[INTRIGUE] Phase 1.6 TE KA ☾ Pour qu’un ciel flamboie

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Je me souvenais encore ce jour où, avec soulagement, Naël et moi avions quitté notre quarantaine. Ce jour avait le goût de la liberté, du renouveau également. J’avais voulu oublier un temps cette sordide affaire avec le Telepath qui avait bien failli nous coûter la vie, mais son emprise sur notre esprit avait été comme une caresse douce et rassurante… Rien à voir avec le cauchemar qui nous avait accueillis à notre sortie. Si certains pouvaient encore éprouver des réticences à me voir si tôt reprendre mes fonctions, elles furent vite oubliées face à la situation critique que nous avions à gérer dans les hautes sphères.

Ces trois derniers mois, ce fut l’enfer.
L’enfer dans l’espace.

Nous n’avions nulle part où fuir, aucune terre à coloniser, ou même seulement pour nous ravitailler. Aucune lueur d’espoir. Nous n’avions que cette lente agonie à étouffer à l’intérieur du Starship Voyager, transformé en vaste prison dont nous étions devenus bien malgré nous les geôliers, en tant que directeurs. Le pire n’était pas les émeutes à gérer, non. C’était de goûter à cette impuissance chargée d’amertume, à voir tous ceux qui abandonnaient le combat sans un mot, sans un cri, même parmi les rangs des pilotes. Rien ne pouvait nous préparer à ça.

Et quand plus aucune issue ne semblait envisageable, avec seulement quelques jours de sursis pour nous décider sur la façon dont nous souhaitions trouver la mort et auprès de qui… L’espoir renaquit de ses cendres. J’avais mon arme en main, songeant fortement à m’en servir pour mettre fin à mes jours, quand nous fûmes convoqués d’urgence pour une réunion de crise. J’avais éclaté d’un rire sinistre, parce que c’était toujours mieux que se réfugier derrière les larmes. Si Dieu existait bel et bien… Je détestais son sens de l’humour. Nous avions déjà perdus tant de passagers, emportés par le désespoir.

Et maintenant, la dernière lueur d’espoir des derniers survivants… C’était nous.

Je m’étais préparée en silence, aux côtés de Cieran. Je n’avais rien à dire et lui non plus. Je ne m’étais pas formalisée de son attitude si ombrageuse, car chacun réagissait différemment face à une situation si inédite. J’avais l’impression que si je lui disais ce que j’avais sur le cœur… J’allais me briser en morceaux devant lui. Ca ne pouvait décemment pas arriver maintenant, et encore moins face à un de mes pilotes. Alors je me raccrochais à cet espoir fou que nous allions nous en sortir, que nous devions tenter notre chance. Avec lui à mes côtés, j’y croyais davantage encore.

Je lui confiais le pilotage de la navette, preuve de ma confiance. Les vertiges ne m’avaient pas quitté depuis que le Telepath m’avait rendu le contrôle de mon propre corps. Ce n’était pas le bon moment pour tourner de l’œil, au risque de tout faire foirer. Je savais qu’il serait capable de rattraper mes manquements en pilote, et je l’aidais du mieux possible en co-pilote. Fort heureusement, rien ne se produisit. La navette, bien que peu maniable à cause de la soute de Cygnus, se posa bien droite à flanc de volcan. Je m’autorisai à respirer une pleine bouffée d’air après cet atterrissage réussi, qui faisait un bien fou. Je rendis un signe de tête complice à Cieran, avant de me retourner vers nos deux passagers.

« Bienvenue sur Te Ka l’Ardente. »

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Quelle chaleur ! J’aurais bien aimé retirer mon casque, avec l’envie presque insoutenable de respirer l’air du dehors. C’était malheureusement impossible. Cette planète aurait été idéale pour s’installer, avec une plus haute teneur en oxygène. Au moins, on pouvait sortir un peu du Starship Voyager. Le vaisseau spatial représentait maintenant davantage notre tombeau que le véritable salut de l’humanité. Cette pensée sombre ne fit que me rappeler l’importance cruciale de notre mission.

