Paranoïa et club de golf : lorsque les peurs deviennent un danger

Hassan, comme tout le monde, a des envies de meurtre de temps à autre. Surtout lorsqu'un abruti de pilote s'amuse à massacrer à coups de club de golf les innocents passagers du vaisseau. Hassan n'en a pas cru ses yeux, son attention rivée sur les caméras comme toujours : quelques minutes qu'il suivait celui-ci, club en main, plus intéressé que par les quelques personnes déambulant dans le couloir entre les dortoirs ou celles quo semblaient ne pas retrouver le chemin de leur laboratoire, au niveau du département robotique. Il fallait dire que de voir quelqu'un se balader avec un club de golf à moitié levé de manière suspicieuse peut attirer l'attention du chef de la sécurité... D'autant plus lorsque de, de l'autre bout du couloir surgit une silhouette familière armée d'une louche... Et que leur rencontre résulte en une sauvage attaque, un fracas innommable plus que dangereux.
Donc oui, Hassan a des envies de meurtre quand un maniaque d'irlandais assomme à coups de club un membre de l'équipage.

Et ça n'a rien à voir avec le fait qu'il s'agisse de Tina - ça aurait pu être n'importe qui, l'envie aurait été la même.

Le directeur de la sécurité se retient de se précipiter à l'infirmerie pour engueuler proprement, avec les formes, le pilote. Faire irruption ainsi ne pourrait que perturber le travail des quelques médecins à l'oeuvre sur les deux blessés. L'irritation est là, pourtant, bien présente, bien ancrée en lui, et le libanais décide au bout d'une demi-heure d'y aller. Le temps de marcher jusqu'à la salle, il en a bien pour une autre bonne vingtaine de minutes. cela leur donnera l'impression que, non, il ne passe pas ses jours à scruter les moindres faits et gestes de chacun. 

Cinquante minutes, c'est bien. Cinquante minutes, c'est trop apparemment : lorsqu'on laisse le quadragénaire entrer dans l'infirmerie, il n'y trouve qu'une Leontina aux stigmates bien trop apparents de sa rencontre avec le club. (Il n'oublie pas la louche. Tina aussi a sans doute quelque tort là-dedans. )
Les bras croisés, l'air manifestement tiraillé entre l'envie d'hurler et celle de pousser un profond soupir, l'homme choisit d'en appeler à ce calme qui lui permet jour après jour d'endurer la vie sur Voyager. C'est empreint d'une profonde lassitude qu'il pose la question : « Tu comptes m'expliquer pourquoi l'autre irlandais de malheur* et toi vous êtes soudainement mis à vous battre au détour d'un couloir ? »


* Arabe

Spoiler:

N’importe où.
Ce maudit alien fugitif aux redoutables compétences d’esquive peut être n’importe où. Et tu le sais bien, Tina : tu l’as toi-même aperçu à trois reprises. Enfin, tu as cru l’apercevoir, plus exactement. Dans la pénombre de la couchette de Siya, juste derrière le rideau métallique, un matin en te levant (ce n’était qu’un pan d’un des châles sombres de ta colocataire). Puis tapi derrière le comptoir du Bright Venture, en prenant ton service (c’était le Visseur Fou en planque, que tu as mis en fuite en hurlant à pleins poumons et en l’attaquant à coups de tabouret). Et enfin à l’église, dans le confessionnal. C’était un opérateur en soutane, venu dire la messe. Tes cris d’orfraie ont alerté tous les fidèles venus prier et tu t’es confondue en excuses, à genoux devant l’autel, pendant une bonne heure au moins.

