Quand la réalité frappe au réveil (Mary)

J’entends du bruit mais j’ai du mal à ouvrir les yeux, j’ai l’impression que mes paupières restent collées en dépit de ma volonté. Pourtant, je finis par bouger, basculant sur le côté et ressentant un vertige. Je me frotte les yeux et je commence à comprendre la voix que j’entends. Je porte mon attention sur celle-ci et vois un hologramme. Je me concentre dessus et tâche d’assimiler les informations qu’elle débite. Néanmoins mon regard finit par se porter sur mon environnement, je remarque les autres caissons de cryosommeil, tout le monde n’est pas réveillé et ma tête pivote brusquement vers la gouverneure quand elle mentionne 900 ans de voyage.

- Tu plaisantes j’espère.... Ma voix est rauque, un verre d’eau ne me ferait pas de mal, mais j’espère vraiment qu’il y a une erreur dans la temporalité. Je porte mes mains sur mon visage quand elle précise que la Terre a été détruite. Le choc des deux annonces me tire un gémissement mêlant peur, angoisse et tristesse, bien que je doute d’avoir pris pleinement conscience de ce que cela implique.

Le reste du discours me parait lointain, je retiens seulement une partie des informations, une nouvelle galaxie, une collision et un vaisseau à la dérive. Super… Mes mains retombent lorsqu’elle mentionne des aliens. Encore mieux… Le message prend fin mais je ne bouge pas pour autant. Je me suis engagée dans un voyage avec un retour théorique, pas dans une expédition avec les derniers terriens vivants dans un univers encore inconnu. Je n’ai pas envie de me lever mais la personne qui finit par me tomber dessus en décide autrement.

- Non mais vous pourriez faire attention. Je râle franchement en me redressant et en aidant l’autre à se remettre sur ses pieds. Un vertige passager me saisit et je plisse les yeux pour accommoder ma vision. A cet instant, je vois son visage que je finis par reconnaitre. Mary ? Est-ce que ça va ? Ma voix s’adoucit à l’égard de l’étudiante que j’ai rencontrée à Greenwich. Cela me parait proche et lointain en même temps, comme quoi le temps peut être ressenti bien différemment suivant les circonstances.

Mary a toujours été une grosse dormeuse, très grosse au point qu’elle est contrainte de mettre son réveil bien avant l’heure fatidique de lever sans quoi elle arrive à la faculté en retard. Toutefois aujourd’hui c’est différent ce n’est pas le réveil c’est une voix inexorable dans sa tête. Mais Mary ne sait pas si elle rêve, si elle cauchemarde ou si la réalité s’impose à mesure qu’elle reprend conscience. Peu à peu, l’étudiante en astrophysique prend conscience de ce qui l’entoure. Le contact avec le caisson lui permet de réaliser que le réveil est imminent.

Une voix celle de la gouverneure poursuit sa litanie et elle déglutit avec peine Je dois dormir oui c’est ça cela ne peut pas être réel, cela n’est pas réel… j’ai laissé papa, maman, mon frère, ils ne peuvent pas être morts non ce n’est pas possible. Elle est prise dans ses pensées et toujours allongée Mary lève les mains sur son visage ouvrant les yeux pour la première fois entre les doigts fermement serrés. Elle a peur de ce qu’elle va voir, peur de cette rencontre avec les autres passagers. Elle en connaît bien peu et cela lui rajoute de l’angoisse.

Un soupir alors qu’elle entend une voix à peine plus loin : semble-t-il qu’une autre reprend conscience à peine plus loin, une voix qui lui semble lointaine dans ses souvenirs mais proche à la fois. Peut-être que cette sensation est due à ce sommeil long ? Trop long ? Un instant, fort stupidement, Mary se demande si elle a vieilli ; mais ce fait est simplement impossible elle était dans un caisson de sommeil. Doucement elle s’assied restant assise sur le rebord attendant simplement le courage de mettre ses pieds à terre.

Ce courage intervient quelques courtes minutes après ; malheureusement à croire que son organisme a oublié comment marcher elle est maladroite et se prend les pieds dans une caisse posée juste au pied de son propre caisson. Elle se rattrape non sans mal aidée par une jeune femme au caisson suivant. Ses paroles, sa voix ne lui sont plus du tout inconnues et quand elle lève les yeux pour saisir le regard de cette dernière elle sourit.

