Petite rumeur deviendra grande

L’atmosphère étrange qui règne dans le Voyager n’est clairement pas prête de se lever, au grand détriment de Cieran. Depuis la mort d’Alena, la suspicion et le doute pèsent dans les couloirs,et sur chacune des personnes présentes à bord. Et depuis la mise en quarantaine de leur boss et de l’éclaireur, clairement, les choses sont devenus pire. Il a beau s’être promis de ne pas jeter un oeil sur les caméras via son pad, la tentation est rapidement devenue trop grande. Et ce qu’il a vu n’a pas contribué à l’apaiser, loin de là. Alors quand Veronica lui a annoncé avoir récupéré un drone endommagé que l’équipe de maintenance n’a probablement ni le temps, ni l’énergie de réparer, il s’est montré plus qu’enthousiaste. Ils ont beau passer beaucoup de temps ensemble, Cieran ne rechigne pas à passer davantage de temps auprès de la jeune femme, sans compter qu’elle le distrait, en général, agréablement de ses pensées les plus moroses. Il n’a pas encore osé lui montrer les caméras qui donnent sur l’infirmerie, ne sachant pas lui-même comment les interpréter encore. Entre les vidéos et les rumeurs qui courent dans les couloirs, Cieran n’ose pas encore tirer une conclusion mais ce qui se dessine doucement ne lui plaît pas le moins du monde.

On leur a laissé une salle dans la division maintenance, principalement parce que c’est là que se trouve les outils et que cela leur évite de les trimballer. L’irlandais n’est pas encore un habitué des lieux, loin de là, mais il a traîné suffisamment dans le coin pour s’y retrouver. Mais poser ses mains sur la châssis d’un opérateur, si on oublie Mike, il n’a encore jamais tenté. Alexander lui a laissé se faire un peu la main sur quelques drones bons pour le recyclage, plus de la curiosité scientifique qu’une réelle réparation, et Cieran est ravi de pouvoir mettre ses talents de bricoleur en oeuvre. Bricoler son chasseur, même s’il ne s’agit que de menues réparations, est déjà un plaisir dont il use sans vergogne, même avec ces circonstances peu favorables. Et au moins, il se changera les idées, loin d’Alejandra et de ce qu’il a pu voir. La bonne marche de leur département est perturbé, avec l’absence de leur chef,même si Frye a pris l’intérim.

Et Cieran l’avoue volontiers, il n’est pas serein, pas avec les interrogatoires qui continuent et l’atmosphère pesante de suspicion qui règne à bord. Il a besoin de se changer les idées, réellement, et de parler de choses bien plus légères. Etre avec Veronica apporte cette légèreté essentielle et il lui en est reconnaissant. Alors quand il ouvre la porte de la pièce qu’on leur a désigné, rien que voir la pilote fait naître un sourire sur son visage. Il ne peut s’en empêcher, l’irlandais, il lui glisse un baiser dans le cou avant de tapoter sur le châssis de l’opérateur. “Si on en croit les rumeurs, ceci est un appareil hyper-évolué de contrôle de l’esprit humain. Enfin, était.” Parce que vu son état, le pauvre ne va plus servir à grand chose. Hécate a géré seule la chaîne de montage des opérateurs mais pour une IA hyper-évolué, clairement, elle a eu quelques soucis. Même leurs opérateurs en état de marche ont quelques soucis, le Visseur Fou en étant un brillant exemple; l’irlandais n’a eu l’occasion de croiser que ses -discutables - réalisations, mais il n’est pas particulièrement pressé de le trouver sur son chemin.

Avisant la dévisseuse électrique qui trône sur le plan de travail, Cieran s’en empare et la tend à sa complice, le sourire aux lèvres. Il sait que Veronica voit clair dans son jeu, dans sa trop grande exubérance et ses sourires qui sonnent faux, mais elle le sait perturbé. Ils le sont tous, avec ce qui arrive et si elle sait très bien qu’il ne va pas aussi bien qu’il le clame, pour le moment, elle ne l’a pas coincé dans un coin pour l’obliger à se confier. En toute honnêteté, il espère bien qu’elle ne le fera pas : ils le savent aussi bien que l’autre, malgré ses vantardises, l’irlandais n’est guère de taille à résister longtemps à la pilote.

Dire qu’elle a la mine basse est peu, alors que l’ambiance sur l’Arche est lourde et épaisse à couper au couteau, alors que les soupçons fusent dans tous les sens à propos du meurtrier de la spécialiste Rosenthal… et de tout le reste. Juste la veille, la dépressurisation suspecte de cinq dortoirs a tué sept autres passagers, et nul ne sait pour l’instant si c’est une erreur, ou un sabotage. Et la seconde option est toujours la plus effrayante.

Les moments de détente avec Adrian et Cieran, les bavardages avec Siya et Tina, les discussions au-dessus des opérateurs foireux avec Poppy, ne suffisent pas. Ils ne suffisent plus à calmer ses nerfs, à endormir ses cauchemars et à donner suffisamment de sincérité à ses sourires. Encore moins depuis qu’Alejandra est en observation au secteur médical, ainsi que Naël. Et que personne n’a de réponse à ce sujet.

La brune est déjà dans la salle réservée du côté de la maintenance lorsque l’Irlandais l’y rejoint, et comme lui, impossible de retenir le sourire doux qui lui monte aux lèvres. Ni le petit soupir énamouré (et ridicule) qui s’en échappe, lorsqu’il lui embrasse le cou. Pas assez longtemps à son goût, même si ce n’est ni le temps, ni l’endroit pour cela. Même si venant d’une pilote qui a déjà embrassé un collègue en pleine manoeuvre de navette… vraiment, cette excuse ne durera pas longtemps. Ce n’est certainement pas l’opérateur défectueux qui va les cafter !

L’homme tapote d’ailleurs le châssis de la machine qu’ils doivent tenter de remettre en marche, au mieux de leur capacité. Ils ont aussi un drone de maintenance comme seconde commande, si leur coeur leur en dit. Tout pour faciliter la vie de la spécialiste Seagers, qui se tire les cheveux, avec son éclaireur écarté du terrain, « Si on en croit les rumeurs, ceci est un appareil hyper-évolué de contrôle de l’esprit humain. Enfin, était. » Veronica ne comprend d’abord pas où veut en venir son compagnon, avec cette déclaration. Même, elle regarde l’opérateur avec un soupçon dans l’oeil, attrapant la dévisseuse électrique afin de mettre la pâtée à ce dangereux appareil. C’est juste avant le premier boulon qu’elle s’arrête, comprenant enfin, peut-être, ce qu’il en est. Son sourire revient et creuse une fossette dans sa joue, et la voix faussement surprise, elle déclare : « Vraiment ? Elle relève le menton pour regarder Cieran, qui porte la même expression un peu fausse. Ses yeux gris porteurs de la même incertitude, de la même fatigue profonde. Je croyais que c’était un engin d’espionnage très sophistiqué, mis ici en secret par la Russie. »
Garder un visage impassible s’annonce déjà difficile, mais si en plus le O’Reilly s’obstine à la regarder avec cette tête adorable… pas dit qu’elle dure longtemps. Quoique… elle n’a pas envie d’être la première à craquer.
« Si on le répare, tu sais que ça fait de nous des complices de leurs machinations », déclare la pilote avec grand sérieux, alors qu’elle s’affaire à déboulonner patiemment les pièces de l’opérateur qui leur permettront d’avoir accès à son système interne. Histoire de voir comment Hécate a branché tout ça.

L'air interrogateur de la pilote lui indique assez qu'elle ne voit pas, tout d'abord, là où il veut en venir. Elle ne tarde pourtant pas à capter et son sourire revient, peut-être plus naturel que ceux qu'elle lui a offert ces dernières semaines. Il n'est pas le seul, l'irlandais, à cacher son inquiétude, sa fatigue et son angoisse. Ils n'en parlent pas vraiment mais pour Cieran, la présence de la jeune femme est un soutien sans faille, et un réconfort dont il ne se prive pas. Ils apprécient de passer du temps ensemble, que ce soit pour une partie de sport en chambre ou juste un livre à lire, ou même un moment de bricolage, comme ici. Elle ne semble éprouver aucun problème à lui emboîter le pas et à lui dévoiler sa propre version de la vérité, dans un sérieux imité qui la rend encore plus adorable.