Bon, mais il pourrait être n’importe où, cet alien.
Et Hassan refuse toujours de te laisser porter une arme – même un simple taser. Quel mal pourrais-tu bien faire avec un taser, hein ? Mais non, rien à faire – alors, tu as pris l’habitude de te déplacer avec ta louche. Oui, la louche trouvée par le spécialiste Lee pendant votre aventure effroyable dans les conduits de maintenance – cette louche-là, que tu avais saisie au vol et gardée pendant ta fuite. Si jamais un alien essaie de te dévorer le visage, tu pourras au moins te défendre avec un minimum de contondance. Malheureusement, au coin du couloir, le bruit suspect n’est visiblement pas l’alien – et l’arme qui a fendu ton arcade sourcilière est clairement plus contondante que ta louche… Tu vois trente-six chandelles, et quand tu rouvres les yeux, tu es au sol, un liquide chaud et poisseux dégoulinant le long de ta joue. Tu clignes des yeux, un peu hébétée – dans ton oreille, une voix vaguement familière parle dans une langue que tu connais. De l’anglais, c’est de l’anglais – et ce n’est pas une de ces batailles de rue de quand tu étais gamine, c’est une coursive de Voyager, et Cieran l’Irlandais t’a assommée avec… avec un club de golf. « Il m’en faut un. » marmonnes-tu entre deux geignements de douleur ; et tu te laisses emporter à l’infirmerie par un pilote qui se confond en excuses et qui refuse de quitter ton chevet tant que les médecins ne l’ont pas rassuré en certifiant que tu t’en remettrais très bien. Tu as le souvenir vague d’avoir distraitement tapoté sa joue (« Ça va, ça va, tu es un gentil petit trèfle qui vole. »), les calmants administrés par Ruiling t’enveloppant dans un flou cotonneux très agréable.

C’est une autre voix familière qui résonne ensuite – une voix exaspérée que tu connais bien, et un sourire involontaire étire tes lèvres avant que tu ne te reprennes, t’asseyant au bord de la couchette où on t’a ordonné de rester. C’est plus fort que toi – cette voix-là véhicule une impression de sécurité dans ton esprit un peu traumatisé, et tu sais que tu peux être tranquille tant que le redoutable directeur Jaafar est là. L’alien ne te croquera pas sous sa garde ! Il a l’air contrarié – et en plissant les yeux pour tenter de réunifier les deux Hassan identiques qui se penchent sur toi, tu réponds avec autant de pertinence que tu peux convoquer. « Je peux avoir un club de golf aussi, monsieur le directeur ? C’est vraiment efficace. » Et de hocher la tête vigoureusement pour appuyer tes propos – avant de t’interrompre sur un couinement de douleur. « Vraiment, vraiiiiment efficace. » marmonnes-tu encore, un peu groggy, basculant légèrement en avant pour apaiser la tension sous ton crâne.

Hassan déjà dans son esprit élabore un plan de sécurité d'urgence rapport à l'autre Irlandais. Ce genre de comportement ne doit pas se reproduire, pas plus que l'incident s'ébruiter. Il aurait voulu le chopper là, juste à la sortie de l'infirmerie, le tirer vers une salle où s'expliquer. Le poser sur une chaise, fermer la porte à clé et au moins tenter de le raisonner à défaut de le comprendre.

Son pad, qu'il a emmené avec lui, lui a permis durant le trajet de rédiger une instruction brève envoyée aux deux militaires en service sur ce créneau : s'ils croisent l'individu armé - et ils sont, surtout, grandement incités à le chercher activement -,  lui prendre son club et le raccompagner avec "gentillesse mais fermeté" (pour être poli, l'ordre est bien plus sec) jusqu'à une salle vide et sécurisée, le temps qu'il se calme.
Dans les faits, le directeur veut juste être sûr que le gars n'aille pas massacrer le reste de l'équipage.

Face à Tina et à ses élucubrations un peu cotonneuses, son visage où danse la colère et l'agacement se fissure quelque peu : peut-être les médecins ont-ils forcé la dose ? Quoi que. Il n'y a rien de surprenant à ce qu'après un coup aussi violent celle-ci se retrouve groggy. «Tina...» Le soupir est éloquent. Le pad, qu'il tient en main encore, est déposé sur une tablette proche.

Le Libanais a juste le temps de prêter attention à la suite de ses paroles avant de la voir, du coin de l'oeil, basculer en avant. «Putain !**» L'homme se précipite pour la chopper aux épaules, ses mains l'aggripant fermement alors qu'il plie le genou ; pour garder une forme de balance et ne pas se pencher à un angle inconfortable, c'est le plus pratique qu'il ait trouvé.

«Doucement, doucement. Pas de club, non, répond le directeur tandis qu'il la replace sur son lit en position assise. Pas d'arme. Il n'aurait pas du y toucher. N'y pense plus. Ça tourne ? Tu devrais pas t'allonger ? »
Le rythme est lent, mesuré. Ses mains sur elle sont assurées, la retiennent du mieux qu'il le puisse - qu'elle ne bascule pas autrement.

