Il y a peut être de l'espoir

Je déposai la tasse fumante sous le nez de Mackenzie, un petit sourire un peu hésitant sur les lèvres. Un café. Un luxe. Enfin c’était plutôt du jus de chaussette, mais là, après presque 24h d’éveil, je crois que j’aurais même bu un tonneau de jus de chaussette. L’observatoire était plutôt silencieux malgré les bips réguliers des ordinateurs nous indiquant l’évolution des calculs que nous avions lancés après la découverte de cette planète. Une équipe serait bientôt envoyée là-bas, mais nous n'étions pas sûr de pouvoir communiquer, le champ magnétique de la planète était encore un mystère pour nous. C’était à peine si les appareils de mesure réussissaient à passer alors une voix ou une image…malgré tout, nous étions sur le pieds de guerre depuis cette découverte et même si je n’étais pas une spécialiste en planétologie, j’en avais quelque notion. Mackenzie elle, était une astrologue. Ni elle ni moi n’étions des chercheurs spécialisés dans ce domaine, du moins c'était ce que je croyais, mais nous étions les seules réveillées alors…Autant faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Je penchai légèrement la tête sur le côté. « J’ai pensé qu’il était peut-être temps de faire une pause…Ca fait 24h qu’on est debout. » fis je d’une voix un peu fatiguée. Je devais avoir une tête de zombie en plus, un zombie en voyage même vu la taille de mes valises sous les yeux. Je me laissai tomber sur la chaise voisine de ma collègue en soupirant, me frottant les yeux comme un bébé l’aurait fait. « Ca reste encore difficile de garantir la viabilité de cette planète, les sondes sont encore en mouvement » De petits bijoux de technologie que j'avais hâte de voir revenir plein d'informations. J’étouffai un bâillement. « Les constantes sont normales et les machines travaillent pour nous…On a besoin de souffler un peu. » Je n’avais jamais vraiment parlé a Mackenzie, sauf pour échanger nos points de vue de scientifiques ou pour coordonner nos recherches. Rien de personnel, ni même de chaleureux. Ma réserve naturelle s’effaçait assez facilement lorsque je baignais dans mon domaine mais là, je me donnais l’impression de combler les vides, sortie de ma zone de confort en somme.

Un peu pensive, je fis tourner ma propre tasse entre mes paumes. « Que crois-tu que nous trouverons là bas si la planète s'avère accueillante ? » Nous savions que l’atmosphère était respirable, proche de celle de la terre mais pour le reste…C’était le flou total. Je n'étais même pas sûre de vouloir faire partie de l'équipe d'exploration...Naël en ferait sans doute partit lui « Avec de la chance…ce sera une planète accueillante… » soufflais je avec un peu d’espoir dans la voix. L’espoir d’une survie possible, d’une solution, d’un endroit où nous pourrions nous établir…Mais rien n’était joué encore. Pour l'heure, cela se reposait sur nous....

La découverte d’un système planétaire est venue bousculer la routine installée dans l’analyse des données des neuf cents dernières années. Enfin quelque chose de concret et de prometteur et qui me donne l’impression de gagner en utilité. Mon regard fixe les derniers relevés jusqu’à ce qu’une tasse de café fasse son apparition dans mon champ de vision. Je porte mon attention sur Alice et la remercie de cette attention, l’odeur du café me rappelle la veille que nous entretenons depuis plusieurs heures et mon corps a envie d’un peu de repos, l’excitation de la découverte étant retombée depuis.

- Oui, tu as raison. Je saisis la tasse et la porte à mes lèvres. Dommage que le breuvage ne soit pas à la hauteur de mes souvenirs et je me demande s’il serait possible de cultiver quelques plants de caféier de bonne qualité, mais pour cela il faudrait avoir les graines adéquates. Les paroles de la jeune cosmologue sont sensées et je masse mes tempes pendant quelques secondes. J’espère que les sondes nous enverront un maximum d’informations, mais la vétusté de certains équipements est préoccupante. En même temps, ils ne sont pas de toute jeunesse. Mais c’est vrai qu’on pourrait prendre un peu de repos, les planètes ne vont pas disparaitre pendant notre sommeil.

Je ne réponds pas de suite aux questions de la française sur l’astre. A vrai dire je ne sais pas trop quoi espérer pour cette planète. Comme elle j’espère que nous trouverons un point d’ancrage, une terre d’accueil pour les derniers survivants humains. Mon regard glisse vers les données.