« Mac, je suis heureuse que tu sois la première que je vois à mon réveil ; je suis un peu abasourdie de ce que je viens d’apprendre mais… c’est réellement vrai ? Comment cela est-il humainement possible ? Que va-t—on devenir ? » la peur est perceptible dans la voix de la jeune femme ; elle reprendra ses esprits mais pour l’instant elle est quelque peu paniquée, un état qu’elle tente de maîtriser au mieux pour ne pas paraître complètement folle.

Je perçois la peur émanant de Mary, je comprends ses questions car je me pose les mêmes. Je n'arrive tout simplement pas à croire tout cela, pourtant je doute que le message de la gouverneure soit un faux. La jeune femme est agitée et je pivote pour m'asseoir sur le bord du caisson. En soit, je ne dois pas être plus sereine que mon interlocutrice, mais peut-être que je le montre moins. Je prends une grande inspiration, mon regard scrutant les caissons présents, certains sont vides d'autres non, or si la mission se déroulait comme prévue, tout le monde devrait être réveillé. J'aimerais rassurer Mary, mais je ne trouve pas les mots.

- Ce ne sont pas les informations qu'on s'attend à avoir au réveil. Je ne sais pas comment tout ceci est arrivée, mais je crains que ce que la gouverneure a enregistré ne soit la vérité. Même si j'ai du mal à y croire. Je pose sur elle un regard incertain. On va tâcher de survivre Mary, mais d'abord je pense qu'on doit prendre des forces et essayer de voir si d'autres sont réveillés.

Si je ne me fixe pas des buts je crains de m'effondrer voire de sombrer dans la dépression avec l'avalanche d'évènements qui vient de nous tomber dessus. Nous allions devoir trouver notre voie, de quoi pallier neuf cent ans d'errance, faire notre deuil... Facile à dire... Je me lève et vacille, je me retiens au caisson pour ne pas tomber. Je pose une main amicale sur l'épaule de l'étudiante et lui fais signe de me suivre.

- Allons voir ce qu'il se passe sur Voyager. J'espère que le vaisseau a tenu la route...

Je ne veux pas me montrer pessimiste, mais le SSV avait été conçu pour une mission précise, pas pour un voyage sans retour aux confins de l'univers. je redoute un peu les dégâts causés par le temps passé.

A son réveil Mary un instant pense qu’elle vit simplement un cauchemar. Elle qui espérait monter dans ce vaisseau pour explorer ces étoiles qu’elle observait petite se retrouve perdue avec un nombre de survivants tel que l’on ne peut pas les compter sur les doigts d’une main. Imaginer sortir de cette pièce et rencontrer d’autres personnes équivaut à accepter cette situation. Concrètement face à l’inconnu le courage dont elle fait preuve s’amenuise mais peut être qu’en compagnie de cette femme qui l’a encouragée à poser sa candidature elle pourrait franchir le cap ?

Elle se souvient de leur rencontre lors d’une conférence. Mary avait fait preuve de tellement de curiosité que les deux femmes avaient poursuivi leur petite discussion à distance par mail, téléphone et autres communications modernes. Mary sort de la torpeur dans laquelle elle se trouve faisant toujours face à Mackenzie. Son silence et sa rêverie ne sont probablement pas passés inaperçus raison pour laquelle elle s’excuse rapidement.

« Désolée je suis vraiment pas mal patraque des souvenirs me remontent en tête, notre rencontre, nos échanges tout cela semble tellement comment dire surréaliste que j’essaie de me souvenir de tout ce que j’ai vécu jusqu’à présent pour rendre cela réel ».

Elle s’éloigne un instant de l’astrophysicienne.

« Tu as probablement raison il faut que l’on sorte, que l’on aille voir les autres ; nous ne sommes pas des plus indispensables dans ce vaisseau mais comment faire quand on va rencontrer les autres ; tu imagines s’ils sont réveillés depuis plus d’une semaine, un mois, trois mois… on a perdu combien de temps ? ».

Au-delà d’une réalité pour le moins surprenante Mary ne peut retenir toutes ces questions qui se succèdent les unes aux autres dans sa tête. Elle ne se rend pas compte que Mackenzie tout comme elle n’a pas la science infuse sur ce point. La science des étoiles elles l’ont mais ce qu’il se passe en ce moment reste un mystère. Elle ne voit que du coin de l’œil son amie se retenir à un caisson. Trop loin pour l'aider, Mary est soulagée que Mackenzie se rattrape à un caisson. Le contact de sa main sur son épaule quelques secondes après la fait sourire et Mary sourit condescendante.