La tête te tourne assez intensément, et c’est comme si la pièce dansait un peu, autour de toi. Tu doutes cependant que la gentille Ruiling ait équipé le mobilier de son infirmerie de l’option valse, alors c’est sûrement toi le problème – toi, et la bosse magistrale qui a enflé sur le côté de ton sourcil, là où le docteur Zhao t’a recousue avec un soin méticuleux. Tu n’aurais jamais pensé qu’un club de golf puisse faire une arme vraiment acceptable, mais force est de constater son efficacité sur un adversaire d’une envergure aussi dérisoire que la tienne. Si seulement tu arrives à t’en procurer un, tu pourrais sûrement te défendre contre… contre… quelque ennemi à peu près aussi redoutable que Siya. Moui. Le club n’est peut-être pas la meilleure idée pour le moment, tant que tu n’as pas plus de muscles. Peut-être que Jerry pourrait t’apprendre un joli swing, le tennis et le golf ne sont pas si différents, si… ?

Hassan est prompt à tuer tes espoirs dans l’œuf, et tu n’as même pas l’énergie de protester plus énergiquement qu’avec un grommellement étouffé. Tant pis, tu vas en rester à la louche – dès que celui ou celle qui te l’a confisquée acceptera de te la rendre. Peut-être que Hassan te l’a mise de côté pour quand tu iras mieux ? Mmm. Tu en doutes un peu. Tu lui poseras la question, quand même, une fois que le monde aura arrêté de tourner fébrilement autour de toi. Tu te sens glisser en avant, puis deux mains te rattrapent fermement, et tu retrouves une position assise plus stable. Plus douloureuse, aussi, autour de ta plaie – alors tu tends le cou et courbes la tête, posant le front contre une épaule placée très exactement à la bonne hauteur, du côté où tu n’es pas blessée. Là, c’est mieux ! Nettement mieux. Tu te sens glisser à nouveau, alors tu t’accroches, passant les bras autour de sa taille pour t’appuyer contre lui, bien calée.

« Allongée, j’ai mal… là, c’est bien. Tu ne bouges plus et ça ira très bien. Très bieeeen. C’est toi qui a ma louche… ? »

La posture est inconfortable, on ne va pas le cacher. Il n’a que quelques secondes à la tenir heureusement avant de se rapprocher un peu plus du lit, de manière à la tenir assise contre celui-ci. Le pire a été évité : il n’aurait pas su se le pardonner si la jeune chanteuse qu’il place, officieusement, sous sa protection personnelle – ça ne sert à rien de se voiler la face – s’était ramassée la tête la première sur le lino froid de l’infirmerie. Sans compter que ça n’aurait certainement pas arrangé son état qui fait peine à voir, sans parler des conséquences. Elle a été la victime d’une agression, clairement, au sein de la station. Si les points peuvent disparaître, comment l’esprit, lui, cicatrisera-t-il ?

Le directeur réagit à peine lorsqu’il sent sa tête se poser sur son épaule, tout juste lève-t-il un sourcil. Ses bras autour de sa taille en revanche provoquent un raclement de gorge de sa part. « Euh... »
Il n’est pas le plus éloquent des hommes, c’est un fait avéré.
« Cinq minutes. Pas plus, finit-il par capituler en la laissant se retenir à lui. Grand maximum. Je peux pas te servir de support jusqu’à ce que tu te sois rétablie. Faudrait que je te trimballe jusqu’aux caméras et dans ma cabine, ça serait pas pratique pour nous deux, tu ne penses pas ? » Un instant, dans son sourire gêné et amusé par la situation, il y a l’insouciance et le calme du Hassan qui n’ose plus sortir ces derniers temps. Celui qui dans l’angoisse de la station n’arrive pas à s’exprimer pleinement.
« Et non, ta louche est confisquée aussi. Plus de louche. C’est trop dangereux. »

Dans un soupir, il lui passe un bras autour des épaules maladroitement. S’il doit la garder dans cette parodie d’étreinte, autant qu’il ne reste pas les bras ballants. Le reproche perce un peu dans sa voix – il ne faudrait pas croire qu’il ne lui en veut pas juste car il se soumet à son désir farfelu. Il est déterminé à tirer les choses au clair, à faire la lumière sur l'agression à laquelle elle a pris part. « Où as-tu trouvé cette louche, d’ailleurs ? Et qu'est-ce que tu branlais avec ? »

