Se détendre avec un verre | Mar

Cela va faire 4 fois que je relis la même page sans en comprendre le sens. Je balance le livre contre le mur d’en face dans un geste rageur et ramène mes jambes contre moi. Les entourant de mes bras, je pose mon front sur mes genoux et inspire lentement. Je parviens à me calmer, même si je sais que mes tremblements ne sont en aucun cas dus à ça. Je suis trop fatiguée, trop épuisée, même pour parvenir à comprendre quoi que ce soit. Et pourtant, c’est un stupide roman… qui parle de je ne sais pas quoi. Je finis par me redresser, me calant contre le dossier du canapé et je fixe le plafond sans le voir.
Je me tâte à aller tout de suite en salle de sport, mais je risque de croiser des gens. Non pas que je n’en ai pas envie, même si je n’en ai pas envie quand même, mais selon sur qui je tombe, ça pourrait être plus dérangeant qu’autre chose. Parce qu’il y en a toujours qui se mêlent de tout et s’inquiètent et tentent d’en savoir plus. Ce qui part d’une bonne intention j’en conviens, mais je n’ai pas envie de subir tout ça dans l’immédiat. Je connais les questions, et je sais que les réponses que je pourrais fournir ne conviendront pas.
Non, je ne dors toujours pas. Pas vraiment, pas plus de quelques heures, j’en suis incapable, je me réveille au moindre bruit, et quand ce n’est pas des pas dans le couloir qui me tire du sommeil, ce sont des cauchemars.
Et non, je ne mange toujours pas non plus. Pas vraiment non plus. Je me force, mais je sais que j’ai perdu du poids. Mais allez leur faire comprendre que chaque aliment me file la nausée… Pas tous, mais les fruits sont choses rares malgré tout.

Alors entre la fatigue et la faim, que je ne ressens plus vraiment, je ressemble un peu à un zombie. Je commence à avoir du mal à me concentrer pour travailler, j’ai parfois des vertiges, et je sursaute à chaque ombre tel un chinchilla. Bon, j’exagère un tantinet, j’aurais fini dans les bureaux du doc, une perf au bras si vraiment c’était aussi dramatique. Je fixe mes mains, mes jambes toujours repliées contre moi. Elles ne tremblent presque plus, ce qui est une bonne chose. Je soupire, tout en essayant de me convaincre de manger un truc avant d’aller courir ou boxer quelqu’un, avant de sursauter quand on toque à ma porte. Je cligne des yeux en la fixant. Mais non, quand même, s’il pourrait surgit du tuyau de la douche, ce truc ne frapperait pas. J’ai un rire silencieux à cette pensée et me lève pour aller ouvrir.

Je hausse les sourcils en voyant Naël, lui retournant son sourire sans y penser, sourire qui s’agrandit un peu en voyant la bouteille. Je le fixe, non sans me dire que je peux difficilement refuser, pas uniquement parce que boire un verre est plus que tentant. Je l’aime bien Naël, un poil macho et arrogant, côtés que j’aime bien titiller en temps normal. Rien que le fait que je sois directrice et que je sache me défendre le contrariait de base, donc ce n’est pas bien difficile. Mais c’est amusant en général, et c’est devenu un pseudo rituel. Je crois. Mais qu’il veuille savoir comme je vais implique des questions et des réponses… « Salut. » Je penche la tête sur le côté, la posant sur le chambranle de la porte. « Profiter de ma compagnie ?… On ne t’a pas dit qu’elle n’était guère agréable dernièrement ? » J’ai un sourire en coin et je m’efface pour le laisser entrer, non sans grimacer une seconde en voyant la multitude de livres, notes, rapports et fringues qui traînent un peu partout. Je lui désigne le canapé, qui a échappé au tsunami, vu que j’y suis vautrée la plupart du temps. « Je t’en prie, fais comme chez toi… » Je vais récupérer des verres avant de m’asseoir sur ledit canapé. « Comme tu peux le voir, je vais bien !… Mais je ne dis jamais non à un verre.
… Et toi, comment ça va ? »

