Dis moi quelle est l'histoire...| Naël Yasin

Bientôt, une nouvelle expédition. Encore une. Moi qui m'étais demandé pourquoi est-ce que j'avais été dans les premiers réveillés, quelle serait mon utilité, maintenant, je le savais. Pas le temps de se reposer sur ses lauriers, que déjà, il fallait remettre le pied à l'étrier. Il y avait bien une menace à l'intérieur de ce vaisseau. A priori, confinée, reléguée dans une partie inaccessible au public, verrouillée... En théorie. En pratique... On ne savait pas vraiment de quoi ces trucs étaient capables. Je soupirai en me passant une main sur le visage, épuisé. Je dormais vraiment trop peu et trop mal... Je n'arrivais plus à me concentrer sur ce que j'étais en train de lire. Lire en anglais me demandais de la concentration, j'avais encore quelques ratés, même si je faisais d'énormes progrès et que cela revenait vite. Surtout en pratiquant.

Et je sursautai alors qu'un bruit me réveillait. Merde, je m'étais endormi quand au juste ? Un peu désorienté, j'avisais l'heure. Ce n'était pas mon genre de piquer du nez comme ça. Je me redressais : "J'arrive." Je passais une main dans mes cheveux qui faisaient leur vie. C'était n'importe quoi. J'ouvris la porte, surpris de voir... Alice. Je souris, sincèrement content de la voir. "Salut. Quelle bonne surprise." Heureusement que je m'étais endormi habillé, j'aurais eu l'air fin à lui ouvrir en caleçon. Je posais mon bras contre l'encadrement de la porte, appuyant ma tête contre ma main, un sourire plus chaleur sur les lèvres : "Ravi que tu ai eu du temps alors..." Sourire qui se fana quand elle ajouta qu'elle voulait savoir comment j'allais. Une ombre passa sur mon visage, suivi d'un tic nerveux sur un sourire déjà bien moins présent : "Ca va..." Pas très convaincu, ni convaincant. Mais je n'allais pas plus mal que d'autres dans la situation actuelle.

Elle ajouta qu'elle serait bien venue avec quelques gourmandises, mais qu'il valait mieux pour ma santé qu'elle n'en fasse rien. "Ah ? On aurait menti sur la cuisine française ?" Le mot anglais pour gastronomie m'échappait. "Ta présence est bien suffisante." Même si on n'évoluait pas du tout dans le même monde, sa conversation était intéressante. Et son comportement décalé était charmant. Elle n'était pas très douée pour les relations sociales. Pas de soucis, moi je l'étais pour deux. "Non, je m'étais assoupi, mais c'est une mauvaise idée, je vais encore mal dormir cette nuit si je dors n'importe comment et n'importe quand." Mon cerveau cogitait un peu trop. Je reculais, pour la laisser entrer. "Ah, désolé pour le désordre." je n'attendais pas spécialement de visite, donc la cabine était dans son jus quoi. Après, cela restait tellement minimaliste que c'était difficile de laisser le bordel, hormis quelques fringues, des papiers, ce genre de choses quoi. Je me demandais comment elle, elle allait. C'était sa coloc qui s'était faite tuer après tout... Ce n'était pas anodin. Il s'était passé tellement de choses en quelques semaines. C'était vertigineux. Je refermai la porte, poussant les vêtements qui traînaient pour lui laisser la place de s'asseoir. "Cela me fait plaisir de te voir, Alice. Il s'en est passé des choses ces derniers temps hein ?"