La fatigue te semble décidément un excellent prétexte pour ce qui ressemble à un câlin improvisé. Hassan n’a pas l’air forcément très à l’aise, si tu en crois tes sens un peu embrumés, mais tant pis, tu as le droit : tu es blessée, après tout. Quand tu seras un peu plus stable sur tes jambes, d’ailleurs, tu iras faire un câlin à Cieran aussi, pour le consoler. Il était si désolé, quand il t’a amenée ici ! Tu espères distraitement qu’il ne s’inquiète pas trop. Ce n’était pas vraiment sa faute, tout ça – tu portes la moitié de la responsabilité, et dans un contexte aussi tendu qu’actuellement… ce ne sera sûrement pas le dernier incident dû aux nerfs tendus à l’extrême de tout l’équipage. Et tu as eu de la chance, d’être tombée sur Cieran : il a eu le réflexe de stopper son attaque dès qu’il t’a reconnue. Un autre aurait pu se rendre compte de la méprise trop tard… Enfin, on ne t’y reprendra plus. A priori. Sauf cas de force majeure.

Le commentaire d’Hassan te tire un sourire. « Je veux bien te suivre dans ta cabine quand tu veux, chef. » marmonnes-tu, avec un rire étranglé retenu au fond de la gorge. Peut-être te fera-t-il visiter la fameuse salle des écrans ? Et tu pourras définitivement infirmer ou confirmer les rumeurs – celles qui racontent qu’il s’y est construit un nid. C’est devenu une blague à bord : à chaque objet égaré, on prétend qu’il est « dans le nid de Jafaar ». Combien de fois l’as-tu entendu dire, au Bright Venture ? Un autre petit rire étranglé t’échappe. Il faudra que tu penses à demander à Ruiling ce qu’elle met au juste, dans ses anti-douleurs. Et si tu peux en avoir pour ta réserve personnelle. Juste un peu. Peut-être même que tu pourras en refiler à Hassan, discrètement, pour le déstresser un peu. Il a l’air si tendu, ce pauvre homme ! Et ce n’est sûrement pas un simple petit coup de louche qui l’a mis de méchante humeur, alors un peu de distraction lui fera sûrement du bien.

Sa question suivante te tire un grognement contrarié. « Je la promenais pour qu’elle prenne un peu l’air, qu’est-ce que tu crois ? Je m’en servais pour me défendre. Contre le satané petit suppôt démoniaque qui se balade en liberté dans le vaisseau sans que personne n’y trouve quoi que ce soit à redire. » C’est vrai, à la fin ! Tout le monde meurt de peur, mais personne ne semble déterminé à s’enfoncer dans les entrailles de Voyager pour débusquer l’intrus. Par crainte de ce que vous pourriez y trouver d’autre, certainement – mais le résultat est là. « Je te signale que si j’utilise une louche, c’est parce qu’on m’a pas laissée avoir une arme. Je me sentirais beaucoup plus en sécurité avec ! »

Bon, et tu aurais probablement tué Cieran. Certes.

Hassan n’est pas maladroit avec les autres en général : l’homme que tous pensent renfermé et bien peu prompt à se mêler à la civilisation humaine, solitaire de nature même ! Est bien loin en vérité de tout ce que l’on saurait dire sur lui. Sa véritable nature sociale et sociable ne peut juste pas s’exprimer en ces temps troublés. Lui qui prêche jour et nuit l’unité, la survie de la communauté, le groupe avant l’individu, est désespérément seul et prend petit à petit des airs d’ermite, reclus dans le département de la sécurité – le couloir qui dessert tour à tour les cellules d’isolement, son bureau et les salles de surveillance est la veine centrale de sa propre prison. On a trop tendance à l’oublier, que sous son air renfrogné, il y a quelqu’un qui ne cherche qu’à aller vers les autres.
Si seulement, des fois, les autres étaient moins cons.

Il lève les yeux au ciel sans répondre à la jeune accrochée à lui en équilibre instable. Qu’elle pense ce qu’elle veut de ce qu’il lui a dit. Le rire qu’il sent au fond de ses mots à la remarque loin d’être innocente n’est sûrement pas anodin : il connaît Tina, certes. Elle saurait, éventuellement, pour plaisanter lâcher un mot de ce genre. Mais pas à lui. Le Libanais a quelquefois l’impression qu’il lui fait peur, quelquefois, malgré les mois passés ensemble.
« Tu la pro-- oh. » Un peu lent, en ce moment, le directeur de la sécurité. Doucement il soupire. Exaspération qui se mêle à son souffle, teinte sa voix et adoucit à peine la dureté du fer qui se laisse entendre. C’est le militaire désormais qui parle à Leontina, et non Hassan, l’homme.

