Ne pas laisser une mauvaise impression (Ruiling)

Je me réveille avant Ruiling et cela me convient parfaitement, cela me permettra de la voir avant qu’elle ne commence sa journée. La veille, j’ai senti une sorte de flottement quand je l’ai incité à se reposer, mettant fin à notre conversation de manière peut-être un peu abrupte. Or telle n’était pas mon intention et je ne compte pas laisser s’installer une mauvaise impression avec ma colocataire. En attendant qu’elle se réveille, je me prépare, récupérant mon uniforme dans mon casier et passant en salle de bain pour me débarbouiller. Je reviens dans la pièce principale lorsque j’entends Ruiling s’agiter et émerger de sa couchette.

- 早上好 (Bonjour)

Je m’exprime dans sa langue pour la saluer, comme une marque de respect envers elle et pour essayer de commencer sur le bon pied. Mon mandarin est un peu rouillé tandis que je cherche la formulation adéquate pour transcrire mes propos.

- 我希望你能够休息 (J’espère que vous avez pu vous reposer) Je fais une pause et décide de poursuivre en anglais considérant qu’il me sera plus facile de trouver les mots justes, j’aurai tout le temps de me remettre au chinois et ses subtilités. Je l’observe en même temps pour essayer de percevoir quelle opinion elle s’est faite à mon sujet. Je pense que mes paroles hier soir n’ont pas été des plus appropriées. Je ne voulais pas me montrer brusque ou impolie envers vous et je tenais à le préciser pour dissiper tout malentendu.

Après tout, nous allons devoir nous côtoyer pendant encore un temps certain. Je ne sais pas comment sera accueillie ma démarche de si bon matin, ni même si Ruiling m’en tiendra rigueur ou non. Je ne la connais pas suffisamment pour imaginer sa réaction. J’espère simplement qu’elle n’est pas rancunière ni susceptible. Et si elle accepte mes explications, je lui proposerai de visiter Voyager et de compléter les explications qu’elle a eu depuis son réveil de cryosommeil.

Le sommeil a été long à venir.  En même temps, qu’on émerge d’une nuit longue de neuf cent ans, c’est peut-être normal.  C’est un tout autre genre de fatigue que l’on ressent lorsqu’on émerge d’un coma volontaire. On peut pas dire que tu as le corps en baisse d’énergie, non, mais pourtant tu n’es pas non plus fraîche et dispose.  Tes sens tous soudainement assaillis on toutefois un peu de mal à gérer ce retour à la vie.  Et comme si ton cerveau n’a pas déjà assez à gérer comme ça, il faut y ajouter toutes les mauvaises nouvelles suite à ton réveil qui n’a rien de ce qui était prévu à la base quand tu t’es embarquée pour ce long voyage.  À l’époque, tu ne pensais pas te réveiller et faire partie du restant de l’humanité.  Et en ce matin — est-ce qu’on peut encore parler de matin, midi et soir une fois dans l’espace — tu ne sais toujours pas trop quoi penser de la situation.  D’une part, tu es tout de même contente d’être encore en vie, mais d’autre part, tu songes que faire partie du groupe supposé repeupler l’espère humaine un jour où l’autre… ça ne t’enchante guère.  Heureusement, tu n’es plus toute jeune et on ne pourra pas t’imposer des douzaines de grossesses.  Toi qui autrefois redoutait la trentaine, tu te sens même prête à accueillir tes quarante ans.  Ou tes 940 ans, c’est selon.  Pour une presque millénaire, tu es plutôt bien conservée, il faut bien le dire.

Tranquillement, tu commences à t’activer et sans quitter le minuscule cocon qui t’appartient, tu fais tes exercices d’étirements du matin.  Peut-être pourrais-tu suggérer d’intégrer à bord une diffusion radio des exercices à entreprendre.  Ça marchait plutôt bien dans les écoles en Chine, c’est bon pour la santé de tout le monde de bouger un peu.  La coach Sarmoise rencontrée hier pourrait même animer ces diffusions, elle est assez dynamique.

Tu finis toujours tes exercices quand tu entends du bruit de l’autre côté de la paroi de métal qui préserve ton intimité.  C’est probablement Mackenzie.  Tu hésites un instant avant de sortir, la discussion s’est terminée un peu froidement hier, mais en même temps tu ne vas pas te cacher pour autant, alors tu pointes le bout de ton nez, prête à aller prendre ta douche.  Visiblement, tu as fait la grasse matinée.  Tu ne t’attendais pas toutefois à ce qu’elle engage la conversation.  Eh bien tant mieux.  Tu aurais détesté entretenir une mauvaise relation avec ta co-chambreuse.