Je haussai les épaules alors qu'Alice faisait remarquer que je n'avais pas l'air d'aller bien. Etait-ce si étonnant que je sois quelque peu tourmenté par tout ce qu'il se passait sur ce vaisseau ? Sans doute pas. Ne rien ressentir serait davantage troublant encore, parce que rien n'était normal. Et que si je pensais être préparé à affronter ce genre de menace, et bien, je me trompais. Peut-être que toutes ces centaines d'années dans le caisson de cryosommeil avaient un peu émoussé mon mental... Je l'ignorais. Qui savait quelles conséquences cela avait sur notre organisme au juste ? Je la vis hésiter, esquissant un geste vers moi, avant de se raviser. Et je souris juste, amusé par sa timidité, alors que je la laissais entrer simplement, non sans plaisanter sur sa cuisine. Hey, c'était elle qui avait commencé en disant que cela n'aurait pas été un franc succès, je n'y pouvais rien. "Mince, la seule française que je connais et je ne peux même pas profiter de la gastronomie." Nous n'aurions peut-être pas du parler de ça, parce que voilà que cela me donnait vraiment faim. Rien que d'imaginer de vrais bons plats...

Je secouai la tête négativement alors qu'elle proposait de me laisser. "Non, reste." Un peu de compagnie ne me ferait pas de mal. Surtout aussi charmante. Je m'excusais cependant pour le bazar qui régnait dans ma très modeste cabine. "Parce que je n'ai pas beaucoup d'affaires." Je passai une main dans mes boucles totalement indisciplinées, ce qui ne changea rien du tout alors qu'elles me retombaient sur le front d'ailleurs. Je renonçais alors, commençant à chercher après un élastique, après lui avoir fait une petite place. Heureusement qu'aucun boxer ne traînait quand même. Je continuais de chercher, m'affairant avec une certaine nervosité alors qu'elle abordait le sujet des dernières missions. Ou plutôt répondait à ma propre invitation à en parler. Mais de quoi pouvions-nous parler d'autre au juste ? "Ouais... Je ne pensais pas... Je ne suis pas un novice en matière de situation dangereuse, d'immersion en territoire ennemi... Mais ça, c'est pas humain. Pas une menace identifiée. On ne sait même pas de quoi c'est capable au juste. Et d'après ce que j'ai constaté... Cela n'augure rien de bon." Et nous n'étions en sécurité nulle part.

Je finis par choper ce foutu élastique et je tirai donc mes cheveux en arrière pour les attacher et me dégager le visage, avant de m'asseoir près d'Alice. Même si j'avais des difficultés à tenir en place. "Ouais, je suis navré pour elle. Elle a voulu nous venir en aide et elle s'est faite attaquer sans rien voir venir..." Et la scène n'aurait pas été déplacée dans un alien franchement. Je penchai la tête, surpris, quand elle ajouta qu'elle était davantage inquiète pour Alejandra ou moi. "Ah oui ?" Je souris légèrement, plutôt heureux que quelqu'un s'en fasse pour moi dans ce merdier. Nous étions des inconnus les uns envers les autres finalement. Rien ne nous liait vraiment. Et je cillai quand elle prit ma main entre les siennes. Je me rendais compte que j'avais besoin de contact en fait... J'étais loin d'être sauvage ou froid. Bien au contraire. "C'est le problème quand on commence à s'attacher à des militaires... Et si on pensait qu'on serait juste là pour la surveillance ou pour explorer des planètes inconnues et hostiles, on se trompait." Parce que l'ennemi était déjà à bord. Confiné pour le moment... Pour combien de temps ? Il fallait trouver un endroit où se poser, où pouvoir se débarrasser de ces saloperies simplement. "Je te dirais bien que nous sommes les seuls à risquer notre vie, mais ce serait faux... Ces aliens... je suis convaincu qu'ils peuvent se camoufler. Changer de forme. Je ne sais pas comment mais..." Je haussai encore une épaule. "Enfin, ils sont confinés pour le moment, on est en paix. Je ne serais pas fâché qu'on puisse se poser sur une planète et sortir un peu de Voyager." Je portais ses mains à mes lèvres, en un baisemain de gentleman. "Merci de t'inquiéter pour moi."

