Alice Thiébaut : « Tout parle dans l'univers ; il n'est rien qui n'ait son langage. »

• 25 mai 1994 : je suis née a Toulouse, la ville rose, fleuron de France. A mon sens la plus belle ville du monde, mais je ne suis sans doute pas très impartiale. Mes parents tenaient un petit commerce de proximité, ce n'était pas Byzance mais je ne me souviens pas avoir manqué de quoique ce soit.

• Septembre 2004 : J'ai sauté ma dernière classe de primaire. Je ne sais pas si c'était une bonne idée. On m'a diagnostiqué surdouée. Marrant comme ça fait très...malade en vérité. La France n'est pas très équipée pour des enfants comme moi, la solution ? Faire sauter des classes. Dans l'absolu pourquoi pas mais.... Mais honnêtement, je n'étais pas prête a rentrer au collège. J'avais été un bébé calme, j'étais donc une petite fille calme. Trop calme pour les normes sans doute. Je n'avais que peu de goûts pour les jeux de mon âge, j'aimais ce qui me stimulait intellectuellement. En gros ? J'étais une extraterrestre aux yeux des autres. Donc non, je n'étais pas prête pour cette plongée là. Je ne fus pas harcelée mais j'étais clairement mise de coté. D'une certaine façon, cela m'arrangeait, même si parfois, je regrettais de ne pas avoir d'amie a qui lancer un petit mot, avec qui pouffer en cachette derrière mon livre de français. Regrets que j'aurais tout au long de ma scolarité d'ailleurs. Au total, ils m'auront fait sauter trois classes. Idiot quand même. Au niveau en terme d'études, a la ramasse en terme social.

• Septembre 2009 : J'ai 15 ans et J'ai quitté Toulouse. La mention de mon Bac Scientifique m'a ouvert la porte d'une bourse, juste assez pour me permettre de vivre a Paris. En cité universitaire évidemment, je suis encore mineur après tout. L'idée de partir m'effraie autant qu'elle m'excite. bien sûr je suis triste de quitter mes parents et la sécurité de ma maison, mais je me dis qu'après tout, ce serait un nouveau départ, l'occasion de découvrir autre chose. Evidemment mon télescope sera du voyage, même si je doute fortement de pouvoir le déployer dans la chambre qui me sera attribuée. Je ne suis pas la seule nouvelle et ma voisine était plutôt envahissante. Ca c'était nouveau. Au début, je n'ai pas su quoi faire de Clara. Elle riait fort, elle parlait fort, sa personnalité débordait par chacun de ses pores. Elle avait 5 ans de plus que moi et je ne sais pas pourquoi, elle avait décrété que j'étais une parfaite petite soeur adorable. Elle était chaleureuse, comme un soleil, fêtarde aussi, on était très différentes, mais j'étais fascinée par sa personnalité. D'une certaine façon, elle me connectait au monde qui m'entourait et moi...et bien je lui tenais les cheveux par dessus la cuvette quand elle vomissait après une soirée trop arrosée. Comme moi, elle suivait une Licence mais en Lettre alors que moi je me destinais a la science. Durant trois ans, elle fut un soutient et une amie.

• Septembre 2012 : L'université d'Orsay, c'est un rêve d'une certaine façon. Ma destination. Ma licence de Physique en poche, j'ai intégré cette université dont le département d'astrophysique me fait de l'oeil depuis longtemps. Le niveau devenait bien plus ardu et j'avoue que chaque sms envoyé par Clara me faisait comme une bouffée d’oxygène bienvenue, elle me parlait de tout et de rien avec tellement d'enthousiasme que j'avais sans cesse l'impression d'être avec elle. J'ai 18 ans, si tout va bien, j'aurais mon Master dans 2 ans, encore 3 années de Thèse et j'aurais atteint mon but. Pour la première fois depuis longtemps, je peux partager mes connaissances et mes idées avec d'autres qui me comprennent, bien sûr il y a toujours un écart d'âge, mais cela disparaît sous une passion commune. C'est étrange mais terriblement plaisant en fait.

Puis c'est mon voisin d'amphi qui m'a fait découvrir les MMORPG, j'ai découvert un autre univers, un autre monde. On me qualifie de geek mais personnellement, je trouve le terme mal choisi. Gameuse d'accord. Un geek pourrait forcer la sécurité informatique de l'Elysée, un gameur éclate son score a WoW. La nuance est de taille. je découvre d'autre personne, bien différente encore, j'ai même participer a une rencontre IRL de ma guilde, Clara m'a félicité, elle qui se désespérait de me voir devenir une souris de bibliothèque. Ce fut amusant, même si mes études me prenait la plupart de mon temps, j'aimais bien ces soirées exclusivement destinées au jeu.


• Janvier 2014 : Cette année là. Ils sont morts. A l'aube de ma vie d'adulte, a cet instant où j'avais tellement besoin d'eux, ils m'ont été arrachés. Un banal accident de voiture, oui c'est banal mais pour moi, ce fut la fin du monde. De mon monde. Jusqu’à présent, je ne m'étais jamais sentie réellement seule, parce qu'ils étaient là. Avec leur disparition j’ai pris pleinement conscience du mot solitude. Je n'avais pas d'autre famille, personne a qui me raccrocher, Clara était loin maintenant. Durant quelque temps, j'ai cru que j'allais sombrer, de fait, je l'ai fait pendant quelques jours. Quelques jours, où je n'ai pas mangé, pas bu, où je végétais dans mon lit. J'ai été incapable d'assister a leur enterrement. Fille indigne ? Peut être, je ne sais pas, je n'en avais tout simplement pas la force. Je me suis plongée dans mes études, certains boivent, se droguent, consultent, moi je me suis oubliée dans mes études. J'ai perdu dix kilos, presque la santé aussi. Si il n'y avait pas eu le Professeur Clément, sans doute aurais je fini par craquer. C'est lui qui m'a prise sous son aile, sensible a mon mal être et l'attitude toxique que j'étais en train d'avoir.

