CSI Starship Voyager

Un meurtre. Tu ne pouvais pas imaginer pire situation à bord que celle-là, surtout quand on te fout l’autopsie sur les bras. Tu es médecin généraliste, tu prescris des médicaments contre les bactéries, fais des points de suture aux gens qui s’ouvrent une partie du corps, réfère aux spécialistes les gens après un examen général. Tu protèges la vie. Après la mort… c’est au-delà de tes compétences et surtout, mais surtout… ça porte malchance. Oui, en étant médecin, ça t’arrive d’être confrontée à des décès. La médecine n’est pas irréprochable, à cent pour cent fiable. Mais ce sont des pertes en soit normales. Causée par la maladie, par un corps qui n’arrive plus à fonctionner. Une dégradation parfois venue trop vite. Mais naturelle. La mort de cette jeune femme elle, ça n’a rien de l’ordre des choses, c’est vile, sale, malpropre et surtout d’une cruauté détestable. Et parce que c’est toi la directrice du secteur médicale, parce que depuis des mois déjà tu représentes l’autorité dans ce domaine, on s’attend à ce que tu procèdes à l’autopsie. Jouer à la psychologue, c’est une chose. Avec la médecine chinoise, on encourage le pratiquant à chercher à comprendre le patient, à ne pas simplement se fier aux symptômes. Peut-être a-t-il mal à l’estomac, mais pour guérir ces douleurs, en fait il faut soigner la tête. Mais où un cadavre a-t-il mal? Comment comprendre le langage d’un mort? Depuis ton éveil, tu évites soigneusement la morgue. C’est ridicule oui, mais tu ne peux te contraindre à t’en approcher. Tu ne veux pas t’attirer le mauvais sort. Il te semble parfois que les étrangers traitent la mort avec trop de familiarité et perdent tout le respect envers les défunts. Pratiquer l’autopsie ne t’enchante pas du tout, mais en vérité, tu n’as pas d’autre choix. C’est la seule option pour le bien commun. Mais ce n’est pas quelque chose qui s’apprend en lisant des manuels en quelques heures. Il te faudrait plus de temps, mais justement, tu en manques cruellement. Un meurtrier se trouve à bord et la clef pour le capturer se trouve… derrière le mystère qui entoure la mort d’Alena Rosenthal. Et vous en détenez une partie.

Ce qu’il vous faut c’est un médecin légiste et assise dans ton bureau, tu réfléchis aux mesures à prendre, la tête entre les mains, complètement désemparée. Au début, tu n’entends même pas ton comlink résonner, tellement tu es perdue dans tes pensées. Ce n’est qu’au bout d’un moment que tu reviens à la réalité et que machinalement tu ouvres l’appareil pour voir les différentes notifications. L’une d’entre elles attire rapidement ton attention. Pressée, tu attrapes ton pad et quitte ton bureau à la hâte. Peut-être seriez-vous sauvés.

-O-

Hier, peu après l’incident tragique, ton comlink t’annonçait qu’Hécate a tiré de son sommeil un médecin légiste. Tu regrettes un peu de ne pas pouvoir lui laisser plus longtemps pour s’orienter et se remettre de toutes les mauvaises nouvelles qui lui sont tombées dessus au réveil. Vous n’avez pas le temps. Et puis, en vérité, autant se plonger tout de suite dans le travail, c’est le meilleur moyen d’éviter la folie. Vous êtes tous passés par là et si tu y penses bien, le lendemain de la fin de ton cryosommeil, tu étais déjà dans ton bureau à recevoir les visites des patients. La situation est quand même pressante, il devrait pouvoir te pardonner de ne pas le ménager.

Tu l’as donc convoqué ainsi qu’Anatole à la morgue pour procéder à l’autopsie. Ni le docteur Montgomery, ni toi n’êtes formés pour pratiquer une autopsie, mais tu supposes que vous pourriez vous montrer utile. Est-ce que les quelques épisodes de Bones que tu as regardé pour améliorer ton anglais comptent comme une expérience d’étude? Probablement pas, mais au moins s’il a besoin d’aide, vous serez là prêts à aider, ne serait-ce que pour prendre des notes.