"Les deux ne sont pas incompatibles." Pour ma part, c'était souvent un mélange des deux que je ressentais. Parce que je n'étais pas complètement quelqu'un d'inconscient non plus et que je savais quand même mesurer le danger. Mais qu'il y avait quand même ce besoin de ressentir un petit frisson d'excitation coupable dans le danger. Mais il ne fallait pas oublier que des gens étaient morts... Ce n'était pas rien, quand bien même je ne connaissais pas cette fille plus que ça. Cela ne m'affectait pas autant que si j'avais eu des attaches avec elle, mais sa mort avait été rapide et... horrible. Et pourtant, je ne pus m'empêcher de sourire, touché quand elle ajout qu'il était difficile de ne pas m'apprécier. "Vraiment?" Bon, ce n'était pas très charitable de pousser ainsi mon avantage, surtout alors qu'Alice était quelqu'un de plutôt timide qui avait des difficultés à se lier aux gens et à dire certaines choses. Je la taquinais, mais le prendrait-elle bien sans se refermer comme une huitre en devenant cramoisie, c'était une autre histoire. "C'est que je ne t'ai montré que mes bons côtés." Parce que j'avais des défauts, agaçants. Surtout pour les femmes de tête. Suffisait de voir avec Mar. Oh, on s'aimait bien, mais il y avait quelques piques aussi. Cela mettait un peu de sel dans notre relation.

Je fus cependant surpris quand Alice mit sa main dans la mienne. Elle ne m'avait pas semblé très tactile, ni à l'aise avec ça. Elle devait se sentir en confiance avec moi. C'était bien. Elle renchérit en disant que s'attacher à quelqu'un qui risquait sa vie n'était pas un risque si difficile à prendre. Ah elle disait ça, parce que nous allions bien, mais cela ne durerait peut-être pas. Mais c'était bien qu'elle pense ainsi. Je penchai la tête sur le côté quand elle parla de.. slime ? "Un quoi ?" La référence m'échappait. Je n'avais peut-être pas bien compris le mot, ma maîtrise de l'anglais étant imparfaite, mais je ne voyais pas trop ce que c'était un slime. "Les biologistes vont avoir du pain sur la planche." Parce qu'étudier ce truc alors qu'on n'a pas réussi à en ramener... Cela allait être compliqué ? On en savait vraiment très peu à son sujet, c'était problématique. Et je me rembrunis à la possibilité que ça puisse échapper au confinement. Ce serait une catastrophe. Surtout en ne sachant pas identifier la menace avant qu'elle ne fonde sur nous.

Il était statistiquement possible qu'on trouve une planète où s'installer, restait à voir si elle serait accueillante. Et, sans trop de surprise, Alice avouait ne pas être certaine de vouloir s'aventurer dehors. "Pourtant, s'engager sur cette mission, c'était déjà une sacrée aventure... Quitter son foyer, sa famille, ses amis, tout ce qu'on connaît, pour plonger vers l'inconnu..." Sans être une casse-cou, Alice avait eu le cran de se lancer là dedans et ce n'était pas rien. Surtout alors qu'elle était une civile. "Tu n'es pas curieuse de savoir à quoi pourraient ressembler les végétaux d'une autre planète ? Les animaux s'il y en a ? Est-ce que cela nous rappellera des choses connues ou est-ce que ce sera totalement inconnu ? Comment la vie a pu se développer dans une autre système avec d'autres conditions ?" tellement de questions. Et je n'étais même pas scientifique, ni doué là dedans. "Et puis... Juste pouvoir respirer de l'air pur... Voir et sentir le soleil." Il y avait de la nostalgie dans ma voix. J'en avais marre de cette carlingue.

Et face à sa compassion, je lui baisai la main... Et sa réaction fut immédiate alors qu'elle rougissait. Juste pour ça ? Amusé, un sourire commença à étirer mes lèvres. j'étais d'humeur taquine, mais ce n'était sans doute pas le moment de jouer. Surtout qu'Alice ne semblait pas très aguerrie à ce sujet. Oh je mentirais en disant que je n'avais pas quelques désirs et Alice était très jolie. Mais ce ne serait pas très correct. Et ce n'était pas le moment. Ahaha, y aurait-il seulement un moment pour ce genre de frivolité ? J'en doutais. "Désolé si je t'embarasse."