"Ah oui ? Tu dois avoir plus d'informations que moi, pour avancer cette théorie." Et clairement, ce n'est pas ce qu'il manque, à bord, les théories du complot ! Surtout depuis que les pirates ont dévoilé quelques dossiers, pas assez pour être réellement au courant de tout, mais largement assez pour permettre la suspicion. Ronnie a pris une mine tout ce qu'il y a de plus sérieuse, et leurs regards se croisent un moment, dans un défi muet, alors que la jeune femme s'apprête à déboulonner le châssis de l'opérateur. Leur second patient est un drone, mais il faut déjà qu'ils parviennent à remettre le premier sur pied... enfin, sur moteur. "Nous sommes déjà des complices inconscients." Lui fait remarquer Cieran, sans se démonter. Il s'approche d'elle pour l'aider à ôter le cache métallique alors qu'elle déboulonne leur petit copain, évitant soigneusement son regard pour ne pas risque de craquer. "L'air recyclé, l'eau tout aussi recyclée, il y a forcément quelque chose dedans qui fait que nous sommes sous le contrôle de quelqu'un." Et encore, il n'a pas mentionné ce qu'on leur sert aux repas. Il aurait pu, franchement. "Tu-Sais-Qui nous surveille probablement." Il a lu Harry Potter comme livre imposé à l'école, plus jeune. Cela ne l'a pas forcément énormément marqué, mais tout le monde a probablement la référence, Tu-Sais-qui impliquant, ici, une origine aussi diverse que les illuminatis reptiliens ou les espèces de boîtes de conserves de Doctor Who. Ou leur directeur de la sécurité, pourquoi pas ? C'est ça qui est bien avec les théories du complot, les coupables sont tout aussi divers que ceux qui colportent lesdites théories.

"On devrait lui en donner pour son argent." Glisse-t-il avec malice en posant un baiser furtif sur les lèvres de la pilote. Il n'a pas pensé à regarder avant s'il y a des caméras dans la salle, ou même si elles sont opérationnelles, mais il plaisante, Veronica le sait sûrement. Ils luttent pour garder leur liaison secrète, ce n'est clairement pas pour faire un remake des filles de la cryo. Et ils donnent tous les deux bien assez de coups de main à la sécurité, et à la surveillance, pour savoir que la plupart de leurs mouvements sont consignés en vidéo, ce qui rend d'autant plus extraordinaire le fait que personne ne puisse dire qui est le coupable pour tout ce qui se passe en moment sur le Voyager. De quoi alimenter encore d'autres théories du complot, d'ailleurs, tel un cycle sans fin. L'irlandais s'efforce de chasser de son esprit les images de vidéo-surveillance de l'infirmerie qu'il a pu surprendre et placarde sur son visage un sourire qui ne trompera personne avant de se tourner pour attraper un autre outil, prêt à le passer à Veronica.

« Tu-Sais-Qui nous surveille probablement. Elle se mord la lèvre inférieure pour ne pas déjà éclater de rire et perdre le défi implicite qu’ils se sont lancés, laissant seulement un sourire flotter sur ses lèvres. Ce n’est pas une façon de parler du directeur Jaafar », objecte-t-elle avec un amusement palpable dans sa voix. L’expression moqueuse, le regard qui court jusqu’à un coin de la salle où une caméra est accrochée à un mur. Fonctionnelle, ou pas ? Un baiser rapide la fait revenir dans le présent. « On devrait lui en donner pour son argent. Ne me tente pas, amigo » Il sait bien qu’elle est incapable de résister à un défi. Si elle se retient de, comme il l’a dit, leur en donner pour leur argent, c’est uniquement pour la possibilité que quelqu’un entre dans la pièce. Ils sont supposés travailler, ici, et il serait donc bien normal qu’on vienne les déranger. Et peut-être aussi parce que Ronnie n’a pas nécessairement envie d’être le prochain potin de l’heure : elle préfère nettement les colporter !

Elle dépose son pad sur la table et fait apparaître les plans des opérateurs refilés par Poppy. « Hécate les a vraiment montés à l’envers », soupire la Portoricaine en se penchant sur le plan de cet ami en particulier, qui ne correspond absolument pas à ce qu’ils viennent d’exposer dans la carcasse mécanique. Des fils dans des endroits incongrus, des pièces attachées à rien du tout et d’autres manquantes, des soudures trop solides et des boulons jetés au milieu de tout ça, comme pour transformer l’opérateur en maracas ambulant. Première étape : le vider de tout ce qui est inutile et tient par la peur et la foi. Ensuite, peut-être pourront-ils faire quelque chose de sensé dans tout ce bazar.

Veronica laisse Cieran s’occuper d’enlever boulons et fils étranges de l’opérateur, tandis qu’elle dresse la liste des parties supposées de l’opérateur et du matériel correspondant. Il n’est pas dit qu’ils auront tout pour le reconstruire, mais sans doute assez pour qu’il soit fonctionnel. « C’est peut-être dans la nourriture ?, suggère la brune, le regard glissant de biais sur son compagnon. Tu sais, de minuscules robots, plus petits que les plus petites araignées, partout dans ces… horribles pommes de terre en flocons. » Ça doit bien être la seule justification pour la nourriture infecte qu’ils se tapent, parfois. La viande ramenée de Sierra est appréciée, mais rationnée avec tellement de parcimonie qu’en trouver un peu dans son assiette est synonyme de fête.

La remarque de Veronica le fait rire, il ne peut décidément pas se retenir. Elle sait bien qu'il se méfie du directeur depuis leur brève anicroche, et les interrogatoires n'ont clairement pas aidé à mettre à l'aise l'irlandais quand on lui parle de celui qui dirige la sécurité. Le baiser qu'il lui vole ensuite ne dure qu'un instant et Cieran ne peux s'empêcher de sourire plus largement, plaquant un air innocent qui ne trompera personne sur son visage. Il n'a qu'une envie, la tenter au contraire mais ce n'est ni le lieu, ni le moment. Hélas. A cet instant, elle est la voix de la raison et Cieran baisse sagement les armes, sachant tout aussi bien qu'elle que se faire surprendre entraînera des rumeurs sans fin et des chuchotements sur leur passage, ce qu'il n'a guère envie d'essuyer. Il est déjà simple de devenir paranoïaque, dans l'atmosphère actuelle, en rajouter n'est sûrement pas judicieux !

Il partage l'opinion de la jeune femme concernant l'opérateur. A peine un sur dix de ces machins est monté correctement et même là, les erreurs de logiciel sont nombreuses. Les démontrer, c'est comme ouvrir un cadeau, une surprise assurée. Pas vraiment du meilleur goût, le plus souvent ! D'un commun accord, l'irlandais se charge de vider l'opérateur de son contenu hétéroclite tandis que Veronica se penche sur son pad pour dresser la liste de ce qu'ils auront besoin pour tout remettre en état. Il prend bien soin de mettre de côté ce qui est récupérable, pour cet opérateur ou un autre, peu importe : le moindre bout de ferraille s'avère précieux alors qu'ils n'ont toujours pas trouvé une planète susceptible de leur fournir des matières premières pour retaper le Voyager. La pilote à ses côtés liste ce qu'ils pourront réutiliser dans l'état et ce travail d'équipe occupe agréablement les pensées de Cieran, supprimant l'envie de se pencher sur les nombreux problèmes qui les entourent. Il dévisse, déboulonne et s'ingénie à défaire les soudures à l'aide d'une micro torche, faisant glisser ses lunettes de protection sur ses yeux lorsque c'est nécessaire.

Il finit par reposer tout à fait son matériel pour regarder Veronica d'un air dégoûté. "Ok. A partir de maintenant, je vais me laisser mourir de faim." Rien qu'à imaginer que sa nourriture, non contente d'être parfois infecte, cache également d'autres choses, l'irlandais sent son estomac se contracter. "Ceci dit, ça ne devrait pas poser problème : j'ai entendu dire qu'à chaque sortie dans l'espace, ce ne sont pas les personnes originales qui reviennent, mais des clones." Et vu les sorties qu'il a déjà faite, s'il est un clone, ne pas manger devrait pouvoir être réalisable, non ?"Je te trouve différente d'ailleurs, depuis ta dernière sortie." Il tente de garder son air sérieux, mais n'y parviens pas tout à fait. "J'ai gagné notre dernière partie de Uno, cela aurait du me mettre sur la piste." Il lève les mains l'irlandais, dans le but avoué de parer toute tentative de tape amicale sur le crâne. Franchement, depuis qu'il a entendu la rumeur, il essaye de se persuader que cela n'a rien à voir avec le comportement étrange de Naël et de leur boss, qu'il a pu voir sur les caméras, mais il ne peut se défendre de douter un peu. Il est bien difficile de chercher ce qui a pu provoquer leur mise en quarantaine, et sans réponses, les gens parlent. Beaucoup trop. Mais dédramatiser tout ça en discutant avec Veronica lui fait bien plus de bien qu'il n'aurait pu l'imaginer, même s'il ne sait pas encore comment aborder ce sujet précis avec la jeune femme.