Déjà Mackenzie prend les devants et Mary la suit à la fois intriguée et angoissée, un instant même elle la voit hésiter raison pour laquelle cette fois ci c’est l’étudiante qui prend les devants posant la main sur la porte pour l’ouvrir. Puis dans un sursaut de courage elle l’ouvre prête à découvrir les autres, leur nouveau monde, un espace confiné, immense mais dans lequel ils s’avèrent qu’ils sont simplement prisonniers.

Quand Mary mentionne les souvenirs qui tourbillonnent dans son esprit, je ne peux m'empêcher de hocher la tête tandis qu'un sourire en coin étire mes lèvres.

- C'est vrai que beaucoup de choses remontent suite à cette annonce, j'ai l'impression que notre départ a eu lieu hier. Je lâche un soupir. D'un côté je ne suis pas certaine de vouloir confirmer les informations de la gouverneure. D'un autre... Je laisse ma phrase en suspens, rattrapée par une partie de la réalité, celle de la perte de ma famille. Je sens une boule se former au creux de ma gorge, mais je prends sur moi pour la refouler. Je préfère laisser libre cours à mes émotions dans un lieu privé.

Mes paroles semblent donner de la motivation à Mary, par contre je ne suis pas d'accord avec elle. Tout le monde a sa place et son utilité sur la station, mais peut-être que, suivant les constats faits par les personnes réveillés, les priorités diffèrent. En tout cas elle a raison sur un point, nous n'avons aucune précision sur les dates de réveil des autres.

- C'est possible qu'il y ait une différence dans les réveils, d'ailleurs je me demande s'il y a une logique ou non dans le cadencement et le choix des caissons. A vrai dire cela ne changera rien pour l'instant d'avoir ce type d'informations. En soit, nous avons déjà perdu neuf cent ans... je ponctue légèrement cynique.

Le temps des questions peut attendre qu'on rencontre ceux qui sont éveillés, alors nous nous dirigeons vers la sortie, pourtant j'hésite un peu devant la porte, une pointe d'appréhension dans le ventre. Mary prend les devants et ouvre l'accès qui nous mène vers notre destin. Ce qui suscite de nombreuses questions dans mon esprit.

Elle va pour ouvrir oui elle allait pour le faire lorsque soudainement la peur l’étreint ou du moins la conscience que malgré qu’elle soit réveillée elle aimerait vraiment ouvrir les yeux et se dire que tout cela n'est qu’un simple mauvais rêve. Elle aimerait mais elle ne peut pas tremblante, peureuse. Elle se retourne et remarque que son caisson déjà est désassemblé, automatiquement, méthodiquement. Elle sursaute devant tant de rapidité se disant que les machines gouvernent déjà ce monde. Mais quel monde ? Un monde où ils sont en train de se perdre dans l’espace, l’espace temps les étoiles. Alors qu’elle va pour ouvrir cette porte elle la referme secouant la tête car elle n’est toujours pas prête à affronter cette nouvelle réalité.

Elle entend les paroles condescendantes mais aussi un peu cyniques de Mackenzie et ne peut retenir un rire rauque. D’autres sont endormis encore à côté d’eux et elle se rapproche des caissons cherchant une identité faisant les 100 pas tentant de comprendre son désarroi. A agir de la sorte, elle se calmera, elle a toujours opéré ainsi. Un instant elle regarde son MP3 a envie de le mettre sur les oreilles pour calmer ses nerfs. Mais elle ne le peut pas nullement seule elle doit faire face à ces interrogations qui se multiplient dans sa tête.

« Je ne peux pas sortir tout de suite tout est si précipité mais en même temps tout semble tellement sorti d’un cauchemar que je ne sais plus quoi faire, que dire, que penser ; passer cette porte équivaut à accepter ce qu’il nous est arrivé et je ne suis pas du tout prête à l’accepter. J’ai du mal à comprendre à réaliser que nous sommes les seuls survivants que ceux que l’on a laissés et aimés sur Terre ne sont plus. Je suis terrifiée Mac et je me demande si j’ai fait le bon choix alors que l’autre choix aurait été de mourir comme des milliers d’êtres humains sur Terre mais ces gens ne le savaient pas. Pourquoi n'y a t il pas eu d'autres navettes ? Tout cela s'est passé si vite ; le monde, ceux qui nous gouvernent le savaient forcément ce qu'il allait se passer alors pourquoi ? ».