« Bonjour.  Je crois que j’ai réussi à avoir tout le repos nécessaire, merci, » réponds-tu en premier lieu.  Puis tu songes que ta remarque est peut-être un peu froide.  Tu n’es pas particulièrement douée pour la socialisation…. « Ce n’est rien, j’avais besoin de me retirer, toute cette agitation autour de moi commençait à faire beaucoup.  Ce fut une première journée quelque peu désorientante, je dois l’admettre.  Avez-vous bien dormi? »

Ruiling me répond et je considère que c’est déjà bon signe. Au moins elle ne me renvoie pas dans mon coin et je l’écoute me préciser qu’elle a récupérer et qu’elle ne me tient pas rigueur de mes propos abrupts de la veille. Cela me rassure. Elle me concède le fait que sa première journée a été éreintante et qu’elle avait besoin de repos.

- Oui, j’ai profité de mon créneau de repos. Mes nuits sont plus revigorantes qu’au début même si les sujets d’inquiétudes ne manquent pas.

Je me rends compte que je laisse entrevoir déjà les problèmes que Ruiling va potentiellement rencontrer alors qu’elle vient de se réveiller. Quel tact… Alors je décide de changer rapidement de sujet.

- Avez-vous pu découvrir un peu Voyager hier ? Dans le cas contraire, je peux vous indiquer les lieux à ne pas manquer. Je lui adresse un sourire amical. Je peux vous conduire au secteur médical également. Une zone qui devrait l’intéresser plus particulièrement. Et je peux également essayer de répondre aux questions qui vous viennent.

L’idée de lui servir de guider pourrait effacer ou modifier ses premières impressions à mon sujet, mais indépendamment de ce point, avoir quelqu’un avec qui discuter et découvrir l’état de notre vaisseau doit être rassurant pour un nouvel éveillé. A voir ce qu’elle va décider. De toute manière, je m’adapterai à son choix et lui laisserai le temps de poursuivre son adaptation. Moi-même je ne suis réveillée que depuis deux mois et je découvre encore des choses.

Alors, tu n’es pas vraiment étonnée.  Il faut toujours une période d’adaptation quand on change d’environnement, ça ne te surprend donc pas du tout que son sommeil commence à se régulariser, surtout qu’en fait, comme votre corps n’a pas l’influence du soleil pour se repérer, l’exercice est encore plus difficile.  Et puis… un esprit stressé n’est pas propice à se reposer aisément.  Tu es déjà prête mentalement à passer de moins bonnes nuits que lorsque tu étais sur Terre et ça ne t’effraie pas trop.  Un jour, tu t’habitueras.  Ça viendra en temps et lieu.

« Je n’ai pas vraiment eu le loisir d’explorer beaucoup hier, j’étais passablement fatiguée et cela faisait beaucoup d’informations à avaler d’un coup.  On m’a montré où se trouve le réfectoire, mais je ne suis pas même certaine de me rappeler comment m’y rendre. »

Ton sens de l’orientation n’a jamais été particulièrement ton point fort et tu en avais beaucoup sur les épaules en te réveillant la veille, tu n’as pas été aussi attentive que tu l’aurais dû.  La proposition tombe à point nommé.

« Si vous avez un peu de temps à me consacrer, j’aimerais bien oui faire une visite un peu plus approfondie.  Je sais également qu’il y a une zone sécurisée par la présence de l’alien, mais j’ai oublié de demander où elle se termine hier.  Si ça ne vous embête pas de m’indiquer à quel endroit ça se trouve… »

En espérant que ça ne soit pas à côté de l’infirmerie, parce que voilà qui paniquerait un peu trop tes patients.  Tu trépignes déjà d’impatience de retrouver le secteur médical, d’agir dans un domaine qui t’est familier, réconfortant et rassurant.  Et avec un peu de chance, ce serait loin des aliens et de leurs intentions obscures.  Bon certes, s’ils arrivaient à passer dans la zone sécurisée, vous ne seriez nulle part en sûreté, mais au moins tu ne serais pas la première à mourir.

J’écoute Ruiling m’expliquer qu’elle n’a pas eu l’occasion de visiter Voyager suite à son réveil, ce que je peux comprendre aisément, le réveil de cryosommeil n’étant pas des plus communs. Alors le fait qu’elle ne se rappelle pas où se trouve le réfectoire me fait hocher la tête.

- Le réveil n’est pas évident et parfois les couloirs se ressemblent tous. Heureusement nous avons notre pad qui peut nous aider à nous situer. Je tapote légèrement sur le mien.

En tout cas, ma nouvelle colocataire accepte ma proposition de lui servir de guide et elle me demande de lui indiquer la zone interdite à cause de la présence des aliens. A cette évocation, mon regard s’assombrit, les envahisseurs nous bloquent l’accès à la passerelle qui reste un élément important pour que nous puissions piloter Voyager. Et vu que nous ne savons pas ce qu’ils veulent, mon avis à leur sujet est mitigé, surtout que les rares passagers à les avoir croisés n’en sont pas forcément ressortis indemne. Mais je m’abstiens de lui en faire maintenant, je n’ai pas envie de lui faire peur outre mesure.