- Apparemment, il y aurait de la végétation en grande quantité vu les premiers clichés qu’on a. C’est plutôt prometteur je dirais, j’attends beaucoup de l’expédition à venir, elle permettra de combler les vides. Je me redresse légèrement sur ma chaise pour détendre mon dos. J’aimerais y participer, je pense que certaines de mes connaissances pourraient être utiles. Et toi, tu aimerais visiter cette planète ?

L’idée d’une exploration ravive mon enthousiasme, cependant j’allais devoir attendre les décisions finales concernant ce projet.

Machinalement, je jetai un coup d'oeil sur les écrans qui nous entouraient. Parfois, les informations arrivaient en temps réel et parfois...non, tout simplement, quand nous ne perdions pas le contact évidemment. Je soupirai doucement aux dires de Mackenzie. Elle avait raison, nos appareils avaient été la pointe de la technologie terrienne...En 2019. Cent ans plus tard, certains accusaient des signes de vétusté malgré le fait qu'ils n'aient pas été utilisés. C'était préoccupant et les rares techniciens réveillés travaillaient d'arrache pied pour tout remettre en état. Puis je souris d'un air un peu fatigué. « Exactement. » Évidemment, mais tout de même, tous ressentait l'urgence de la situation. Nous ne savions pas si nous pourrions survivre longtemps en autarcie. Je goûtai le café et grimaçai. Non décidément, rien a voir avec le passé, mais nous devrions nous en contenter.

Profitant de ce moment de pause, je questionnais ma collègue sur ses impressions, voir ses espoirs. Elle était comme moi d'une certaine façon, pragmatique et réaliste. Je suivis son regard avant de hocher la tête. « Tant qu'il y a de la vie, c'est un bon départ. » D'un point de vue scientifique du moins, le tout était de savoir si l'environnement était accueillant. Pouvoir respirer était une chose, pouvoir se nourrir des produits de la terre en était une autre, sans parler, bien évidemment, du risque qu'elle soit déjà habitée. Le reste fit naitre une petite moue sur mon visage. « J'aimerais dire que oui, mais, si je suis honnête, je sais que je ne serais pas utile...Ce serait même le contraire. Je n'ai aucune compétence dans l'exploration, ni en bio-chimie. A vrai dire, je serais sans doute plus un poids qu'autre chose...Même si l'envie de sortir de ce vaisseau est assez présente, autant rester réaliste et puis, quelqu'un doit tenir le pont comme on dit. » Puis je souris un peu plus largement. « Tu as un penchant pour l'exploration ? Personnellement, je suis un peu trop prudente pour me lancer la dedans, mais j'imagine que cela doit être gratifiant d'être le « premier pas » sur la lune » repris je en miment des guillemets au terme premier pas.

Me massant un peu la nuque, je m'étirais légèrement. Diantre, j'avais l'habitude de travailler d'arrache pied, mais je dois dire que les dernières vingt quatre heures avaient été particulièrement remuante. L'état major demandant des rapports toutes les demi-heures en plus. « Je me demande quelle nouvelle forme de vie vous allez croiser...En espérant qu'elles ne soient pas agressives évidemment... Quelque chose me dit que les biologistes du vaisseau vont s'en donner a cœur joie ! » Enfin sans parler de la forme de vie qui vivait en isolement sur le vaisseau...Qui elle, me donnait des sueurs froides, surtout après le récit de Naël. « Ca me paraît tellement étrange de me dire que nous allons devoir tout recommencer depuis le début...Comme vivre a l'âge de pierre, quand on sait qu'avant on ne pouvait pas vivre sans une ampoule et un pc...J'espère être taillée pour la vie sauvage... » ajoutais je avec un demi sourire amusé, une touche d'humour timide nageant dans ma voix. Puis je logeai mon menton dans le creux de ma main, pensive. « Mon professeur me dirait : A-t-on le droit de coloniser une autre planète lorsque nous voyons ce que nous faisons de la notre...Crois tu qu'il ai eu raison ? » Je n'avais pas conscience de sauter du coq a l'âne pour le coup, juste de dire la première chose qui me passa par la tête.

La vie, Voyager est telle l’arche de Noé transportant les derniers représentants des espèces terrestres. Non pas que je sois croyante mais certains jours j’imagine qu’une entité supérieure nous indiquerait la route à suivre, mais pour l’instant je préfère me fier aux relevés de nos instruments même vieillissants. Après une nouvelle gorgée peu goûteuse, je reporte mon attention sur Alice tandis qu’elle me donne son avis sur la prochaine expédition. Je comprends ses arguments et pendant quelques instants je me demande si j’aurai une quelconque utilité mais l’idée de découvrir une nouvelle planète l’emporte.