Elle part en monologue, juxtaposant les idées les unes aux autres se disant dans la même trempe d’idée qu’elle devrait aller voir un psychologue une fois qu’elle aura fini ses sornettes. Pour l’instant elle doit juste s’armer de courage, cette attitude qui lui fait purement défaut à l’heure actuelle. Son courage s’en est allé avec son réveil il faudrait qu’elle le retrouve au plus vite mais ses sentiments s’emmêlent, se perdent bien plus vite qu’elle ne le peut. Maniaquerie, rêveuse autant de traits de caractère qui la caractérisent faisant un gros BOUM à l'heure actuelle. Il faut sérieusement qu'elle se calme sans quoi son amie va la prendre pour une folle.

Elle se rapproche ce faisant d’un autre caisson secouant la tête.

« Tu as probablement raison on est tous utiles dans ce vaisseau mais je me demande en quoi moi je pourrais l’être je ne suis qu’une étudiante ; si Hécate nous a réveillé c’est probablement parce que l’on a besoin de nous… mais cela fait 900 ans que je dors comment pourrai-je simplement être efficace après une telle période de sommeil je ne comprends pas » les connaissances de la jeune astrophycienne s’arrêtent là alors qu’elle regarde son homologue les yeux remplis de questions. C’est elle qui lui a dit qu’elle était capable, elle qui l’a incitée à forces d’échanges téléphoniques ou mails à présenter son dossier, c’est aussi elle qui l’aidera à retrouver un semblant de constance aussi compliqué cela s’annonce.

A mon grand étonnement, Mary referme la porte qu’elle vient d’ouvrir. L’étudiante revient sur ses pas et me fait part de son désarroi et de ses questionnements. A vrai dire je ne sais que répondre. Elle n’a pas tort sur certains points mais il n’est pas possible de revenir en arrière et essayer de comprendre ce qu’il s’est passé sur Terre devient une perte de temps puisque nous ne pouvons faire revivre les morts.

- Nous n’aurons pas de réponse à cette question Mary, il doit certainement y avoir une explication mais personne ne nous la fournira. Et qui ne serait pas terrifié par ce qu’il se passe ? Je souligne mes paroles d’un geste englobant ce qui nous entoure. Nous sommes les derniers représentants de l’Humanité, des fragments de sa mémoire d’une certaine manière, et je dois dire que ce n’est pas ce pourquoi nous nous sommes engagés à la base. C’est assez étrange comme situation et sensation…

Je porte mon attention sur l’anglaise, me rendant compte que je suis en grande partie responsable de sa situation, elle a postulé parce que je l’y ai incité. D’un côté, elle est toujours en vie mais est-ce la meilleure option ?

- Il est inutile de chercher à comparer les différents choix, nous sommes en vie et nous devons le rester… Etrangement, avec la disparition de la Terre, préserver la vie me parait revêtir une dimension  bien plus importante qu’autrefois. Comme quoi la perspective de notre existence change en fonction des circonstances.

Je l’écoute douter de la pertinence de son réveil et de ses compétences. Certes, elle n’est qu’étudiante mais son savoir ne s’arrête pas à son cursus scolaire. Chacun peut avoir des connaissances utiles en dehors de son métier.

- Il y aura un temps d’adaptation c’est certain et pour savoir de quelle manière apporter son aide, il faut qu’on aille à la rencontre des autres, qu’on voit ce qu’il s’est passé durant tout ce temps. Nous devons aller de l’avant et ce n’est pas en restant à émettre des hypothèses que nous aurons des réponses. Nous devons rejoindre les autres sections de Voyager…

Je suis peut-être un peu brusque dans ma formulation, néanmoins je ne dois pas laisser Mary se morfondre et déprimer. Et me concentrer sur elle me permet d’oublier temporairement ma propre condition.

La panique s’est emparée d’elle aussi soudainement que cet éveil au bon vouloir d’Hécate. Elle n’est pas prête c’est simple. Son caisson qui est quasiment démonté elle aurait envie d’y retourner de supplier qui que ce soit de l’endormir à nouveau et qu’elle ne se réveille jamais. Mackenzie ne se rend pas compte. Peut-être qu’ils vont rencontrer des personnes nées sur ce vaisseau en sortant de cette pièce… peut-être vont-elles devoir faire face à des personnes qui n’ont jamais connu la Terre, sa Terre, ses parents, sa vie. Elle a été balayée et maintenant ils sont bien trop loin pour revenir en arrière.