Tu es un peu d’avance et ni l’un ni l’autre des deux hommes ne sont encore arrivés. Devant la morgue, tu hésites. Sur cet endroit plane une ombre de mauvaise augure et un long frisson te parcourt l’échine. Tu n’es vraiment pas à l’aise de te trouver en cet endroit et sincèrement, si tu en avais le choix, tu t’abstiendrais. Mais le secteur médical repose sur tes épaules désormais. Tu ne peux pas te montrer faible. Tu inspires profondément, mais avant même de pousser les portes, tu entends un bruit de pas derrière toi. Visiblement tu n’est pas la seule à être d’avance. Tu pousses un soupir de soulagement. Pénétrer dans le domaine des morts accompagnée te paraît subitement une épreuve moins difficile. Tu te retournes pour accueillir ton collègue. Pas de sourire, le sérieux de la situation ne s’y prête pas du tout.

J’ai reçu une convocation sur le comlink, et honnêtement, heureusement qu’on a eu une formation sur le truc avant le décollage sinon je suis pas sûr que j’aurais pu comprendre son fonctionnement… Les montres connectées et autres gadgets connectés c’était pas vraiment mon fort avant. Et j’avoue que là, dans ces circonstances et l’état dans lequel je me trouve, je bénis ma bonne mémoire !
La convocation provient du docteur Zhao, qui signe ‘directrice du département’. Je suis un peu surpris, avant le départ je m’étais rapidement renseigné sur le directeur et il me semblait bien que c’était un homme. Mais bon visiblement j’ai loupé un bon morceau des choses qui se sont passées, c’est le moins que l’ont puisse dire… J’enfile mon uniforme et je remercie intérieurement le docteur Zhao pour la distraction (entre guillemet) ne pas avoir le temps de penser et de m’apitoyer me convient parfaitement. Autant replonger la tête dans le boulot directement, on aura plus le temps d’analyser tout les sentiments qui me traversent quand les symptômes physiques du réveil se seront atténués. Disons que ce sera plus simple sans l’envie de vomir perpétuelle et les vertiges à tout les pas…
En parlant de vertiges, même si je suis très en avance je vais tenter de me rendre à la morgue tout de suite parce que je sens que le trajet va être long !

A la sortie du couloir de décontamination à l’entrée du secteur médical, j’essaye de prendre mes marques. Repérer les différents secteurs, histoire de pouvoir rapidement se déplacer sans se référer constamment au plan de l’arche. Je n’ai toutefois pas trop le temps de m’attarder, l’examen approfondi que je ferais des lieux viendra plus tard. Pour l’instant je suis attendu, et j’ai en sainte horreur d’être en retard. Je me dirige donc vers la morgue et j’aperçois, celle que je pense être le docteur Zhao qui semble en pleine réflexion devant les portes. Je prends quelques minutes pour essayer de jauger ma chef et collègue. Si on ne juge que le physique elle a l’air d’être un petit bout de femme, mais en l’observant plus attentivement je constate une attitude déterminée bien qu’un peu tendue. Je finis par m’approcher et elle se retourne immédiatement. La situation ne s’y prête nullement mais je ne peux m’empêcher de noter que la docteur est charmante… Je la salue d’un hochement de tête en évitant de lui tendre la main, il me semble me rappeler que les asiatiques n’apprécient pas spécialement les contacts en salutations et je préfère lui laisser l’initiative sur ce point.
« Léon Mayouté. Docteur Zhao je présume ? »
Avec un demi-sourire j’ajoute : « il semblerait que mon réveil tombe à point nommé. »
J’ai bien noté qu’elle n’a pas souri et la plaisanterie ne sera peut être pas vraiment bien reçu. Mais dans ce genre de job, si on laisse le sérieux de la situation et de la mort nous bouffer, on n’avance pas.
« Je vous laisse me briefer en chemin, on aura le temps, je ne suis malheureusement pas au top de ma forme » dis-je avec un sourire contrit. Ça me fait mal de l’admettre mais c’est la vérité.