« Ok. A partir de maintenant, je vais me laisser mourir de faim. Veronica glousse en réponse, contente de l’effet de sa théorie improbable. Ceci dit, ça ne devrait pas poser problème : j'ai entendu dire qu'à chaque sortie dans l'espace, ce ne sont pas les personnes originales qui reviennent, mais des clones. Je te trouve différente d'ailleurs, depuis ta dernière sortie. Une légère alarme dans son regard, une inquiétude qui se dessine sur son visage, si brièvement avant d’en être chassée par la crétinerie de son crétin de copain : J'ai gagné notre dernière partie de Uno, cela aurait du me mettre sur la piste. Tu as triché ! », s’insurge la pilote en mettant un coup dans le flanc de Cieran. Elle n’en a aucune preuve, mais elle est sûre et certaine que le sacripant a volé des cartes dans ses mains à l’occasion d’un baiser ! C’est la seule option qui puisse expliquer sa défaite, qu’elle digère encore un peu mal, par habitude des victoires (même si les siennes ne sont pas toutes honorables non plus : une certaine partie de laser tag pourrait parler en ce sens). « Ils auraient pu me refiler un clone moins crétin, quand même. » Il y a beaucoup d'amour, dans ce sourire, dans son sourire, une fossette dans la joue, alors qu'elle termine sa liste des pièces récupérées qui pourront être utilisées ailleurs, et celles qui devront être remises dans l’opérateur.

Prêts à commencer le travail de montage, à l’endroit cette fois, les deux pilotes dégagent la table de ce qui ne sera pas utilisé. D’abord : redonner des “bras” à cet opérateur d’ingénierie. Les circuits à reconnecter viendront ensuite, lorsque leur ami aura un châssis complet. « En espérant que le Visseur Fou va comprendre que c’est un ami, celui-là. » À comprendre qu’il ne volera pas sa ferraille et ses boulons, le laissant défait dans un coin, afin de courtiser Lady Di. Quelle absurdité, parfois, de penser à leur mode de vie actuel… parler de robots comme s’ils étaient humains.

« Par contre… La coach sportive est définitivement dans le coup. Ce n’est pas humain de passer tant de temps à la salle de sport. » Elle est toujours là. Lorsqu’elle va nager, boxer, courir, pratiquer son jeu de pieds, Jerry est fidèle au poste, à toute heure du jour et de la nuit qu’il lui semble (elles doivent simplement avoir les mêmes horaires, en fait). N’est-elle donc jamais fatiguée ? N’a-t-elle pas besoin de dormir et manger ? De toutes les suspicions étranges qui courent sur l’Arche depuis le meurtre de la spécialiste Rosenthal, et même avant, cette rumeur est celle qui a le plus accroché son oreille.
Puis, les rumeurs veulent aussi qu’elle soit une des deux fameuses filles de la cryo.
« C’est leur infiltrée. »

"Ouch. Même pas !" Grogne l'irlandais en frottant avec affectation l'endroit où Veronica l'a frappé, ajoutant quelques grimaces de douleur du plus bel effet, dignes de l'Actor Studio. Il ne l'avouera pas, mais c'est qu'elle frappe fort ! Il a eu l'occasion de la voir boxer, et sait pertinemment bien qu'elle est beaucoup plus forte que ne le laisserait deviner son gabarit. "Désolé. On y pensera la prochaine fois." Ironise-t-il en réponse à sa remarque sur le clone moins crétin. Le sourire de la jeune femme croise son regard et il ne peut s'empêcher de sourire à son tour niaisement en la contemplant, songeant, pour la millième fois de la journée, qu'il a de la chance d'être son crétin, rien qu'à elle. Il lui faut toute sa concentration pour se remettre au travail tandis que sa conscience proteste qu'effectivement, il a peut-être triché. Mais c'était pour la bonne cause, celle de s'accorder la victoire, alors il a des circonstances atténuantes sûrement ! Ca lui fait du bien de perdre de temps en temps, il en est sûr.

Ils dégagent la table pour pouvoir commencer leur travail de montage et Veronica espère que le Visseur Fou ne s'attaquera pas à leur ami nouvellement remonté. Cieran la regarde d'un air dubitatif avant de tapoter la carrosserie de l'opérateur, comme pour lui adresser un soutien muet. Peut-être qu'ils devraient lui mettre des autocollants "Ne pas toucher", qui sait, cela ne sera pas d'une grande utilité mais de toute façon, il n'y a pas grand chose d'autre à faire. Le Visseur Fou est une nuisance divertissante, au moins, même s'il semble bénéficier d'étranges complicités pour savoir quel couloir il doit éviter ou non. De là à penser que d'autres opérateurs le rencardent en échange de ne pas se faire démonter... est-ce seulement possible ? Un opérateur harceleur ?

Veronica reprend la parole et sa théorie des plus loufoque arrache un éclat de rire au pilote irlandais. Le pire, c'est qu'elle n'a pas tort, Jerry est très souvent dans la salle de sport. Plus une question de se rendre utile, certainement, qu'autre chose mais la théorie est solide, il ne peut le nier. Et usitée sur le Voyager. "Tu crois qu'elle s'est fait un nid dans la salle de sport ?" C'est la théorie qui court sur le directeur de la sécurité et ses quartiers privés, ce fameux nid. "Moi, c'est plus Hoffer qui me fait peur, Magda quelque chose, avec sa manie du rangement." Pas qu'il soit particulièrement bordélique mais c'est irritant, de la voir sans cesse remettre quelque chose en place quand il la croise quelque part. Mais l'idée de Veronica que l'ex-championne de tennis soit une infiltrée des aliens tient la route : après tout, c'est elle qui a laissé rentrer leur premier passager indésirable.

"Tu peux me passer le capteur à côté de ta main ?" Demande soudain le pilote. "Le do thoil ?" Ajoute-t-il tel l'enfant sage qu'il est parfois, avant d'enchaîner. "Je ferai bien attention de ne pas me retrouver seul avec elle, dans ce cas." Son air se fait innocent alors qu'il se penche vers la jeune femme en soufflant. "En même temps, tu es bien la seule avec qui je rêve de m'isoler." Et s'isoler, sur le Voyager, n'est pas forcément une tâche d'une grande facilité. Heureusement pour eux, Veronica est encore seule dans son dortoir, sans personne avec qui partager son temps libre et ses quartiers. Cieran y passe beaucoup de temps, autant l'avouer. "Par contre, ça lui sert à quoi d'être infiltrée, maintenant ?" Il est vraiment curieux, en vérité. "Elle pirate Hécate ?" Il verrait bien plus Rhiannon dans le rôle de la hackeuse mais pourquoi pas ? Ce n'est pas comme si Hécate ne surveillait pas leurs moindres faits et gestes, de toute façon.


*S'il te plaît

« Tu crois qu'elle s'est fait un nid dans la salle de sport ? Un petit signe positif du chef. Aucune autre option possible. Pourquoi pas ? Avec sa copine, la couturière. » Enfin, elle suppose que c’est sa copine, vu qu’elles sont apparemment les deux stars de leurs propres pornos maison, mais elle n’a jamais osé poser la question… et elle n’a jamais vu cette couturière de ses propres yeux. Tant de mystères, sur cette Arche, et même certains auxquels elle n’a jamais réfléchi. Celui de la spécialiste Hofer, par exemple, dont la manie du rangement lui apparaîtra désormais comme un peu inquiétante. Voire, louche.

Pour la partie reconstruction, Cieran est celui en charge. Normal, vu ses études et son expérience générale, sans parler de son intérêt pour la chose. Elle s’occupe plutôt de tendre à la fois les pièces et les outils, ainsi que de vérifier que son partenaire suit le plan à la lettre. Lorsqu’il lui demande - très poliment et sagement - le capteur non loin d’elle, elle lui donne avec obligeance et tend la tête au-dessus de la carcasse ouverte de l’opérateur, afin de guetter ses faits et gestes. Ça lui rappelle lorsqu’elle était enfant et adolescente et qu’elle passait des heures à regarder son père et son frère s’occuper de mécanique. « Je ferai bien attention de ne pas me retrouver seul avec elle, dans ce cas. Le pilote se penche un peu vers elle et par réflexe, elle fait de même, comme pour recueillir une confidence. En même temps, tu es bien la seule avec qui je rêve de m'isoler. »

Veronica est une femme forte. Indépendante. Qui n’a besoin de personne et n’est certainement pas femme à se laisser impressionner par un homme.
Et tout de même incapable de retenir un petit gloussement en réponse au sous-entendu de Cieran, avec cet air si innocent qui la fait toujours craquer.