Puis ce retour en arrière impliquerait quoi ? Un constat horrible de la mort ? Elle sait au fond d’elle-même que l’avenir c’est ce vaisseau mais pour l’instant elle est trop perdue, paniquée pour envisager l’avenir de manière totalement sereine.

« Cette pression que l’on a soudainement de se dire que oui nous sommes les derniers de l’humanité mais Mac tu imagines si derrière cette porte on fait face à des personnes qui n’ont jamais connu la Terre ? Comment vivre avec ces gens là qui ne connaissent rien de ce monde qui n’est plus ? Nous vivons avec le passé à nous dire que ce qui est fait est fait on ne peut plus rien y changer, on n’aura pas de réponse mais faire face à ces inconnus, ces personnes qui ne savent rien comment cela va être possible ? »

Elle s’est remise à faire les 100 pas.

« Mais tu as raison oui probablement encore il faut cesser de s’interroger et aller de l’avant tout aussi douloureux cela soit-il ; je n’ai jamais osé me mettre en danger de quelque manière que ce soit ; pour la première fois je me suis mise en danger j’ai tenté d’aller de l’avant de faire une chose qui allait contre tous mes préceptes et maintenant que je dois agir poursuivre sur ce chemin inconnu j’ai peur ».

Mac parle d’adaptation, de temps et alors que Mary va de nouveau pour ouvrir la porte

« Crois tu que l’on ait seulement du temps Mac ? Je n’en suis pas certaine. Tu as raison notre réveil à ses raisons, Hecate a besoin de nous mais est-ce que ce n’est pas simplement trop tard est ce que nous n’allons pas nous aimer sur ce vaisseau donner naissance à d’autres générations pour lesquels un avenir est complètement incertain ? Ce monde est fou complètement fou et on avance vers un inconnu un mot que je ne supporte pas, que je n’aime pas… »

Elle soupire ouvrant la porte et inspirant profondément se retrouve dans le couloir prête à rencontrer les autres passagers qui qu’ils soient où qu’ils soient…

L’idée même se rencontrer des hommes et des femmes n’ayant pas connu la Terre me fait frémir, et je m’assombris. Je n’ai pas du tout envisagé cette perspective et elle est plutôt effrayante, j’ai l’impression qu’un gouffre s’ouvre sous mes pieds et un vertige me saisit. Tant de temps et tant d’incertitude. Mary n’a pas tort, comment réagir face à ces personnes ? Neuf cent années se sont écoulées, mais le premier éveillé le fut-il à cette époque ou bien plus récemment ? Je reporte mon attention sur la jeune étudiante qui m’avoue avoir peur de ce qui nous attend. Je baisse mon regard vers le sol, pensive.

- Qui n’aurait pas peur dans ces circonstances ? finis-je par dire en me redressant. Un tumulte d’émotions tourbillonne en mon for intérieur, faisant écho aux doutes de Mary. Celle-ci arrête de faire les cent pas et rejoint la porte de la salle, laissant de côté ses interrogations. Cependant, en dépit de ce que je viens de lui dire, il faut garder à l’esprit certaines questions, celles pour lesquelles une réponse pourrait être apportée. Nul ne sait ce qui a conduit la Terre à sa destruction, à moins qu’une transmission ne soit parvenue à Voyager, expliquant la situation. Encore faut-il que le vaisseau et ses archives soient en état d’être exploités.

- J’espère que le temps ne nous fait pas défaut. Se réveiller pour mourir n’est pas une perspective qui m’enchante, alors j’espère que nous n’allons pas découvrir que notre vaisseau tombe en morceau sans qu’on ne puisse rien faire. L’inconnu est synonyme d’incertitude et ça fait écho à nos craintes. On devra se montrer curieux mais également prudent envers les… choses qui croiseront notre route. Quant à la perspective de s’aimer et donner une descendance, je ne sais que penser pour l’instant. Mais c’est une continuité naturelle pour l’être humain, néanmoins je doute qu’on se lance sur cette voie sans qu’on s’assure un minimum de subsistance et de stabilité. Je me frotte les yeux, j’ai l’impression que mes pensées  s’éparpillent. Alors j’emboite le pas à Mary et m’engage dans le couloir vers… l’inconnu.