Je ne me départis pas de mon sourire alors que Mar me fait remarquer qu'elle n'est pas forcément de très bonne composition. "Je ne sais pas si la mienne l'est davantage. Mais je sais que c'est mieux que la solitude. Enfin, dans mon cas. Je ne m'imposerai pas." Je peux concevoir qu'on ai envie d'être tranquille. Mais c'est aussi le meilleur moyen de ressasser et de virer à la paranoïa en interprétant n'importe quel signe ou bruit comme un truc dangereux. J'en ai déjà fait l'expérience. Et je ne souhaite pas à Mar de tomber là dedans, même si j'ai l'impression que c'est un peu tard pour ça. Elle n'a pas l'air très en forme non plus. Même moins que moi en fait. Peut-être parce que je prend davantage sur moi ou que je sais mieux faire semblant ? Ou tout simplement parce que ce n'est pas la première fois que je suis confronté à une situation de crise. Mar, même si elle est forte, n'est pas versée là dedans. C'est une intellectuelle. Alors je n'imagine pas comment ça doit carburer là dedans avec toutes ces nouvelles données.

Et je note bien le bordel dans sa cabine, ce qui me rassure un peu quant à la mienne finalement. Sauf que moi, il n'y a pas autant de bouquins ou de feuilles avec des trucs mathématiques dessus. je ne sais même pas déchiffrer ça. Je m'en sortirais probablement mieux avec des hiéroglyphes. Mais du coup; je suis invité à entrer et je m'assois sur le canapé. Faire comme chez moi ? Non, je n'oserais pas, on ne se connaît pas encore assez, même si c'est gentil. Et même si c'est en cours. Se réveiller en même temps nous a lié quelque part. Bien sûr, on aurait pu se détester ou simplement être indifférents l'un à l'autre, mais le courant est plutôt bien passé, même si nous avons des défauts qui agacent l'autre. Pas assez pour que les qualités ne compensent pas.

Je l'observe un moment alors qu'elle me répond qu'elle va bien. "On ne doit pas avoir le même sens de l'observation alors." Je le dis sérieusement, avant de reprendre sur l'humour : "Normal, je suis éclaireur, j'ai donc un bonus en observation que tu n'as pas." Et en déduction aussi. Enfin ça, elle doit être douée. Elle a un esprit scientifique et cartésien, les liens, elle sait faire. Noter plusieurs petites choses discordantes pour en tirer des hypothèses et des conclusions ne doit pas lui être inconnu. "Les nuits sont courtes et pleines de cauchemars." Je répond autant à sa question me concernant, que je ne commente son propre état, au vu des cernes qui ornent son regard d'habitude bien plus pétillant et malicieux que ça. "Un mauvais moment à passer. Le temps d'assimiler la situation." Et de reléguer les souvenirs au fin fond de mon esprit. Et de cesser de voir le mal partout. Même si j'essaie de me raisonner et de me dire que je fonctionne trop à l'émotionnel là. De façon rationnelle, il n'y a pas à avoir peur. La menace est contenue. Point. Et Mar devrait pouvoir se raccrocher à ça. "Et je me suis dit que cette petite chose" Je lève la bouteille que j'ai à la main "pourrait nous aider à nous détendre un peu et engourdir l'esprit." Même si c'est plus que temporaire et illusoire. Cela fait quand même du bien sur le moment. Et comme je ne suis pas musulman, je peux en profiter.

Si cela avait été quelqu’un d’autre, débarquant avec une bouteille et une phrase aussi bateau, j’aurais sans doute ri avant de refermer la porte. Ça ne vaut pas le "On ne se serait pas déjà croisé quelque part ?" on est d’accord, mais quand même, profiter de ma compagnie ? Bon, je n’aurais pas claqué la porte au nez de tout le monde, j’aurais refusé, poliment mais fermement, la proposition. Mais ne m’étant liée d’amitié qu’avec peu de gens, le nombre de personnes pouvant débarquer comme ça est donc sacrément réduit. Et on parle de Naël, même si c’est un homme il est vrai, je doute plus que fortement qu’il s’agisse d’une quelconque forme de drague de sa part…

Sans parler que son sourire reste sacrément contagieux et je lui retourne en l’invitant à entrer. « La solitude aide pourtant à se recentrer. » Et à voir des ombres où il n’y en a pas. « Et ce n’est pas le genre de choses qui s’annule mutuellement, deux compagnies désagréables, bougonnes et j’en passe, ne deviennent pas plaisantes ou amusantes quand on les rassemble… Ne viens pas te plaindre après, tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même. » Même si j’essaie de faire des efforts lorsque je ne suis pas seule pour ne pas trop paraître renfermée ou ennuyeuse. Ça me desservirait plus qu’autre chose et je n’ai aucune envie de me fermer des portes. Ou de perdre le peu d’amis que je commence à avoir sur l’Arche accessoirement.