- Je vous montrerai tout ce qu’il y a à voir, une fois que vous serez prête. Je fais allusion au fait qu’elle souhaite peut-être prendre le temps de se débarbouiller et de s’habiller puis de prendre le petit-déjeuner. D’ailleurs ce sera l’occasion de lui montrer de nouveau le réfectoire. Un repas au réfectoire puis le secteur médical, ensuite je vous montrerai l’arboretum et les autres lieux susceptibles de vous intéresser. Quant à la zone interdite, elle se concentre sur le pont, la passerelle et je ne crois pas que ce soit à proximité du secteur médical et Hécate veille à bloquer les accès.

J’ai un air pensif tandis que je cherche à me rappeler le plan de Voyager, d’où mon absence d’affirmation totale à ce sujet. Je lui propose un programme mais je reste disposée à le modifier suivant les demandes de Ruiling.

Ah oui, le pad.  Tu te rappelles que pendant la formation avant d’embarquer, on vous a bien expliqué ses nombreuses fonctions, mais après neuf cent ans à jouer à la belle au bois dormant, on peut aisément te pardonner tes quelques trous de mémoire.  C’est que tu n’es plus toute jeune.  Finalement, se rapprocher un peu de Mackenzie n’était pas une mauvaise idée.

« Je serai prête rapidement! »

Tu passes d’abord à la douche pour te débarbouiller un peu, ce qui ne te prend pas trop de temps, tu n’as jamais été de genre de filles qui passent quatre heures devant le miroir avant de sortir.  Tes cheveux sont propres, ils sècheront d’eux-même sur ta tête, tu enfiles ta combinaison — ça a tout de même le grand avantage de ne pas avoir à se pencher sur quelle tenue choisir — et tu es fin prête à rejoindre Mackenzie.

« Je crois que c’est bon, » déclares-tu en retournant dans l’aire commune.  Tu parais bien, tu n’en doutes pas.  « On va d’abord au réfectoire?  C’est important de bien commencer la journée avec un repas complet et nutritif. »  Déjà, tu tombes dans les propos que dirait Ruiling le médecin.  Enfin, c’est que c’est vrai aussi et après 900 ans de sommeil, tu es bien prête à prendre un bon petit déjeuner.  bon, probablement pas ce que toi tu considères un déjeuner, tu te doutes bien que les nouilles, les mantou, les youtiao et le doujiang ne seront pas au menu.  Ah… le combo parfait de youtiao et doujiang, avec de bonnes nouilles garnies d’un oeuf frit…. Comme cela serait bon!

« Je vous suis! »

Tu laisses Mackenzie prendre les devants, elle qui doit déjà bien se reconnaître dans les détours et dédales de la station.

Ruiling déclare qu’elle sera prête rapidement, au moins elle semble ne pas être de celles qui passent beaucoup de temps à se préparer. Un bon point ça évitera les conflits autour du lavabo. D’ailleurs ses actes confirment ses paroles.  Un sourire me vient lorsqu’elle mentionne le fait de prendre un bon petit déjeuner pour commencer la journée, des mots somme toute normaux venant d’un médecin, comme quoi les travers de nos professions peuvent déteindre sur nous.

- Allons-y. Je passe devant pour la conduire à destination, lui indiquant quelques repères pour se diriger. Je ne sais pas si ce qui est actuellement servi au réfectoire corresponde vraiment à un petit déjeuner idéal, mais ça reste nourrissant.

Je la laisserai découvrir par elle-même, certains menus manquent cruellement de la patte d’un cuisto pour l’agrément mais je pense qu’être encore vivant après 900 ans à errer dans l’espace est déjà bien et qu’il ne faut pas trop en demander à ce bon vieux tas de ferraille. Une fois arrivées à destination, je lui explique le fonctionnement des lieux puis nous prenons notre petit déjeuner. Le rythme de trois-huit fait qu’il y a toujours de quoi se nourrir pour les différents cycles. Je réponds aux questions qui lui viennent et une fois terminé je l’invite à me suivre vers le secteur médical. Comme pour le précédent trajet, je lui indique des points de repère.

- Nous voici au secteur médical, je n’y suis pas venue souvent mais il est utile de savoir comment le trouver. Je vous laisse le visiter.

J’incite Ruiling à faire le tour de son secteur pour qu’elle se familiarise avec les lieux qui deviendront son quotidien. Et je tâcherai de répondre à ses possibles interrogations. De toute manière, je prendrai le temps qu’il faudra pour lui faire le tour du propriétaire, sauf imprévus qui nécessiterait ma présence. Mais actuellement, je ne sers pas à grand-chose si ce n’est étudier les relevés enregistrés par Voyager.