Elle plaque sa main sur sa bouche, comme pour en retenir le ridicule son (trop tard). « Par contre, ça lui sert à quoi d'être infiltrée, maintenant ? Elle pirate Hécate ? Comme ça elle peut savoir à quelle fréquence tu laves tes chaussettes, glisse-t-elle entre ses doigts, reprenant un peu de contenance. Ou elle a des complices. Peut-être même haut placé. » Ça, par contre, ce serait possible pour vrai. Que quelqu’un, n’importe qui, soit de mèche avec des directeurs, par exemple. Des spécialistes. Des gens qui ont prévu Dieu sait quoi et qui se jouent d’eux, de leurs malheurs, de leur mort. Un léger malaise, un court silence, qu’elle s’occupe de chasser d’une question qu’elle veut anodine : « Tu crois qu’on pourra le nommer ? L’opérateur, qu’elle tape des jointures, avant de donner à l’Irlandais les prochaines pièces à y visser, avant de potentiellement remettre le contact avec quelques points de soudure. Y’a pas que Poppy et Rhiannon qui peuvent s’amuser. »

Aux mots de Veronica, l'irlandais ne peut s'empêcher de rire doucement. Peu importe son inquiétude, peu importe son état de fatigue ou son stress, la présence de la jeune femme l'apaise et elle sait toujours trouver le moyen de le faire rire, même si ce ne sont que des bêtises ou des plaisanteries. Cela fait un bien fou, en ce moment. Ils savent tous les deux à qui elle fait allusion, même si la jeune femme en question est plus un courant d'air qu'autre chose. Elle n'est pas la seule : quelques uns sur l'Arche ne sortent que rarement de leurs dortoirs et évitent de se mêler aux autres. Chacun gère le stress et le deuil d'une façon qui lui est propre, Cieran suppose. Lui préfère se mêler aux gens pour se changer les idées, mais il n'est pas du genre asocial l'irlandais, loin de là.

Ils ont changé de place d'un commun accord, Cieran ayant plus d'expérience dans l'assemblage, alors que la jeune femme se spécialise plutôt dans le reste. Le regard de la jeune femme sur ses moindres faits et gestes ne le dérange pas, et leur conversation n'est interrompue que par le fracas des outils et les demandes de pièces. Quand Veronica laisse échapper un gloussement à sa réponse, l'irlandais ne peut s'empêcher de prendre un air fier de lui. La main de Veronica est toujours plaquée sur sa bouche - trop tard, il l'a entendu - et sa première réponse fait secouer la tête à l'irlandais avant que la conversation ne prenne un tour plus sérieux, soudain. Bien plus sombre. L'ambiance bon-enfant retombe d'un coup, tandis que chacun, sans doute, réfléchit aux conséquences de la remarque. Ce sont les rumeurs qui traînent, et tout le monde les a déjà entendues. Qu'ils sont le jouet d'une expérience grandeur nature, que leurs supérieurs, bien à l'abri, ont déjà des plans définis pour leurs survies. Que les morts ne sont que la surface visible de l'iceberg, que les complots ont déjà gangrenés les têtes pensantes du Voyager. C'est stupide... mais c'est possible. Et c'est bien ça le pire.

Avant de répondre à la question de la jeune femme, délibérément plus légère, Cieran attrape les lunettes de protection et lui glisse sur le nez en un geste qui se veut affectueux. "Évidemment qu'on peut les nommer." Lance Cieran, faussement outré. Il attrape le tournevis pour fixer solidement une plaque de métal avant d'enchaîner. "Il ne faudrait pas qu'il soit persécuté par ses copains par notre faute." C'est l'unique raison qui les motive, évidemment. "Qu'est-ce que tu penses de R2 ?" Plaisante-t-il en allumant le fer à souder. Son comlink bipe soudainement et il pose ses outils quelques instants pour consulter l'engin, avant de soupirer et d'agiter son poignet devant Veronica. "Je me demande combien de temps il faudrait à la sécurité pour nous tomber dessus si on enlève ce machin et qu'on le donne à notre nouveau copain." C'est une vraie question : une des règles principales du bord est de ne jamais enlever leur comlink, sous aucun prétexte. De là à penser que c'est pour mieux les pister... Entre les caméras et leur gps embarqué, c'est difficile d'avoir une quelconque intimité sur le Voyager. Cieran s'estime, en vérité, déjà heureux que le petit manège entre Veronica et lui n'est pas encore été exposé au grand jour. "Faudrait qu'on prenne les paris." Reprend-t-il, d'un air innocent qui contraste clairement avec la malice présente dans ses yeux clairs.

La Portoricaine ne voulait pas casser l’ambiance joueuse qui règne entre eux, qui égaye leur session de réparation d’opérateur et de drone, mais il lui semble que la réalité flirte peut-être d’un peu trop près à son goût. Ils n’ont aucune preuve de rien, bien sûr. Que des ouï-dires et des hypothèses dont le farfelu parfois se fait cruellement vrai. Sa tentative de remettre un peu de bonne humeur est prise au bond par Cieran, à son grand soulagement. « Qu'est-ce que tu penses de R2 ? Et on nomme le drone “D2”, c’est ça ? », renchérit-elle. Ils pourront certainement faire aussi bien que Mike Dyson !

Par curiosité, elle tend le nez vers le comlink de Cieran lorsqu’il bipe, comme pour tenter de voir qui tente de le contacter. En plein au moment crucial ! « Je me demande combien de temps il faudrait à la sécurité pour nous tomber dessus si on enlève ce machin et qu'on le donne à notre nouveau copain. Le temps qu’Hécate se demande ce que tu veux à réparer la ventilation, sans doute », répond-elle après quelques secondes de réflexion. S’ils le réparent bien et que “R2” (nom non contractuel) ne fait rien d’inhabituel, ça pourrait prendre quelques heures, un cycle entier d’une journée, tout au plus. Ça, ou Poppy mettra la main sur l’opérateur et se demandera bien pourquoi il aurait besoin d’un comlink pour consulter ses courriels. « Faudrait qu'on prenne les paris. » La pilote croise ses bras sur sa poitrine et toise Cieran, le menton levé sur sa haute silhouette, et s’assure qu’il la regarde bien lorsqu’elle prend la parole : « Tu as eu assez de problèmes comme ça avec le directeur Jaafar, amadán, rappelle-t-elle avec sérieux. Comme toujours, l’idiot irlandais a des allures de tendre mot d’amour dans sa bouche, surtout assorti à la caresse de sa main contre la joue de son compagnon. C’est trop long, sans toi. » Cette fois, elle ne se retient pas pour l’embrasser plus profondément (et tant pis si on les surprend, tant pis si on les voit, tant pis si Hassan se rince l’oeil). L’isolement forcé a été difficile après l’affaire du club de golf, après Amazone, et les deux épreuves successives n’ont guère eu de succès chez Ronnie.
Et si elle n’a jamais été particulièrement disciplinée, si elle a toujours aimé les blagues et les mauvais coups, les conséquences de celui-là pourraient être bien plus graves. Ils recherchent toujours un meurtrier, après tout...

Lorsqu’elle se détache de l’Irlandais, elle laisse sa main caresser sa joue encore quelques secondes, apprécier la douceur de sa barbe contre sa paume. « Allez. Soude-moi cet opérateur, qu’il puisse aller terroriser l’Arche avec les autres et rapporter tout ce qu’on fait à Bill Gates. »

A sa réponse, l'irlandais se contente d'un mouvement de tête affirmatif. "Exactement. On forme une bonne équipe." Ils sont plus que ça, évidemment, mais personne ne peut nier qu'ils forment, véritablement, un super duo. Ils s'entendent à merveille, se complètent bien et une chose est sûre, ils se sont parfaitement bien trouvé. La peur de devoir rompre cette bonne entente si leur relation s'effrite est toujours présente dans l'esprit de Cieran mais il parvient à suffisamment l'étouffer pour qu'elle demeure bien cachée. Il a beau être plutôt optimiste l'irlandais, les épreuves de ses derniers mois lui font toujours craindre, au fond, que les rares moments de bonheur et d'apaisement, qu'il trouve avec la portoricaine, finissent par disparaître à leur tour.