Une part de toi est légèrement déçue de voir que ce n’est pas Anatole qui se trouve derrière toi, mais un parfait inconnu.  Semblerait-il que c’est cet homme le médecin légiste qui vient à peine de se réveiller.  Qui aurait cru qu’il serait nécessaire de faire appel à ses talents dès le réveil?  Voilà qui est plus qu’étonnant, mais surtout bien décourageant.  Tu te sens dépassée, mais surtout découragée face à tout ce qui s’est passé à bord de la plateforme depuis ton propre réveil à toi et vraiment, c’est peu de chose dire. On dit que les apparences sont trompeuses, mais tu aimerais tout de même faire bonne impression dès la première rencontre, autrement ça risque d’être un peu difficile d’assoir ton autorité, surtout considérant qu’il faut que tu te tordes un peu le cou pour bien voir son visage. Tu hoches la tête pour acquiescer lorsqu’il suppose que tu es bien le docteur Zhao et sa plaisanterie te laisse un peu de glace.  Ce n’était pas exactement de très bon goût.  La mort de cette pauvre femme est le résultat d’une oeuvre humaine.  Pas le premier décès à bord, peu après ton propre réveil, la vitre de l’Arboretum avait éclaté et causé la mort de trop d’entre vous déjà.  Les aliens ont pris la vie d’un premier groupe d’explorateur.  Alors non, très franchement, cette nouvelle raison d’être angoissée, tu t’en passerais très bien.

« Le docteur Montgomery devrait se joindre à nous sous peu, je l’ai également convoqué puisque c’est le seul autre médecin à bord en ce moment, » déclares-tu avant d’inspirer un grand coup et de pousser les portes de la morgue.  Tout de suite, une lourde atmosphère semble t’écraser.  Quel lieu de mauvais augure que celui-là.  La présence de ton jade contre ta poitrine te réconforte et fait que tu te sens un peu protégée contre tout ce miasme néfaste de la mort.

Autant pour toi que pour Léon, tu n’es pas tout à fait pressée de te retrouver à nouveau devant le cadavre.  Surtout sans la présence rassurante d’Anatole qui partage le lourd fardeau de l’infirmerie avec toi depuis si longtemps déjà.  La tentative de faire une blague du légiste t’a rendue un peu mal à l’aise, mais tu essaies d’en faire fi : c’est peut-être chose courante dans le métier, à force de voir autant de morts.  Marcher lentement semble un plan très acceptable donc.

« J’ignore ce que vous savez exactement de la situation.  Nous avons trouvé le corps d’Alena Rosenthal dans le dortoir A9, la gorge tranchée.  Il ne s’agit définitivement pas du travail d’un Alien et bien que je m’y connaisse superficiellement en autopsie, je suis pratiquement certaine qu’il s’agit d’une blessure donnée par main humaine.  J’étais une des premières sur la scène du crime.  Malheureusement, les caméras n’ont pas pu filmer suffisamment pour identifier le meurtrier.  Je crois qu’une enquête est prévue et que quelques suspects sont déjà appréhendés. »

On ne peut pas dire que tu t’es souciée de chercher à savoir qui pouvait bien être ce meurtrier.  Ça ne te regarde pas, enfin pas directement et tu préfères éviter d’y penser la plupart du temps.  Et bien que tu ralentisses de plus en plus le pas, vous n’êtes que bien trop rapidement devant la salle où repose la pauvre Alena.  Quel moment redoutable.  Au même moment, une sonnerie retentit de ton comlink, un message pour te prévenir qu’Anatole a un empêchement et qu’il ne pourra pas se joindre à vous pour l’autopsie.  Un frisson te parcours l’échine : une personne vivante de plus t’aurait nettement mieux rassurée que d’être avec un inconnu et une morte.  Tu pousses soupir et te masses les tempes.