• Mars 2014 : Voyager. Étrangement, en français, ce mot sonne poétique. Toute l'université a entendu parler de ce projet, partir dans l'immensité de l'espace, le découvrir, frôler le cosmos et s'y perdre. Je l'avoue, cela m'a rendu rêveuse et pas que moi, je me souviens de débat interminable sur le projet qui secouait toute notre section. Le professeur Clément s'en amuse et entretient même l'enthousiasme de la section d'Astrophysique. Mon ordinateur est resté longtemps ouvert sur la page de candidature, encore blanche et vierge. L'idée de partir, de quitter cette terre où je n'avais presque plus d'attaches me séduisait. Me rapprocher un peu plus de mes rêves, découvrir par moi même ce qui se nichait au cœur du velours noir qui nous entourait et nous rendait si insignifiants. J'ai passé une nuit blanche devant l'écran. Pesant le pour et le contre. Calculant mes chances d'être admise. J’aurais mon Master en Astrophysique cette année, ensuite, il me restait ma thèse... Avais je le temps ? Cela valait il le coup ? Clara ne m'aida pas, bien au contraire, elle pleura au téléphone lorsque je lui parlais de mes doutes. Il me resterait encore du temps pour apprendre un peu de la vie avant de la quitter, du moins, telle que je la connaissais. La question qui demeurait était...Prenais-je la bonne décision ? Aucune idée et je n'aimais pas ce flou. Mais Clément me poussa dans cette direction. J'avais déjà la tête dans les étoiles, alors pourquoi ne pas y envoyer le corps entier ? Me disait-il en souriant. Finalement j'ai déposé mon dossier, dans un élan de courage. Le professeur Clément y avait ajouté sa propre recommandation, ainsi que celle d'un de ses collègues éminent  astrophysicien du CNRS. Advienne que pourra, comme qui dirait.

• Aout 2016 : Je fête mes 22 ans. Mes parents ne sont plus là pour le souhaiter avec moi, mais j'apprécie la soirée que m'offre le professeur Clément. Simple, sans chichi. Je suis son étudiante préférée, je le sais depuis longtemps. Célibataire endurci, il n'a jamais eu d'enfants, j'ignore encore pourquoi il s'est attaché a moi. Assise dans son salon cosy, lovée dans un fauteuil, il m'a offert mon cadeau. Un cadeau auquel je ne m'attendais absolument pas. Un pendantif, cadeau très personnel qui dépassait largement le cadre d'une relation élève professeur mais j'adorais immédiatement...L'univers gravé dans de l'argent délicat. Je me souviens avoir pleuré. Silencieusement, serrant cette icône entre mes doigts. Quelque temps plus tard, j'appris que je faisais partie des élus...Bien sûr rien n'était déterminé mais dans le doute je redoublai d'effort pour obtenir ma thèse en Cosmologie...Le temps, dorénavant, était compté.


• Septembre 2017 : J'ai passé l'entretien de recrutement. Je me suis soumise a leurs questions, j'ai parlé de moi, comme rarement. Je suppose qu'ils doivent juger le mental avant toute chose. Mes connaissances aussi sans doute, pour répondre a la question : Serais-je utile a ce voyage ? J'avais un Master en Astrophysique et un Doctorat en Cosmologie tout frais. Je manquais d'expérience, même si le CNRS m'avait fait un pont d'or, j'étais encore jeune, il me fallait batailler pour être reconnue par mes pairs. Mais je ne savais pas répondre a cette simple question. Qu'importe, seul l'avenir me dirait si j'avais le droit ou non, de poser mes yeux sur l'immensité de l'espace.

Janvier 2018 : C'est mon mentor qui m'apprend la bonne nouvelle, après que je lui ai donné l'enveloppe contenant ma réponse, incapable de l'ouvrir moi même. Il me l'annonce avec tellement de fierté dans les yeux, tellement de joie ! En même temps que le mien, c'était son rêve a lui que je réalisais. Oui j'étais prise. Oui j'irais toucher du bout des doigts l'immensité de l'univers et oui je pourrais me confronter a ses mystères. Mais quitter la terre me sembla soudainement bien réel, vrai. Etais-je seulement prête ? Tant que cela restait a l'état de question ce n'était pas effrayant, mais maintenant que cela revêtait les habits de la certitude ? Je l'avoue, j’ai eu peur. Terriblement. Mais je n'ai pas reculé, pas après avoir vu la fierté de mon mentor et son bonheur. Pas alors que je sentais mon cœur s'emballer a l'idée d'accéder a l'inconnu que je m'étais, jusque là, contenter d'étudier de loin.

Décembre 2018 :  Je suis les instructions, attentive et en moi, mon cœur semble sur le point d'éclater. J'ai subi l’entraînement spartiate, maintes tests encore et encore. Je n'ai pas bronché, ma détermination en fer de lance. J'ai morflé, forcément, ma jeunesse semblait parfois être un handicap, mais au fil du temps, je me suis rendu compte que je n'étais pas la seule surdouée, qu'il y en avait d'autre comme moi prêts à se lancer dans l'aventure. Clara et moi avons pleuré, beaucoup, mais nous étions encore jeune, nous nous reverrions et qui sait, peut être que je serais la marraine de son premier enfant...Depuis l'espace. Alors, je me laisse installer dans le tube de cryogénisation. J'ai peur. Je vais dormir mais...de quoi seront fait mes rêves ?