La question du pilote, aussi innocente et interrogatrice qu'il a essayé de la rendre, n'est vraisemblablement pas au goût de la jeune femme. Il ne faudra sans doute pas longtemps à Hécate pour se rendre compte de la supercherie et les ennuis, comme le lui rappelle Veronica, ne tarderont pas à suivre. Il ne se sent pas particulièrement traqué ou surveillé, l'irlandais : il a vécu au milieu d'une grande famille, et dans différents escadrons militaires, l'intimité et l'absence de contrôle ne sont pas quelque chose dont il a l'habitude. L'attitude de la jeune femme, bras croisés et ton sérieux, la rend plus attendrissante que jamais mais il possède assez de jugeote pour ne pas rire, l'irlandais, quand elle le traite d'idiot dans sa propre langue. La main de la pilote vient caresser sa joue, exprimant clairement, s'il n'avait pas compris, que ses propos tiennent plus d'une inquiétude que d'une véritable remontrance. Le baiser qui suit est une entorse claire aux règles de discrétion qu'ils ont eux-mêmes établies mais Cieran n'en a rien à faire.

Leurs lèvres finissent par se séparer et la main de Ronnie reste sur sa joue alors qu'elle l'enjoint à reprendre le travail. Elle n'a pas tort, ils ont encore beaucoup à faire et leur second candidat les attend, immobile sur une table derrière eux. "C'est sûr qu'avec de tels encouragements, je ne peux que promettre de rester sage." Annonce l'irlandais en attrapant la main de la pilote pour y déposer un tendre baiser, avant de se remettre véritablement au travail. Il tripote encore un moment l'attache de son comlink, comme s'il n'avait pas totalement abandonné son idée première, mais finit par attraper à nouveau le fer à souder. "Bill Gates ? Il ne s'est pas retiré sur une planète paradisiaque avec Michael Jackson, Tupac et Kurt Cobain ?" Plaisante l'irlandais, en écho aux rumeurs les plus farfelues en vigueur sur Terre. "Et puis tu ne vas terroriser personne, pas vrai R2 ?" Ajoute le pilote avec légèreté, comme si le nom était destiné à rester. Tant que Ronnie n'en aura pas choisi un, de toute façon, il lui faut bien un nom de code !

Les bras sont vite soudés au châssis de l'opérateur malgré son silence et Cieran laisse bientôt la place à Veronica et son expertise pour gérer les câblages à remettre en place. Cela ne le dérange pas le moins du monde de travailler sous la houlette de la jeune femme : il a fait d'immenses progrès dans tout un tas de domaines depuis qu'il est sur le Voyager Cieran, notamment parce qu'il est toujours partant pour aider et apprendre, mais Veronica demeure bien plus douée que lui pour certaines tâches. "Je me demande ce qu'Hécate fait de toutes les données collectées." Se questionne l'irlandais à haute voix. "Nos habitudes de déplacements, nos rencontres, nos préférences alimentaires." Il n'a presque pas souri en évoquant ce qu'on leur sert au réfectoire, et qui ne varie pas vraiment de jour en jour. "Il doit y avoir un passage là-dessus dans tout ce qu'on a signé pour ce voyage." Les fameuses petites lignes, que personne ne lit, sont sûrement une mine d'informations.

Ah, elle espère bien qu’il saura rester sage ! Sauf en privé avec elle, mais ça, ce sont des aventures qui ne concernent qu’eux. « Bill Gates ? Il ne s'est pas retiré sur une planète paradisiaque avec Michael Jackson, Tupac et Kurt Cobain ? Sur Veronicaland, même », précise la pilote, revenue à l’humour maintenant que sa mise en garde a été faite. Elle sait que Cieran tient difficilement place, autant qu’elle-même et cette énergie à revendre qui les caractérise, mais ne pas sciemment chercher les problèmes sera déjà un grand pas.

Le châssis de l’opérateur reprend forme grâce au travail de l’Irlandais et munie du plan du câblage interne, c’est à son tour de prendre place pour trifouiller dans la carcasse béante. Une paire de lunettes de protection devant les yeux, elle attrape le stylet à soudure afin de pouvoir s’occuper des contacts délicats de chaque fil, en suivant attentivement les indications affichées sur son pad. Ses capacités en électronique ont progressé dans les derniers mois, au cours d’autres menus travaux du genre, mais c’est la première fois que Ronnie met vraiment les mains dans un opérateurs.
Elle espère que Poppy n’aura pas trop de choses à redire.

« "Je me demande ce qu'Hécate fait de toutes les données collectées. » Un autre détail dont la Portoricaine ne s’est jamais souciée, mais qui à cet instant, lui paraît crucial. Elle s’interrompt dans sa tâche et fixe son propre comlink, comme s’il allait lui révéler la vérité. Ou lui rappeler qu’elle n’a probablement pas lu les petites lignes en bas du contrat. « Je crois que le secteur médical y a accès, réfléchit Veronica en se penchant sur son pad pour vérifier qu’elle n’a pas oublié un branchement dans “R2”. Pour vérifier sommairement s’ils suivent les recommandations de convalescence, sans doute. Et… peut-être les directeurs ? Plus d’incertitude, dans cette hypothèse, qu’elle finit par chasser d’un signe négatif de la tête. Non, pas les directeurs. Sinon, Alejandra ne s’est jamais demandée ce que tu faisais si souvent dans mon dortoir. T'en penses quoi, toi ? À y être si souvent, disons qu’elle aurait deviné que le couple ne faisait pas qu’y disputer des parties furieuses de Uno. Puis, si l'homme lui pose la question, c'est qu'il a peut-être lui-même une hypothèse. Le brune se dégage du poste de travail, laissant à nouveau Cieran y accéder. Vérifie que je n’ai rien oublié, s’il te plaît. » Si tout est bien, ils pourront ensuite demander à Hécate de le réactiver et voir si leurs soins ont véritablement payé, ou s’ils vont se retrouver avec un second terroriste du boulon à bord.

C'est un sujet d'amusement récurrent entre eux, ce coin non-exploré qu'ils ont découvert par hasard, et le nom lui est resté. L'irlandais se contente de secouer la tête avec un sourire avant de se remettre au travail, décidément sage et concentré lorsqu'il veut bien l'être. Ce sont ces traits de caractère qui lui attirent la sympathie de ses chefs, en général, et il sait particulièrement bien en faire preuve, quand il est motivé à le faire. La question de l'irlandais interrompt la jeune femme alors qu'ils ont échangé leurs places. Son idée première est la plus logique, quant à celle que les directeurs auraient accès à de telles données, effectivement, elle a de quoi les inquiéter un peu. La jeune femme finit par lui retourner la question et Cieran prend le temps de se composer une mine tout ce qu'il y a de plus sérieux avant de la regarder.

"Je pense quoi de quoi ? Du temps que je passe dans ton dortoir ? Pas assez, à mon avis." Réplique l'irlandais, sachant pertinemment que ce n'est pas la question. Il ne peut s'empêcher de rire pourtant, avant que Veronica n'échange à nouveau sa place avec lui et il répond avant de se concentrer sur l'opérateur. "Base statistique ? Pour que nos clones se comportent de la même façon que nous ?" Plaisante-t-il encore en rebondissant sur l'une de ses idées précédentes. C'est une plaisanterie, elle le devinera sans peine. Il n'y a pas vraiment de clones sur le Voyager. A leur connaissance. Il s'exécute et saisit le pad de la jeune femme pour vérifier les branchements de leur nouveau copain, avant de répondre plus sérieusement. "Je dirais bien que personne ne regarde ces données de très près, et que garder nos comlink sert juste en cas d'urgence, mais..." Il prend un air un peu plus sombre, l'irlandais, en regardant Veronica. "Je ne sais pas."

Il n'a rien d'un complotiste dans l'âme Cieran, bien trop habitué, depuis son plus jeune âge, à obéir sans trop poser de questions. Il est intelligent, et il aime bien comprendre, mais parfois il ne faut pas trop chercher. Mais ces derniers temps, c'est devenu compliqué, et son accès illimité - et illégal - aux caméras n'aide pas réellement. L'irlandais zoome sur le pad de Veronica avant de désigner le sien, posé un peu plus loin. "Je ne voulais pas t'en parler avant de réellement comprendre ce que j'ai vu, mais j'avoue que je n'arrive à aucune conclusion. Regarde par toi-même, c'est le fichier AJ2002. Mot de passe 1907, c'est la date de rencontre de mes parents." Ajoute Cieran d'un ton qui se veut résolument plus léger.