- J’avoue que l’idée d’être parmi les premiers à poser le pied sur une nouvelle planète est grisante. Un grand sourire s’affiche sur mon visage à cette perspective. J’ai l’impression que la fatigue amplifie mes réactions mais qu’importe. En dépit du fait que nous soyons les derniers humains, les émotions liées à la découverte restent présentes. J’aime bien explorer. Je hoche la tête à ces mots. Autrefois mon père nous emmenait dans les forêts canadiennes pour découvrir la nature. Certes ce n’était pas sur une terre inexplorée mais il nous faisait découvrir pas mal de choses. Je pense qu’il y aura des militaires avec nous pour assurer la protection, ce serait irresponsable dans le cas contraire.

D’ailleurs Alice évoque la possibilité de rencontrer une nouvelle forme de vie et je reste pensive à cette idée. Je sais quoi faire avec les planètes et autres objets célestes mais me retrouver devant une autre forme de vie… Je ne suis pas certaine de ma réaction à vrai dire. Je suppose que je serai fascinée ou horrifiée si c’est dangereux.

- Je n’en doute pas, j’ajoute suite à sa remarque sur les biologistes. Puis elle me fait part de ses doutes sur notre capacité à recréer notre civilisation.  L’évocation de l’âge de pierre me rappelle les Pierrafeu et je fais une moue fugace.  Je nous vois mal vêtus de peaux de bêtes et de toute façon nous avons les combinaisons du vaisseau et nos uniformes. C’est vrai que ça fait peur vu comme ça mais je me dis qu’on ne repart pas de zéro. On devra se passer de certaines technologies je pense mais nous pourrons nous appuyer sur notre savoir et nous savons plutôt bien nous adapter. Puis je lève les yeux au plafond, pensive suite à sa question sur notre droit de colonisation. Elle n’a pas tort, notre bilan sur Terre n’est pas en notre faveur. Nous nous adaptions, bien que ce fût plutôt la terre que nous façonnions à notre image. Vaste question… Mais nous pouvons voir tout ceci, je fais un geste englobant Voyager, comme une opportunité de recommencer en évitant de faire les erreurs du passé. Alors, faisons en sorte de donner tort à ton professeur et démontrons que nous pouvons faire mieux.

Je ne suis pas sûre d’être au meilleur de ma forme pour entretenir une discussion philosophique ou métaphysique. J’espère simplement que nous aurons la chance de pouvoir nous établir sur une planète accueillante, de reconstruire la société humaine sans réitérer les mêmes erreurs.

- Il faut garder la foi en le genre humain et tâcher de gommer ses travers. Mais d’abord trouvons un lieu où s’établir.

Je bas légèrement des cils devant le sourire rayonnant qu'elle m'envoie. Après tout, je crois que c'est la première fois que je vois ce genre de sourire ailleurs que sur le visage de Naël. En vérité, quand on y pense, personne ne sourit réellement sur le vaisseaux. En même temps, difficile d'oublier dans quelle situation nous nous trouvions. Quelque part, j'envie cette capacité. Un demi sourire se peint sur mon visage lorsqu'elle évoque son enfance. La mienne fut loin d'être aussi...aventureuse je dois dire. J'ai eu la tête dans les étoiles beaucoup trop tôt pour m'occuper de la terre. « Mis à part les rues de ma ville natale en France, je n'ai pas exploré grand chose sur terre. J'en viens presque a le regretter maintenant en y songeant. » Je hoche pensivement la tête lorsqu'elle évoque la présence de militaire. Oui, sans aucun doute, j'ai une pensée pour le seul militaire que je connaisse, nul doute qu'il sera enchanté. En cela, il ressemblait un peu a Mackenzie.

Vivre une telle découverte avec ce que cela implique. C'est vrai que j'aimerais faire partie des premiers mais je sais aussi que je ne suis pas taillée pour ce genre d'expédition. Il était inutile de me mentir a moi même, alors, je vivrais cela de loin sans doute...Ensuite, j'irais voir ceux qui étaient descendu pour savoir, pour comprendre et connaître. Clara me dirait que c'est de la vie par procuration, mais Clara exagérait souvent...trop... « C'est vrai qu'outre sa capacité de destruction, l'homme est un être qui s'adapte très vite. A vrai dire, je ne sais pas si je dois être horrifiée a l'idée de tout reconstruire ou être...excitée de le faire. Après tout, c'est un défi et j'aime les défis...Du moins, si je suis sûre de les remporter évidemment. » conclus je avec un sourire amusé. C'était sans doute là la façon de penser d'une paire de scientifiques d'ailleurs, après tout, c'était notre quotidien non ?