Ce n’est pas pour autant que j’en suis à me confier, à expliquer que je ne dors au plus que quelques heures avec l’impression d’entendre cette créature rampait dans les tuyaux et courir dans les couloirs, que je me force à manger un minimum, sans parvenir à ôter cette sensation d’étouffement à chaque fois… Que toutes ces peurs prennent parfois le pas sur ce côté profondément rationnel sur lequel je me suis reposée toute ma vie. Parce que j’arrive à garder le contrôle et à me raisonner, et c’est là tout ce qui importe. Je vais bien. Aussi bien que possible. Je ne mens même pas vraiment.
Je lui rends son regard, fronçant un peu les sourcils à le voir si sérieux, avant de détourner le regard en haussant les épaules. J’esquisse néanmoins un sourire à sa plaisanterie, et je me force à le regarder. « Je suis simplement un peu fatiguée. Personne n’a de journées faciles, on manque de personnel, tu le sais aussi bien que moi. » Les meilleurs mensonges sont toujours ceux se rapprochant le plus de la vérité. Et cette explication est en grande partie exacte. Pourtant, mon sourire vacille quand il reprend, me demandant s’il parle de moi ou de lui. Sans doute des deux, il était avec moi la première fois, et lui aussi a vécu une situation semblable de son côté par la suite. Je souffle dans un murmure à peine audible, parlant plus pour moi que pour lui, le regard fixé sur mes mains. « Cauchemars remplis d’extra-terrestres à longues pattes et de cadavres en tout genre… Je connais oui. » Je lui jette un coup d’œil, collant un sourire sans joie sur mes lèvres, relevant un peu cette muraille trop fragile, et j’acquiesce. « Du temps. Nous réparons les dégâts, et nous en apprendrons suffisamment sur eux pour reprendre le contrôle sur le reste de l’Arche. Ne restera plus qu’à trouver une planète, ce qui sera la partie la plus amusante du plan j’en conviens. » Facile et évident. Juste du temps. Si l’on omet les dizaines, les centaines de difficultés et obstacles pouvant apparaître à chaque détail. Mais pour le moment, la situation est… gérable, on va dire ça comme ça. Et Hécate est là pour nous aider, pas vrai ?

Mon sourire se fait plus sincère, avant de se transformer en léger rire en l’entendant. « Tu comptes donc me faire boire jusqu’à ce que je ne puisse plus réfléchir ? » Je le fixe, souriant d’un air toujours aussi amusé. « J’espère que tu as du temps devant toi… Et tu feras quoi si tu tiens moins bien l’alcool que moi ? Bon, il y a peu de chances j’en conviens, mais ce serait amusant… » Je plisse le nez en lui souriant, me demandant si lui et sa fierté masculine trouveraient vraiment ça amusant. Mais comme dit, entre le manque de sommeil et de nourriture, il y a quand même peu de chances… Même s’il est pas bien épais lui non plus.
Je lui tends les verres pour qu’il les remplisse. « A toi donc, d’avoir pensé à moi pour partager cette bouteille. » Je regarde le liquide ambré, et lève un œil curieux vers lui. « Tu l’as trouvé où d’ailleurs ? Comment t’as fait ? » Je renifle le verre d’un air méfiant, peu crédible vu que mon sourire revient aussi vite. « C’est pas de la térébenthine hein ? »

"C'est vrai. Mais c'est comme tout. Faut pas en abuser." Ce n'est pas une façon polie de me refuser l'entrée n'est-ce pas ? Je hausse les épaules avec désinvolture à sa mise en garde. "Ah bon ? Mais moins plus moins, ça ne fait pas plus ? j'ai oublié la base de maths ?" Je ne me laisse pas décontenancer pour autant. "Je prend le risque. C'est mon boulot. Je me vautre dans le risque et le danger." Je le dis en déconnant, même si c'est un peu vrai et que c'est aussi pour ça que je suis là aujourd'hui, avec des cernes sous les yeux et la peur de m'endormir parce que je sais que ce ne sera pas reposant. Mais je préfère en rire en fait.