Je sortis en première de la navette pour poser le pied sur Te Ka. La gravité me paraissait assez semblable à la nôtre, sur terre, même si nous étions un peu plus légers. Il serait plus simple de bondir en souplesse si le besoin s’en faisait ressentir, ou de descendre le volcan sans heurt, mais ce serait à peu près tout. De notre position surélevée, je distinguais les vagues formes de ce qui me faisait penser à… Des dinosaures. « On se croirait en plein Jurassic Park. » … Ce qui n’était pas vraiment rassurant, au fond. « Ne me dites pas qu’on doit ramener un de ces dinosaures sur le Starship ? » Je me retournais vers le directeur de l’approvisionnement, profondément dubitative. Qu’en pensait-il exactement ?

Quand je levai enfin les yeux vers le ciel, j’oubliai un temps tous nos problèmes actuels. Il était d’un violet saisissant, d’une grande beauté. « Regarde, Cieran. » Je me disais que le pilote serait sans doute celui le plus à même d’apprécier les merveilles que nous offrait un ciel, d’une couleur unique en son genre. « Quel gaz pourrait lui donner cette couleur ? » Je revins après un temps les pieds sur terre – ou plutôt sur Te Ka – en baissant le regard sur les vergers tout proche. « Nous devrions commencer par là. » Pas de danger immédiat, et surtout, ces vergers m’inspiraient bien plus que les dinosaures en contrebas. Ils étaient encore occupés à préparer le matériel quand j’aperçus un premier fruit à ma hauteur, dans l’un des arbres. C’était bien un fruit, n’est-ce pas ? Ca en avait vaguement l’aspect. Je le récupérai sur la branche pour le détailler plus longuement. On aurait dit une grappe de raisin, sauf que c’était un fruit orange strié de rouge. Quel goût devait-il avoir ? Plutôt de l’orange sanguine, ou du raisin ? Je savais que mon cerveau se contentait de superposer plusieurs idées sur quelque chose de méconnu. Je ne le saurais qu’une fois que j’aurais pu le goûter. En attendant, éclater un des grains me révéla à quel point c’était juteux à l’intérieur. « Je parie que celui-là a un goût de kaki. » Je rêvais de pouvoir manger un bon kaki depuis des centaines d’années.

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La récolte avançait bien. Mes compagnons de route avaient trouvé, eux aussi, des spécimens assez intéressants de fruits à se mettre sous la dent. Bien sûr, nous ne savions pas s’ils étaient tous comestibles, mais leur apparence laissait croire que si. « Belles brochettes de fruits exotiques. » On dirait des fruits qui auraient pu pousser au Brésil, au Japon ou… Je poussai un soupir, un peu nostalgique. C’était normal de comparer à ce que nous connaissions de notre planète, mais elle n’existait plus. Pire, notre dernier refuge était en perdition. Je me concentrai de nouveau sur notre tâche, car je la savais cruciale pour le salut de tous.

Je me figeai à entendre l’alarme de proximité se déclencher subitement. Je me retournai pour aviser le troupeau qui s’était considérablement rapproché. C’était une aubaine que le bétail vienne à nous, ce qui nous économiserait des forces pour le transport… Par contre, je n’aimais pas vraiment que les grands dinosaures les suivent de près. Lesquels d’entre eux voulaient s’en mettre un sous la dent au passage ? Parce qu’ils risquaient aussi de nous prendre pour leur casse-croute. « Pourquoi sont-ils agités comme ça ? Je m’attends à une mauvaise surprise à tout instant… » Le pessimisme, c’était plutôt nouveau chez moi. Bien heureusement, il étant en vigueur partout sur le Starship Voyager ces derniers temps, donc je ne faisais pas tâche dans le décor. J’hochai la tête quand Cieran confirma que le Pegasus serait prêt à décoller rapidement. « On vous dira quand il sera temps de partir, même si ça sera au pas de course. » Il valait mieux qu’ils soient prévenus, non ? Si on devait courir, il faudrait bien que les deux spécialistes tiennent le rythme.