« Si tu avais eu une arme, tu aurais par réflexe tiré ou foutu un coup avec. Dans le meilleur des cas, tu lui aurais ouvert l’arcade ou laissé un beau bleu. Dans le pire, tu l’aurais abattu. » Ses yeux viennent trouver les siens, glacés. Il n’y a pas de peur ou de reproches, juste les faits pour l’heure. « Tu comprends ? T’aurais tué un homme, Tina. Tu penses que t’aurais pu vivre avec ça, en plus de l’alien qui court nos couloirs ? »
Le quadragénaire doute fortement. Personne ne pourrait vivre avec le poids d’un autre crevé par erreur. Elle aurait fini en isolement jusqu’à ce que l’on trouve quoi faire d’elle – aurait fini encore plus dingue qu’elle ne l’aurait, déjà, été. Avec délicatesse l’officier la détache de lui et la repousse sur le lit en faisant attention. « Il y aura des répercussions, autant pour toi que pour lui. Tu n’as pas à te défendre d’une louche, on est là pour ça. Pour votre sécurité. »
C’est sans doute le plus horrible, dans cette situation : plus les heures avancent, plus les jours défilent, plus la paranoïa grandit et plus Hassan se dit que tout son département ne sert strictement à rien. Qu’ils avancent à reculons dans le brouillard, trébuchent et s’effondrent sans cesse sans espoir de progrès.

La voix d’Hassan se fait réprobatrice, et tu pousses un soupir résigné. Bien sûr qu’il a raison, tu le sais parfaitement ; mais cela n’aide pas à atténuer le stress intense qui accompagne chacun de tes déplacements dans les couloirs de la station. Tu n’as pas vraiment l’habitude de craindre pour ta vie, et ces derniers mois ont été quelque peu éprouvants. Il le sait, évidemment – parmi tous les passagers, Hassan est sûrement celui qui en sait le plus long sur la laideur des démons qui viennent te murmurer mille promesses de détresse, dans le creux de l’oreille, lorsqu’un sommeil agité t’emporte enserrée dans ses filets comme dans l’étreinte d’un bourreau, pour te torturer dans le secret de ton esprit enfiévré.

Si seulement Hécate voulait bien se résoudre à vous réveiller un foutu psy.
C’est pas la pauvre Ruiling qui va réussir à vous maintenir à peu près tous sains d’esprit, malgré la qualité des efforts qu’elle déploie ; quant à Anatole, son rayon c’est les bobos et les os cassés, pas les pensées égarées ni les rêves brisés. Tu aimerais bien que quelqu’un soit capable de te réparer, Tina, mais il faut bien regarder la réalité en face : tu ne vas sûrement jamais réchapper de ce cauchemar. Non, tu n’aurais pas aimé tuer quelqu’un, c’est sûr ; et Cieran n’aurait certainement pas été en tête de la liste des gens que tu n’aurais pas forcément regretté d’avoir abattus. Rosy, oui, cette foutue manager à l’ego hypertrophié, sans aucun doute – mais pas l’Irlandais. Ronnie ne te l’aurait jamais pardonné, en plus.
Peut-être que si tu essaies d’attaquer un garde, la prochaine fois, c’est toi que l’on abattra.
Peut-être que tu arrêteras de te réveiller en sursaut en pleine nuit, couverte de sueur et le cœur battant à tout rompre, l’âme aux abois et la peur au ventre.

Peut-être que tu devrais éviter de réfléchir quand tu es sous l’influence de substances un peu spéciales, aussi. Elles sont dangereuses, ces idées-là, tu le sais parfaitement ; mais l’épuisement nerveux ronge tes murailles, pierre après pierre, et tu as du mal à garder la terre hors de l’eau parfois. Il te faudrait un verre. Ou deux.
Tu es si fatiguée. Maintenant que tu es allongée sur la couchette, la douleur se fait plus insistante – mais tes paupières s’alourdissent, alors peut-être que cette fois, tu vas pouvoir dormir quelques heures sans cauchemar. Tu retiens la main de Hassan, juste une seconde. « Me laisse pas tomber, chef. » as-tu à peine le temps de marmonner, avant que le sommeil ne finisse par te submerger.