Et hop, accès à la piaule de la directrice de la Physique déverrouillé. Beau succès. Je pense que je peux m'estimer chanceux de ne pas me faire envoyer balader. Tout le monde ne doit pas avoir cette chance. Et même si Mar peut m'agacer par certains côtés, je l'aime bien. Rien n'est jamais tout beau tout rose, qu'importe avec qui on se trouve et la relation entre les gens. C'est ce qui en fait la saveur. Quoiqu'il en soit, je lui propose de discuter un peu. Mais elle ne semble pas très disposée alors qu'elle se contente de généralités. "Un peu fatiguée. Ouais." Je répond d'un ton totalement pas convaincu. Je ne suis pas dupe mais d'accord. Je continue en disant que les nuits sont emplies de cauchemars et elle renchérit. Et bien voilà. On y arrive. "C'est l'idée. Pas très original, dommage." Je préférerais rêver de jolies filles, alors que je joue le héros. Sauf que mes rêves n'ont rien d'héroïque.

Elle se montre optimiste concernant la suite. Est-ce qu'on va vraiment réussir à en apprendre plus sur nos colocataires indésirables ? Difficile d'en attraper un, ils sont tellement rapides... "Dit comme ça, ça paraît tellement facile... Il ne reste plus qu'à trouver une planète. Easy." Mais je conçois que ce sera effectivement la partie un peu plus excitante du plan. Aller sur une planète inconnue, sans doute hostile... Cela permettra au moins de sortir de cette boite de conserve. J'avais besoin d'un peu d'espace et de nature, même si c'était hyper dangereux. C'est un terrain beaucoup plus familier pour moi.

Je lui propose alors de boire pour nous détendre. "Yep m'adame." J'acquiesce spontanément à sa question. Au moins, j'ai réussi à la faire sourire un peu plus franchement, c'est une belle réussite, non ? J'avance à pas de géant. "Bah je dormirais ici." Je réponds toujours aussi naturellement alors qu'elle me demande ce que je ferais si je succombe avant elle. Pas de problèmes. Et en vrai, je ne suis pas certain de mieux tenir qu'elle. Je n'ai pas forcément un très grand entraînement. Déjà, nos corps ne sont plus du tout habitués après tout ce temps en stase, mais en plus, je ne buvais pas beaucoup avant. Sans être musulman, je n'avais pas tant accès que ça à l'alcool. Je n'étais pas issu d'un pays occidental. Donc... les paris sont ouverts.

Je remplis tranquillement les verres qu'elle me tend et me saisit du mien en le levant pour trinquer. "A mon génie donc." Nouveau sourire. Je pose alors un doigt sur mes lèvres à sa question. "J'ai mes astuces. Tout se troc et s'obtient. Suffit de tirer les bonnes ficelles. Et quand j'étais gamin, j'ai pas mal eu l'occasion de m'exercer. Mon école, ça été celle de la rue plutôt tu sais." Enfin, non, elle ne sait pas, je ne lui ai pas raconté ma vie. Mais voilà quoi. J'ai passé énormément de temps dehors, à voler et échanger. Et j'en ai pris des corrections pour ça, avant de me ranger. Un sale gosse quoi. "De la quoi ?" Ça se boit ce truc ?

Peut-être a-t-il raison. Peut-être ai-je besoin de compagnie, de ne pas tourner en rond en ressassant encore et toujours les mêmes pensées. Non je sais qu’il a raison, je sais bien que me replier sur moi-même n’est pas une solution en soi. Mais je n’ai pas pour autant envie de subir l’inquiétude d’autres personnes, ni d’interrogatoire concernant mon état mental. J’ai l’habitude de me débrouiller seule, il n’y a pas de raison que cela change. Je secoue la tête d’un air dépité, que dément amplement mon sourire. « Je ne te savais pas si doué en maths. Tu crois vraiment que ça marche comme ça aussi ? » Je souffle un rire. « Ton amour du risque me donne des frissons, tant d’abnégation, c’est beau. » Vit-il vraiment mieux cette situation pour autant ? Si c’est le cas, je l’envie un peu. Beaucoup.