Cela l'ennuie de balancer cette bombe sur Veronica, mais il ne peut pas ne pas lui dire, n'est-ce pas ? Il a conservé les fichiers vidéos sur les étranges absences d'Alejandra et Naël, leur connexion, leur façon d'évoluer. Évidemment, sans les conclusions des médecins, sans tout l'historique aussi, puisque Cieran ne sait pas ce qu'il s'est passé durant leur mission précédente, c'est dur de se faire une idée précise de ce qu'ils ont sous les yeux. Surtout que personne, absolument personne, n'en a parlé, ce qui, il faut l'avouer, a lancé les rumeurs les plus folles. Mais l'idée que quelque chose se passe, qu'on leur cache, n'aide pas à rester serein face à tout ce qu'on pourrait leur cacher d'autre. L'ambiance du Voyager en ce moment n'aide pas non plus à rester très serein, pas avec la suspicion qui gangrène absolument tout.

Il se concentre sur l'opérateur l'irlandais en laissant la pilote visionner les vidéos qu'il a soigneusement gardé sur la quarantaine imposée à leur boss et à l'éclaireur qui l'accompagne. Peut-être qu'elle aura une meilleure idée que lui ? Une idée qui ne soit pas, au choix, un contrôle mental des aliens, un remplacement par un clone cyborg ou une simulation digne d'un séjour dans la matrice ?

L’utilité totale des comlinks ne leur sera jamais révélée - et ils peuvent bien blaguer, comploter, théoriser, rire et flirter, la réalité et la fiction continuent de se côtoyer d’un peu trop près pour que Veronica se sente parfaitement à l’aise. Elle préférait nettement l’ambiance de leur réveil, à l’été 2919 - la survie mariée aux possibilités infinies, et non pas à cette inquiétude sourde. « Je dirais bien que personne ne regarde ces données de très près, et que garder nos comlink sert juste en cas d'urgence, mais… Je ne sais pas. On ne sait pas grand chose. » Sur le voyage ; sur l’espace ; sur l’Arche ; sur les autres passagers ; sur leurs comlinks ; sur Hécate ; sur les meurtres ; sur les aliens. Pour quelqu’un qui n’a jamais ressenti le besoin de s’instruire davantage, pour quelqu’un dont les tendances commères se limitent habituellement à des potins légers et racoleurs, Veronica se retrouve dans une position très désagréable. Celle où elle aimerait en savoir plus et où elle n’a aucune idée de si quelqu’un, n’importe qui, à bord, en sait vraiment plus.

Son compagnon a l’expression soudainement bien sombre, bien pensive. « Ça va ? », s’inquiète la Portoricaine, tendant le cou pour voir si elle a vraiment raté un branchement à ce point. « Je ne voulais pas t'en parler avant de réellement comprendre ce que j'ai vu, mais j'avoue que je n'arrive à aucune conclusion. Regarde par toi-même, c'est le fichier AJ2002. Mot de passe 1907, c'est la date de rencontre de mes parents. Pas même celle de notre premier baiser ? », se désole faussement la pilote, sur un ton bien distrait alors qu’elle va quérir le pad de Cieran. Ses doigts courent sur l’écran jusqu’au fichier en question, puis tapent le code de sécurité.

Elle s’assit directement sur la table, sur le coin où nulle pièce d’équipement ni outil ne traîne, et au fur et à mesure que les vidéos défilent devant ses yeux, ses sourcils se froncent dans son front. Toujours plus intensément, jusqu’à dessiner une nette ligne d’inquiétude sur son visage, rejointe par celle de sa bouche serrée, de ses lèvres mordues avec nervosité.
La brune ne comprend d’abord pas vraiment ce qu’elle voit et doit répéter la vidéo, afin de remarquer ce qui cloche. Elle sait qu’Alejandra et Naël sont en quarantaine depuis février. Plus d’un mois sans nouvelles réelles de leur cheffe et de l’éclaireur, à se faire dire laconiquement que tout va bien. Ce qu’elle voit dans les vidéos, néanmoins, lui raconte une toute histoire. Fait courir d’étranges frissons sur sa nuque et ses bras, à chaque fois que les deux militaires se lèvent avec une synchronisation perturbante, chacun de leur côté de la vitre. Une froideur robotique dans ces regards qu’elle ne peut pas voir de près, dans ces gestes peu naturels. Lorsque son visionnement se termine, Ronnie reste anormalement silencieuse encore quelques minutes, jusqu’à ce que Cieran tourne son visage vers elle. La voix petite, elle demande : « Qu’est-ce que c’est ? »

Il approuve d'un simple hochement de tête l'irlandais : ils ne savent pas grand chose et cela n'aide en rien l'atmosphère de suspicion et l'ambiance lourde qui s'est installée depuis plusieurs mois. Raisonnablement, il comprend qu'on ne puisse pas tout leur dire, qu'il y a forcément des secrets mais disons qu'il ne serait pas contre l'idée que les hackers d'il y a quelques semaines leur en révèle un peu plus. Il ne peut pas cacher grand chose de ses inquiétudes à la jeune femme, Cieran le sait pertinemment et quand elle plaisante au sujet de la date de leur premier baiser, il prend sur lui pour répondre de façon la plus légère possible. "Ce sont d'autres vidéos que je garde avec ce code, thaisce." La remarque tombe un peu à plat mais Cieran ne parvient pas à être plus positif, pas après ce qu'il vient de réveler. Il s'efforce de se concentrer sur l'opérateur presque terminé, vérifiant les derniers branchements, mais ses yeux ne peuvent s'empêcher de se perdre sur Veronica, à ses côtés. Le froncement de ses sourcils, son air inquiet et sa nervosité sont autant de signes que Cieran reconnaît sans mal et qui le culpabilise encore davantage.

Le silence est tombé sur la salle et le pilote abandonne l'idée d'essayer de se concentrer pour le moment. Il éteint le pad de Veronica et lève ses yeux clairs sur elle. Sa question ne le prend pas au dépourvu mais il est bien en peine de répondre. Lui-même, il ne sait pas ce qu'il a sous les yeux. Les rumeurs les plus folles ont couru après la mission qui a précipité la mise en quarantaine de leur boss et de l'éclaireur : Naël essayant de rejoindre Alejandra à tout prix, l'état étrange de la jeune femme pendant la mission... mais la vérité, c'est bien qu'il ne sait pas Cieran. Comment démêler le vrai du faux, les rumeurs des faits, comment accorder ce qu'ils ont sous les yeux - et ne devraient pas avoir, d'ailleurs - et ce qu'ils ont entendu ? Mais il le sait, Veronica attend sa réponse. C'est lui qui l'a précipité dans ce cauchemar, et c'est sa responsabilité de ne pas la laisser s'y noyer. Il est connu, l'irlandais, pour faire des blagues vaseuses lorsqu'on s'y attend le moins, pour détourner l'attention d'une pirouette et d'un bon mot mais il ne peut tout simplement pas s'y résoudre.

Déposant ses outils à côté de l'opérateur, Cieran vient entourer la jeune femme de ses bras, damnés soient les caméras. Avec un soupir, il finit par avouer. "J'avais promis à la boss de ne pas me servir des accès caméras, mais c'est juste... j'avais besoin de savoir, tu comprends ?" Personne ne leur a donné de réponses, personne n'a répondu à leurs inquiétudes de savoir leur boss, leur commanding officer, en quarantaine. Que personne ne sache, ou que personne ne veuille leur dire, Cieran l'ignore : quoi qu'il en soit, le résultat est le même. "Vakarian n'est pas un mauvais chef, mais... j'en ai eu marre qu'on m'envoie balader. J'ai d'autres vidéos, qui montrent la même chose. Je ne sais pas." Avoue-t-il en posant ses lèvres contre le front de Ronnie. "J'ai envoyé un mail à Alejandra mais soit elle n'est au courant de rien, soit elle ne veut rien dire." Elle sait pourtant ce qu'il a pu voir sur les caméras, elle lui a redonné l'accès elle-même.

