons et sortie. La discussion avec Poppy allait lui permettre de beaucoup réfléchir sur l'avenir de la station et la perception des uns et des autres.