Ses cernes sont presque aussi grands que les miens, donc je me doute bien qu’il ne dort que peu lui aussi, comme tous ceux qui ont été témoins de ces scènes je pense. Mais son entraînement et son boulot doivent au moins lui permettre de mieux y faire face et de mieux en gérer le stress. Et la peur. Sauf que je ne suis pas prête à lui avouer, ni à quiconque, à quel point cela me pèse. Ce serait non seulement un aveu de faiblesse, mais ça rajouterait encore du poids et de la réalité à tout ce que je m’efforce de rationaliser et minimiser. Et il ne me croit pas du tout, pas besoin d’être psy pour le voir. Qu’est-ce que ça peut faire après tout ? Tant que je gère et que je contrôle la situation, il n’y a aucun problème. Tout est relatif, j’en suis consciente. Et peut-être que lui me comprendrait, c’est sans doute pour ça que je souffle quelques mots supplémentaires. J’esquisse un sourire en le regardant. « Je préférerais rêver d’autres choses… Tu devrais pourtant avoir déjà eu ton lot de causes de cauchemars non ? Enfin, je suppose que rien ne prépare à ça. » Je m’éclaircis la gorge, fronçant un peu les sourcils, me retenant de lui demander s’il a des trucs de militaires pour y faire face. Je hausse les épaules. « Pas facile, mais faisable. Il faut bien se fixer des buts pour avancer. Et après tout, à l’origine, nous nous sommes tous lancés dans cette aventure par amour de la science, et/ou du risque, pour marquer l’histoire et être présent lors de découvertes qui auraient tout changées… Ces raisons sont toujours valables. » Le côté survie et préservation de l’espèce se sont rajoutées et sont devenues primordiales, mais j’aime autant me focaliser sur le reste. Ça m’aide à garder pied en quelque sorte.

Je le fixe, me demandant à quel point il est sérieux, avant de secouer la tête en souriant. Peu importe qu’il le soit ou non, même si je suppose qu’il escompte vraiment m’empêcher de réfléchir davantage, ce qui ne serait pas une mauvaise chose. Je cille un peu quand il me répond toujours aussi naturellement. Je hausse un sourcil, un sourire en coin venant ourler mes lèvres. « Es-tu en train de t’inviter à dormir chez moi ? » Mon sourire s’agrandit. « Si c’était le but, tu aurais pu faire autrement tu sais… » Oui, je me retiens de rire un peu, me demandant à quel point je peux pousser le bouchon. Peut-être que je vais arriver à le faire rougir ou bégayer ! Ce serait amusant. Et mignon. Mais on va se focaliser sur le côté amusant.

Levant les yeux au ciel, je secoue la tête. D’accord, je reconnais que sa visite me fait du bien et qu’il me fait plus sourire en quelques instants que durant les dernières semaines, mais il abuse quand même. « A ton génie. » J’ai une moue, me faisant faussement impressionnée, avant de plisser un peu les yeux en le dévisageant. « Tu étais donc un petit arnaqueur ? Je suis choquée, profondément choquée, d’apprendre que je côtoie un ancien criminel. » J’ai malgré tout une grimace en songeant que mon enfance ne valait guère mieux jusqu’à la mort de mon père, et qu’accessoirement, niveau criminalité, ma famille doit le battre à plat de couture. Je vais éviter de le dire peut-être. « De la térébenthine. Un truc dégueulasse et qui ne se boit pas en vrai, c’est un solvant… Mais tu sais, dans les films, ils finissent souvent par faire de l’alcool de contrebande à partir de tout et n’importe quoi, donc… » Je prends une gorgée de whisky, grimaçant en sentant l’alcool me brûler la gorge. Je souris malgré tout. « Il est plutôt bon… Carrément même, pour un whisky de 900 ans… » Un soupir m’échappe, alors que je me laisse aller contre le dossier du canapé. « Je dois demander ce que tu as troqué contre ça ? Je ne demanderai pas avec qui tu as fait affaire, même si je suis curieuse. Les bons contacts c’est toujours utile. » Je lui fais un clin d’œil, tout en sirotant une nouvelle gorgée. Doucement oui, on va éviter de tomber raide de suite, ce serait moche…