"J'ai parlé à l'un des témoins, quand Naël a été intercepté." Continue Cieran. Ça sert bien, d'avoir des contacts partout, comme l'irlandais a pu en nouer : il connaît par leur prénom les trois-quart du personnel de Voyager. "Il a dit qu'il était comme ailleurs. Comme... possédé." Et cela ne résout rien, cela n'est même pas une réponse et c'est pourtant tout ce qu'il a lui offrir. S'il serre Veronica dans ses bras, c'est autant pour lui donner du réconfort que pour sentir sa présence comme une ancre dans cet océan d'inquiétude qui menace, souvent, de submerger l'irlandais. Et il a peur de dire à haute voix ce qu'il pense Cieran, que d'entendre les mots ne les fassent devenir réalité. Leur boss et Naël sont sous la coupe des extraterrestres. Et si cela avait un quelconque rapport avec le meurtre ? La dépressurisation de la veille ? Qui peut dire ce qu'ils font, exactement, quand ils se lèvent ainsi ensemble d'un parfait accord ? Et surtout, surtout... comment savoir qu'ils ne sont que deux ? Pourquoi pas le chef de la sécurité ? L'ambassadeur ? Ou pire, la gouverneure ?

Veronica est perdue, pendant ces quelques secondes où elle attend une réponse de Cieran à propos de ces vidéos (et elle sait bien où il a pris tout ça, mise dans le secret de ces accès erronés, bien qu’elle pensait qu’il avait cessé tout cela...) et surtout, ce qu’elle a pu y regarder. Son compagnon dépose ses outils et l’entoure de ses bras, étreinte qu’elle apprécie entièrement, alors qu’elle blottit son visage dans son cou. Là où l’odeur de l’Irlandais est la plus forte, la plus rassurante, et où sa voix résonne avec encore plus de gravité lorsqu’il parle et que son oreille est pratiquement plaquée contre sa gorge.

Un hochement de tête, lorsqu’il mentionne avoir eu besoin de comprendre, tout simplement. Qu’on cesse d’éviter leurs questions, de leur offrir des réponses incomplètes, lorsqu’ils en ont. Le silence aussi fréquent que le reste, plus encore, alors que leur cheffe manque à l’appel. Et tant qu’à avoir l’occasion de vérifier par lui-même, en quelque sorte… Cieran l’a prise.
Ronnie ne peut pas le blâmer. Elle aurait fait la même chose.

« J'ai parlé à l'un des témoins, quand Naël a été intercepté. Il a dit qu'il était comme ailleurs. Comme... possédé. » Les bras de la Portoricaine se serrent autour de la taille de son compagnon, resserre encore un peu l’étreinte, reposant son front contre son torse. Les yeux fermés, comme pour tenter de réfléchir. De deviner. Il n’y a pourtant pas… pas mille possibilités. Comme possédés par cet alien étrange qui lui a fait si peur, dans l’espace, celui qui a causé leur accident, celui qui hante encore ses rêves, sa masse noire, sombre, grouillante, envahissant ses cauchemars. « Des clones, qu’on disait, mh ?, dit sa voix encore petite, un peu étouffée contre l’uniforme du pilote irlandais. Ses yeux encore fermés, ou à peine entrouverts, ne laissant à voir que le bleu des vêtements de Cieran. Ou un… une micropuce, implantée dans leur cerveau avant le départ de la Terre, supposée s’activer à un moment précis. Avec pour but de... L’imagination bloquée là où la réalité est trop présente, trop prenante, impossible à éviter et à ignorer. Veronica soupire et relève la tête, vient prendre le visage de l’homme entre ses mains. ... je sais pas. »

Le doux baiser qu’elle dépose sur les lèvres de Cieran, elle le veut doux et bref, mais Veronica se retrouve plutôt à l’approfondir au fil des secondes. Les mains remontant le long du dos du pilote, jusqu’à rejoindre sa nuque, ses cheveux sombres, sa mâchoire, son cou, son torse. Jusqu’à tout à fait manquer de souffle, il lui semble, et avoir le visage en feu. Jusqu’à ce que l’angoisse ait reculé, un peu, contre la lumière et la chaleur. « Tant qu’ils sont en observation, ça devrait aller. Elle espère. Ça, et que personne d’autre ne soit… ne soit comme eux. Possédés. Peut-être même elle, et elle ne s’en souvient pas ? La pensée est peu rassurante et Ronnie n’aime pas le frisson qui revient sur sa nuque. C’est l’heure de voir si “R2” marche ? » Revenir à leur tâche. À la légèreté. Juste un peu. Juste un peu encore.

Elle reste silencieuse, serrée contre lui, et c'est peut-être mieux comme ça. Il n'est pas réellement sûr, Cieran, de pouvoir être capable de parler si elle l'interrompt. Il a la douloureuse sensation, l'irlandais, de poser sur ses épaules, dans son esprit un poids qui ne devrait pas y être, et la culpabilité d'être celui qui le dit n'aide pas réellement. Il se sent d'autant plus coupable que c'est presque un soulagement, de partager ce secret qu'il a gardé. C'est trahir la confiance que Veronica peut avoir en lui, le souhait qu'il a de la protéger, de la sauvegarder à tout prix. Trahir la confiance de sa boss aussi, alors qu'il n'a rien d'autres que des suppositions et de vagues soupçons.

Il aura le temps de faire la paix avec lui-même, plus tard, d'essayer de gérer ce mélange de soulagement, de culpabilité et d'inquiétude qui menace de l'étouffer. Pour l'instant, il peut bien se concentrer uniquement sur Veronica : il lui doit bien ça, après ce qu'il vient de lui dire. Il sait qu'elle a été traumatisé par ce qu'il s'est passé, qu'elle fait encore des cauchemars, même si elle se garde bien de le réveiller. Ils s'arrangent pour dormir ensemble assez souvent pour qu'il soit au courant et de toute façon, Cieran n'est pas un crétin : il a bien vu qu'elle était plus nerveuse en vol, y compris dans le simulateur. Il ne sait pas, exactement, comment Veronica a vécu sa première rencontre avec l'alien mais cela aurait traumatisé n'importe qui. Il a bien fait des cauchemars pendant des jours, lui, alors qu'il ne pilotait pas et n'a pas réellement vu quoi que ce soit ! Alors, lui dire une telle chose, qui ne peut que l'inquiéter... Il le fallait, pourtant. C'est un secret bien trop pesant pour qu'il le garde pour lui-même. Veronica a le droit de savoir. Peut-être.

L'irlandais étouffe un rire quand la jeune femme prend sur elle de répéter sa théorie des clones. Ca n'a rien de marrant, réellement, mais c'est tellement improbable ! Autant qu'un alien qui connecterait les gens et leur ferait faire ses quatre volontés. Autant qu'être perdu dans l'espace dans un vaisseau qui tombe en ruine, derniers survivants d'une humanité décimée. C'est presque risible, tellement c'est ridicule... si ce n'était pas devenu leur réalité depuis bien trop longtemps.

Le baiser qu'ils échangent dit bien toutes leurs craintes, toutes leurs appréhensions dans ce nouveau monde qu'ils n'avaient anticipé ni l'un ni l'autre. Un baiser passionné, presque désespéré, et les mains de l'irlandais enlacent plus fortement la jeune femme, comme pour la retenir contre lui à jamais. Il se perd, quelques instants, dans ce désir qui l'habite tout entier, dans ce besoin irrésistible de sentir ses lèvres contre les siennes, ses mains sur sa peau, son cœur battre à l'unisson du sien. Cieran est presque à bout de souffle quand ils se séparent enfin, presque à contrecœur, et il hoche la tête aux paroles de la jeune femme. Il le sait l'irlandais, s'il parle, sa propre voix le trahira. Parce qu'il n'est pas du tout sûr que ça ira.

Mais, tout comme Ronnie, il peut bien faire semblant d'y croire. C'est à eux deux qu'elle offre une échappatoire en redirigeant leurs pensées sur le travail, sur l'opérateur qui se trouve sur leur table d'opération, sur le drone qui attend qu'ils s'occupent de lui un peu plus loin. Faire semblant. Il devrait pouvoir gérer le pilote, il le fait presque bien jusqu'à maintenant. "Yep." Son ton trop léger ne fera sans doute pas réellement illusion, mais on ne peut pas le blâmer d'essayer. Une dernière soudure, et l'opérateur sera comme neuf, enfin, aussi neuf que peut l'être un truc monté à l'envers par une IA de 900 ans. Presque neuf. L'irlandais vérifie qu'aucun instrument dangereux ne se trouve à proximité de R2 - il lui faut un vrai nom, définitivement - avant de prendre la main de Veronica. "Va, Willy. Tu es libre." Lance-t-il d'un ton qui se veut solennel avant de reprendre à l'attention de leur IA. "Hécate, tu peux réactiver l'opérateur OPG-497 s'il te plait ?" Se tournant vers Veronica, il s'explique. "Depuis que j'ai vu le film, j'ai rêvé de dire cette phrase." Il avait à peine huit ans, il a sûrement des circonstances atténuantes, non ? Et puis c'était soit Sauvez Willy, soit Forrest Gump. La vie est une question de choix, le nom des opérateurs aussi.