Je ris de bon cœur quand elle se rendit compte de sa méprise. Enfin... Ce n'en était pas vraiment une, mais elle semblait imperméable au second degrés. Du moins au mien. Et au badinage aussi. C'était marrant. Je la trouvais amusante, un peu décalée. Dans la lune, tout en étant scientifique, c'était un drôle de mélange. "Il n'y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse." Je répondis avec indulgence. Et quand je répliquais qu'elle n'avait eu droit qu'à mes bons côtés pour avoir cette opinion de moi, sa propre réponse me fit sourire une fois de plus. "C'est possible aussi, en effet." Je n'étais pas si chiant que ça en vrai, mais bon, voilà, si on m'emmerdait, je me montrais. Si on m'asticotais, je répondais. Sauf qu'Alice n'était pas du tout de ce genre là. Et ne cherchait pas non plus à tous prix à montrer qu'elle était une femme forte et indépendante qui n'avait besoin de personne. Parce que des comme ça, y'en avait une paire sur Voyager.

Par contre, qu'elle me touche spontanément, ça, ça me laissa pantois. Je ne m'échappais pas, parce que c'était quand même vachement agréable d'avoir un peu de contact humain après tout ce temps. Sans compter que je ne connaissais pas grand monde avant de venir ici et que je n'avais aucun ami. Les liens se faisaient au fil des diverses rencontres. Heureusement que j'étais encore d'un naturel sociable. Je n'imaginais pas les timides ou les renfermés... Ils avaient laissé beaucoup derrière eux. Mais ils ne devaient pas être nombreux ici, au vu des sélections draconiennes pour faire partie de la mission.

Nous parlâmes alors des aliens et je montrai mon incompréhension à Alice quand elle le compara à un slime. "Oh... Berk." Une boule gélatineuse qui pouvait s'infiltrer partout et se transformer en tout... "Tiens, tu serais une geek ?" Elle n'en avait pas l'air. Quant à savoir si c'était comme son slime... Difficile à dire. Cela avait eu une forme arachnoïde bizarre, mais était-ce une forme primitive ou une forme d'emprunt ? Ce n'était sûrement pas à moi de répondre à cette question. Je laissais ça aux scientifiques.

Au fil de la discussion, nous dérivâmes sur nos personnalités et nos aspirations. Elle semblait admirative que je sois plutôt du genre aventureux alors qu'elle avait peur de l'inconnu. Elle avait pourtant fait un truc que peu de gens dans sa situation auraient fait : embarquer sur un vaisseau spatial pour un très très long voyage. Quitter sa famille, ses amis, son univers familier pour une plongée extrême dans l'inconnu. Mais comme elle le fit remarquer, c'était aussi un rêve pour elle. J'appris en même temps qu'elle n'avait plus de famille. Et juste une meilleure amie. Alice faisait partie de la classe des gens solitaires à laquelle j'avais pensé un peu plus tôt. "Cela n'a pas du être facile de partir. Et elle, de te laisser partir." Je n'osais pas commenter le reste. Parce que c'était impossible de savoir quand sa meilleure amie avait été tuée dans l’annihilation de notre planète. "Franchement, il n'y a pas beaucoup de tes confrères qui soient faits pour aller sur le terrain sans se mettre en danger." Parce qu'entre les connaissances théoriques et la mise en pratique en univers inconnu et hostile, il y avait une différence. "Tu serais peut-être surprise par tes ressources." Elle ne pourra pas savoir sans expérimenter. Mais encore faut-il se lancer.

Je me surpris à lui baiser la main, déclenchant ainsi une réaction immédiate d'embarras chez elle. Ce qui me poussa à la taquinerie. Alice ne retira pourtant pas sa main, alors que je m'excusais, sans vraiment être contrit. "Je suis plein de surprises." Nouveau sourire étincelant, avant d'ajouter : "Mais tu n'es pas mal non plus dans ton genre... Tu es déconcertante plutôt." Et sa conversation agréable, au point de passer encore une bonne heure à discuter de tout et de rien, avant de nous séparer, le moral un peu remonté.