"Ah bah, je suis plein de secrets ma chère." Bon en vrai, je n'avais jamais été une tête et j'avais pas mal séché l'école gamin, cela ne me passionnait pas du tout. Mais bon, quand même, je connaissais quelques petits trucs basiques. "Et pourquoi ça ne marcherait pas d'abord ?" Je souris à la suite : "Mince, ce n'est que mon amour du risque qui te fait cet effet là ? Déception." C'était assez facile de déconner avec Mar. Comme si on était potes depuis longtemps alors que ce n'était pas le cas, mais c'était un détail. Et c'était aussi parce qu'on était amis que je me permettait de venir envahir son espace vital et lui demander comment elle allait. Sauf que Mar n'était pas du genre à se plaindre ou s'épancher et qu'elle ne voulait pas mettre de mots sur ce qui pouvait la hanter. Sur ce qui nous hantait tous en fait. Moi le premier. "Oh, j'ai eu mon lot ouais... Les cauchemars vont et viennent. Ils sont remplacés par de nouveaux... parfois, ils s'entremêlent. Mais je pense pas que même le mec le plus endurci puisse y résister." Et je n'étais pas le même le plus résistant, loin de là. Alors ouais, j'avais vécu des trucs bien traumatisants, j'avais été blessé, j'avais vu des compagnons mourir, j'avais vu des innocents tués après de terribles souffrances, mais ça, c'était d'un autre ordre et encore plus flippant en fait.

Mar était plus optimiste pour trouver un endroit habitable, même si cela était encore du domaine du rêve éveillé. Mais oui, elle avait raison, il fallait un but et survivre n'était pas suffisant ni très gratifiant. "Ouais, elles le sont toujours avec de nouvelles composantes cependant." Mais c'était mieux de penser comme ça en effet. Même si elle dormait mal, Mar n'était pas dépressive au moins. Ce qui n'empêchait nullement de boire un verre pour se détendre et arrêter de faire fonctionner le cerveau non ? Et en plaisantant, je m'invitais à dormir chez elle, aussi simplement que ça. "Totalement ouais; ta cabine est vachement plus confortable et spacieuse que la mienne." Je haussai un sourcil quand elle ajouta que j'aurais pu procéder autrement pour arriver à ce résultat : "Ah bon ? Genre juste débarquer et faire Hey, ta piaule est luxueuse, je peux crécher là et profiter de ta compagnie ?" Bon, je le dis sur le ton de la plaisanterie, mais Mar était-elle en train de suggérer autre chose là ? Ou juste de s'amuser pour voir lequel des deux allait baisser les armes en premier ? Ce ne serait même pas étonnant en fait. "Ou alors, se pourrait-il que sous ces piques, tu dissimules un désir irrésistible pour ma personne ? Petite cachottière va." Alors non, ce n'était pas moi qui allais perdre à ce jeu. Ma fierté était en jeu.

Je trinquai donc à mon génie, ce qui lui fit lever les yeux au ciel, mais elle trinqua tout de même. "Criminel, tu as vite fait. Délinquant plutôt." Je fis mine de réfléchir. "Et j'arnaquais pas. J'empruntais." Bon je volais, mais détail. "T'es colombienne, tu dois en connaître un rayon sur la criminalité." La drogue surtout. même si cela ne la touchait pas elle, elle n'avait pas grandi dans un pays super tranquille hein. Je la regardais sans comprendre quand elle parla de tébé... trébé... enfin d'un produit que je ne connaissais même pas. "Ah. J'y connais rien. T'es plus calée que moi niveau mélange bizarres de contrebande je pense." Je goûtai le whisky aussi et fis une petite grimace. Ah ouais, plus habitué. Ca rapait un peu, surtout après tout ce temps. "Pourquoi, tu t'adonnes à ce genre de marché aussi ? Si c'est le cas, on peut s'arranger." Se faire une petite affaire afin d'améliorer un peu notre quotidien pourquoi pas ?