Son compagnon ne rate pas de prendre la perche si généreusement tendue afin de les sortir de cette conversation angoissante, qui ne risque pas d’être oubliée. Dans les prochains jours, elle rêvera de clones. D’un petit bond, elle se lève de son coin de table et se plante devant l’opérateur, les bras non pas croisés, mais près d’un outil afin de pouvoir l’assommer d’un bon coup au besoin. Ils ont assez du Visseur Fou, comme machine dangereuse, ils ne vont pas lui donner un autre copain à hauts risques de violences envers l’équipage et le matériel !

L’Irlandais prend sa main, puis son air le plus solennel avant de lancer : « Va, Willy. Tu es libre. » Veronica ne retient pas son éclat de rire, alors que Cieran demande à Hécate de réactiver l’opérateur remis dans un état sensé. Remis à l’endroit, déjà. Rire si fort lui fait du bien et allège un peu de la tension sourde et désagréable qui s’est nouée dans ses entrailles. C’est même sincère, autant que son amusement qui ne se tarit pas alors que l’homme se fend de lui explique ce choix de prénom, digne de celui d’un enfant de huit ans. « Depuis que j'ai vu le film, j'ai rêvé de dire cette phrase. Ah oui… ça devait même être l’âge auquel il a vu le film pour la première fois. Il y a si longtemps, alors qu’elle-même n’en avait que cinq et que c’est seulement bien des années plus tard qu’elle aurait l’occasion de voir l’épaulard de fiction pour la première fois, sur le petit écran du salon d’une amie. C’est un meilleur nom que ce que j’aurais pu trouver. »
Espérons que le Willy du Starship Voyager soit aussi sympathique que celui du film !

Une série de lumières clignote sur le devant de l’opérateur, d’abord sans qu’aucun autre signe de vie leur fasse penser qu’il a bien… repris vie, en quelque sorte. Peut-être ont-ils oublié un contact, à l’intérieur de sa carcasse de métal ? Un coup d’oeil inquiet vers Cieran, puis elle sursaute lorsqu’un soudain grincement de métal fait revenir rapidement son regard brun sur Willy. Qui bouge ! Se soulève ! « Il est en vie ! », tonne Ronnie sur un ton de victoire, les deux bras levés dans les airs, entraînant celui de Cieran au passage. Ils ont réussi ! Ou peut-être réussi, mais déjà, il fonctionne ! Vite, la brune lâche la main de l’autre pilote et reprend son pad pour sortir les protocoles de vérification de qualité, qui ne seront certainement pas remplis à 100% (ils visent un honnête et humble 75%, en se disant qu’ils ne pourront pas faire pire qu’Hécate). « Encore de l’énergie pour le drone ? Si oui, elle aussi. Prête à tout faire pour se sortir la tête de ces histoires d’aliens et de clones. Sinon… je suis certaine qu’on peut trouver une autre activité. » Le sourire en coin, le clin d’oeil taquin.

Vu de l'extérieur, ils doivent avoir l'air ridicule, à prendre autant de précaution pour un opérateur qui n'est pas armé et ne sera peut-être même pas capable de se mouvoir correctement. Il faut bien le reconnaître, ils sont un peu trop méfiants, sans doute, mais avec ce qui leur arrive, qui pourrait les en blâmer ? La distraction est bienvenue, quoi qu'il en soit, et Cieran prend très à cœur cette nouvelle mission de distraction, implicitement confiée par Veronica. Et puis, Willy, c'est un nom comme un autre ! Le rire de Veronica lui réchauffe le cœur et l'irlandais sent la tension qui pèse sur ses épaules s'apaiser. Pas pour longtemps, certainement pas, mais il prend ce qu'on lui offre. Il accepte le compliment de la pilote avec un sourire, croisant mentalement les doigts pour que le nouvellement nommé Willy ne fasse pas retomber leur humeur plus légère.

L'opérateur ne semble pas décidé à se réveiller de son opération et le regard des deux pilotes se croise, celui de Cieran plus pensif qu'inquiet. Où est-ce qu'ils ont pu se tromper ? Mentalement, l'irlandais révise les branchements, les connexions, autant de travaux délicats qui pourraient expliquer leur échec mais il n'avance pas bien loin que leur nouvel ami semble reprendre vie, comme le dit si bien Veronica. Ils n'ont rien de savants fous mais semblent être des réparateurs au moins partiellement compétents et quand la jeune femme lève les bras en signe de victoire, sa main tenant toujours celle de Cieran, l'irlandais a un grand sourire. Oubliées, pendant quelques secondes, ses inquiétudes et ses appréhensions ! Ils ont réussi ! Les chiffres qui s'affichent sur le pad de la pilote n'ont pas l'air trop mauvais et rien que cela, c'est une victoire.

La soudaine réplique de Veronica le prend au dépourvu et Cieran observe la jeune femme, l'air faussement scandalisé, avant de lui prendre son pad des mains et de le poser sur un bureau à côté d'eux. "Est-ce que tu sous-entend qu'on devrait arrêter de travailler pour une activité beaucoup moins..." Les mains du pilote viennent enserrer les fesses de la jeune femme, la rapprochant de lui. "Professionnelle ?" Ses yeux se font rieurs quand il l'embrasse doucement, presque délicatement, d'une façon qui n'a rien à voir avec le baiser presque désespéré de tout à l'heure. Il a complètement oublié, l'irlandais, la caméra qui filme possiblement la pièce. "Je suppose que le drone peut attendre une heure. Ou deux. Trois ?" Hasarde Cieran avec malice. Ce n'est pas comme si quiconque viendra leur en tenir rigueur de toute façon. Et clairement, vu la tension actuelle, si Veronica lui propose de s'amuser et de se détendre ensemble, il serait complètement fou de lui dire non !

Son compagnon semble bien surpris de sa suggestion, qui à son sens n’est pourtant pas sortie de nulle part. Il prend lentement le pad de ses mains et un léger doute s’insinue dans son esprit Cieran ne va quand même pas dire non ? Pas que Ronnie puisse le forcer à quoi que ce soit, mais si ça arrive… la thèse des robots clones n’en sera que plus pertinente. « Est-ce que tu sous-entend qu'on devrait arrêter de travailler pour une activité beaucoup moins... Les grandes mains qui enserrent soudainement ses fesses lui arrachent un long frisson, partant directement depuis son bas-ventre. Professionnelle ? » Un gloussement tout contre ses lèvres, dans le baiser bien moins empressé, presque désespéré, qu’ils ont précédemment échangé. Elle frotte doucement sa joue contre celle de l’homme, une fois le baiser interrompu, comme un chat en recherche de caresse tout contre sa barbe douce.

« Oh non, voyons, qu’elle corrige en secoue la tête négativement, comme si Cieran venait de grossièrement se méprendre sur ses intentions (pas du tout, en vérité). Ce sera très professionnel, même. Le sérieux qu’elle veut affecter sonne affreusement faux, alors qu’elle est incapable de retenir son sourire d’étirer ses lèvres ; ni ses mains se courir un peu plus bas dans le dos de Cieran Une simple façon de resserrer les liens entre deux collègues, tu vois ? » Oh, oui, il voit très bien, alors que son sourire remonte jusqu’à ses yeux gris, éclairant Cieran depuis l’intérieur de cette chaleur solaire qu’elle aime tant, qu’elle ne se satisfait pas de toucher du bout des doigts et d’embrasser à pleine bouche. Qui lui fait oublier le travail à faire, les drones à réparer, les soucis avec leur chef, les morts et tout ce qui rythme leurs vies sur l’Arche.
Elle n’est pas engagée dans cette mission dans l’espace pour trouver l’amour, à quelque part toujours un peu convaincue que sa mère avait raison de penser qu’elle n’était pas faite pour aucun homme. Veronica regrette de ne jamais pouvoir lui présenter Cieran, qui est justement ce qu’il lui faut, et ne trouve certainement pas sa fille pas assez délicate. Qui sait toujours allumer des étoiles dans ses yeux et un feu dans son ventre.

« Je suppose que le drone peut attendre une heure. Ou deux. Trois ? Allons-y pour trois. » Promis, ensuite, ils y reviendront. Une fois qu’ils auront chassé tout ce qui concerne les aliens de leur tête, et que le monde lui semblera à nouveau avoir davantage de sens.