J'aime beaucoup sa façon de penser notre future colonisation. Il n'était pas faux de dire que nous avions détruit notre propre monde. Peut importe que ce soit finalement le soleil qui l'ai consumée, a terme, c'est nous qui l'aurions fait. Dans un siècle ou deux... « C'est ce que je me dis aussi et, en même temps, difficile de penser capitalisation quand il n'y a pas d'économie. » fis je avec un léger rire dans ma voix, très discret ceci dit. Mais le raisonnement est bon en fait. Pas d'économie, pas d'ambition ni d'avidité. Cela étant je ne doute pas que nous trouverions autre chose. Baaah, je m'inquiétais sans doute pour rien ou je voyais beaucoup trop loin. C'était idiot. « Oui, tu as raison, je pense toujours un peu trop loin. Pour l'instant nous avons des choses plus urgentes a régler c'est sûr. » Je bus pensivement une gorgée de jus de chaussette. « Qu'est ce qui t'as poussée a rejoindre Voyager si ce n'est pas indiscret bien sûr ? » Cette question revenait sans doute souvent et peut être que Mackenzie l'avait entendue plus souvent qu'a son tour. Moi même j'y avais répondu mainte fois, souvent succinctement, parfois avec plus de mots, comme avec Naël ou Alejandra. « Je suppose qu'on te l'a déjà demandé plein de fois. » repris je avec une petite moue.

Alice me fait part de ses regrets de ne pas avoir visité plus de lieux sur Terre. Je crois que nous sommes nombreux à tenir ce genre de propos et que certains remettent en question leur engagement sur Voyager ne m’étonnerait qu’à moitié. Nous étions partis pour un long périple avec un retour possible alors que nous voilà embarqués dans une errance intersidérale.

- Malheureusement, nous ne pouvons plus corriger ce fait, je déclare sur le fait d’explorer la Terre.

Puis lorsque nous abordons les capacités humaines d’adaptation, je me prête à penser aux perspectives que pourrait offrir la découverte et la maîtrise d’une technologie extraterrestre, illustrées par des images de films que j’ai vus. D’ailleurs je me demande si une telle découverte sera similaire à l’imaginaire cinématographique ou totalement différente. De toute manière, nous n’aurons de cesse de comparer avec ce que nous connaissons. Je reporte mon attention sur mon interlocutrice, notant qu’elle apprécie les défis. Je souris à cette mention.

- Nous préférons toujours gagner. Déjà, travailler sur les enregistrements des années passées me semble un beau défi, certainement long et fastidieux, mais découvrir une autre civilisation, ça  c’est un défi d’un tout autre genre.

J’acquiesce à sa remarque sur l’économie. L’argent peut être aussi bien néfaste que bénéfique suivant les utilisateurs, même si je trouve qu’il a tendance à exacerber les mauvais penchants de l’homme. Et ce dernier reste matérialiste et fera de n’importe quelle ressource un vecteur de pouvoir. Sauf si nous apprenons de nos erreurs.

- Il faut savoir se projeter mais je pense que nous pourrons construire quelque chose de vraiment cohérent seulement si nous trouvons une planète où vivre.   Puis mon regard se fait pensif tandis qu’elle me questionne sur ce qui m’a motivé à rejoindre le projet Voyager. Cette question revient souvent dans les discussions… En fait, la perspective de pouvoir explorer moi-même notre univers au lieu de l’observer depuis la terre a été le déclencheur. Quel astronome ne rêverait pas d’aller voir au plus près les objets célestes ? Et participer à un évènement pareil, contribuer à alimenter notre savoir voire révolutionner la pensée scientifique c’est plutôt exaltant comme perspective non ? Ce n’est pas une décision qui fut si facile à prendre quand on sait que nous laissions nos proches derrière nous. Et aujourd’hui on peut se demander si on a fait le bon choix ou non.

Mes paroles sont moins enjouées quand je pense à mes proches, deux idées s’opposent, celle que j’aurai dû rester près d’eux et vivre avec eux et l’autre qui souligne le fait que je suis encore en vie et qu’il y a tout un univers à explorer. Mon regard se pose sur les écrans et j’espère qu’au cours de notre périple nous n’avions pas dépassé une planète qui aurait pu nous accueillir. Puis je reviens sur Alice.

- Et toi quelle a été ta motivation ? Je présume qu’on doit se rejoindre sur le pan scientifique de l’expédition.

En tant que cosmologue, pouvoir étudier l’univers en voyageant à travers celui-ci devait être une bonne motivation. Mais a-t-elle également laissé sa famille derrière elle ? Quoiqu'il en soit, notre conversation dure encore de longues minutes, parfois entrecoupées de signaux sonores provenant des analyses et observations en cours, alimentant les espoirs que représentent les planètes de ce système solaire.