« Eh bien docteur Mayouté, nous devrons nous passer de l’aide du docteur Montgomery, celui-ci ne pourra pas se joindre à nous aujourd’hui.  Je comptais beaucoup sur lui pour vous assister, il me semble plus qualifié à le faire, mais il faudra vous contenter de mon aide. » Faut-il utiliser un scalpel?  Parce que tu sais, un peu, mais tu n’as vraiment pas de pratique dans le domaine et l’entreprise pourrait un peu trop rapidement tourner à la boucherie.  Est-ce vraiment ce pour quoi tu avais signé quand tu t’es embarquée dans ce projet?

Même si le Docteur Zhao présente une figure neutre et assurée, elle me semble plutôt tendue sous la surface. Une légère crispation des épaules peut-être donne cette impression. Mais c’est surtout lorsqu’elle aborde l’arrivée imminente de son collègue le docteur Montgomery – notre collègue devrais-je dire plutôt – que je sens comme une expectative impatiente.  Comme si toute la situation la mettait mal à l’aise et que la venue du docteur Montgomery soit un soulagement pour elle.
« Le docteur Montgomery est-il le seul autre médecin éveillé ? Tant qu’à parler briefing, il serait intéressant de me faire aussi celui sur le fonctionnement du service médical. Que je puisse rapidement et au mieux vous apporter mon aide. »

Quand elle pousse les portes de la morgue, j’ai l’impression de retrouver un peu mes marques pour la première fois depuis mon réveil. Toutes les morgues semblent conçues de la même manière visiblement. Ce couloir menant à la salle d’autopsie, flanqué d’un côté par la morgue à proprement parler, la pièce en froid négatif où les corps sont stockés en attente des examens. Et de l’autre côté par un petit bureau où les rapports sont rédigés et la paperasse accumulée. Je l’écoute attentivement me briefer en essayant de prendre mes marques et accessoirement de ne pas trébucher.
Une minute ! Quoi ?! Non forcément j’ai mal entendu. Des aliens ?!
« Des… des aliens ? Vraiment ? Genre ET ou alien justement ? » Histoire de se faire une idée de ce à quoi se préparer. « J’ai lu le rapport sur les circonstances de la mort d’Alena Rosenthal, mais personne ne s’est donné la peine de me parler des extra terrestres… » J’ajoute pour moi même dans un souffle : « Je vais avoir un paquet de choses à apprendre, je crois… »
Je dois bien le dire, je suis plus secoué que ce que je ne laisse paraître. Rien ne nous avait préparé à une telle situation. La dérive pendant 900 ans dans une zone inconnue de l’univers c’est déjà pas facile à appréhender. Mais la présence d’une vie inconnue – et encore moins leur rencontre -, cette idée n’avait même jamais effleuré mon esprit cartésien. La fin de son explication sur les circonstances de la découverte du corps ne font qu’effleurer mes oreilles. J’ai du mal à me concentrer sur ce que le docteur Zhao, continue de m’expliquer tout à mes réflexions extra terrestre.

Lorsqu’elle m’annonce que le docteur Montgomery ne se joindra pas à nous, sa réaction me conforte dans l’idée qu’elle n’est vraiment pas à son aise dans cette zone du secteur médical. Quelque part, je suis légèrement ennuyé de la voir dans cette situation inconfortable, mais je laisse rapidement cette pensée de côté face au pragmatisme de ma situation. Personne ne l’a forcé et vu mon état, son aide ne sera peut être pas de trop… J’ouvre la porte de la salle d’autopsie et la précède dans la salle, englobant du regard la disposition des lieux et le matériel à disposition. Rien ne change vraiment par rapport à ce dont je suis habitué. Tant mieux, un soucis en moins. «  Votre aide sera plus pratique que technique, je suis habitué à travailler seul en temps normal. » J’ajoute après une petite pause pendant laquelle j’ouvre le sac mortuaire d’Alena : « Mais les temps sont loin d’être normaux je crois… Pour commencer, je vais avoir besoin de vous pour m’aider à installer le corps sur la table d’examen. » En disant ces derniers mots, j’évite de la regarder, bien conscient du malaise qui ne devrait pas éviter de la gagner.