Pour le moment, il était temps de délaisser notre récolte pour s’occuper du bétail. C’était une occasion à ne pas rater. « Ne bougez pas, Alec… » Je pris mon fusil en main pour ajuster un tir sur l’un de ces moutons étranges qui semblaient l’avoir pris en affection, quand un petit être grimpa subitement sur ma jambe. « Eh ! » Je le dégageai d’un coup de pied, alors que le tir partait dans le décor. Un juron m’échappa, mais c’était toujours mieux de perdre une partie des tranquillisants plutôt que de constater qu’il avait ruiné ma combinaison. Le petit animal avait roulé plus loin, dans un couinement outré. Je me rendis compte avec un temps de retard que ces petits copains au poil rouge-orangé avaient sauté sur le chariot pour nous piquer quelques fruits. Je devais délaisser pour de bon le bétail afin de défendre notre précieux butin. « Dégagez de là, les parasites ! » Ils ressemblaient à un croisement entre un fennec et un écureuil. Sur le papier, ça avait l’air mignon, mais c’était surtout vicieux comme bestiole. Ils savaient se tenir debout et étaient particulièrement agiles comme petit mammifère. « Vous me faites suer les moomba, allez vous-en ! » Ca m’étonnerait que quiconque saisisse la référence.

Je relevai la tête après les avoir chassés, pour voir un autre genre de petit mammifère qui avait l’air mignon et vicieux… En d’autres mots, Cieran. Il me faisait encore les yeux doux pour obtenir quelque chose celui-là, sauf que ce n’était pas n’importe quoi. « On parle bien de ramener un dinosaure sur le vaisseau ? Tu sais Cieran, c’est le même principe qu’un poussin… Ca a l’air mignon au début, puis ça grandit. » Je lançai un regard au Directeur de l’Approvisionnement qui était le premier concerné. Il avait quelques réticences aussi, mais il ne savait pas encore à quel point le pilote pouvait être persévérant quand il voulait quelque chose… « Vois avec notre spécialiste jusqu’à quelle taille il accepte de le garder à bord. » Inutile de lui préciser que si ce machin finissait par faire plus de deux mètres de haut, on le mangerait, hein ?

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Je regrettais déjà d’avoir accepté. Je levai les yeux au ciel quand Cieran me promit que son nouvel ami dinosaure serait aussi sage que lui. « Vu tes dernières fresques en date, j’espère que tu ri… » Je m’interrompis aussitôt, comme figée sur place. « Vous avez entendu ce grondement ? » Les craintes d’Alec étaient fondées. Et si un grand prédateur nous fonçait dessus à l’improviste ? Il aurait bien envie de se joindre au festin, non ? Après tout, nous venions de récupérer du bétail et plusieurs spécimens intéressants dans la soute de la navette… Et ceux qui n’avaient pas été endormis par nos flèches tranquillisantes fuirent aussitôt, comme si un plus grand danger encore les guettait.

Mais la menace était de toute autre nature. J’écarquillai les yeux, sous le choc. C’était la terre elle-même qui grondait sous nos pieds. Je me repris bien vite pour leur hurler : « A la navette ! VITE ! » Je poussai le chariot de fruits devant moi, maintenant débarrassé des petits écureuils qui en menaçaient le contenu. Tout me criait de l’abandonner là pour prendre mes jambes à mon cou, mais nous avions désespérément besoin de toutes ces provisions pour survivre une fois à l’intérieur… Et rien ne me disait que cet Éden existerait encore dans quelques minutes !

Je perdis l’équilibre alors que nous étions presque arrivés à la soute, percutée de plein fouet par une des bêtes qui tentaient de s’échapper de cet enfer. Le chariot finit sa course vers la soute sans moi, m’étalant de tout mon long au sol. Un cri m’échappa alors que mon pied se retrouvait piégé dans une crevasse qui n’était pas là auparavant. La température montait à une vitesse prodigieuse. J’observai, impuissante, le sang de la terre creuser un sillon incandescent autour de nous. Alec s’effondra non loin devant en poussant des hurlements terribles, bientôt rejoint et aidé par Theodore. « CIERAN ! » Où était-il ? Je ne voyais déjà plus rien dans cette pluie de cendres. Je tirai un coup sec sur ma cheville pour la dégager. Le craquement sinistre m’indiqua qu’elle s’était tordue dans la manœuvre. Je boitai méchamment en tentant de rejoindre la navette après avoir refermé la soute. On devait la démarrer au plus vite, sinon… On était tous foutus.

Je me cramponnai à la coque de l’appareil pour me hisser tant bien que mal à l’intérieur. Les quelques mots de Theodore me parvinrent difficilement. Je m’appuyai précisément à l’une des caches de la navette qui renfermait un peu de matériel. Je pressai mes doigts dessus avant de lui envoyer le scotch. Je n’avais pas le temps de lui demander ce qu’il s’était passé, pas plus que d’attendre Cieran. Il fallait qu’on décolle. Je ne fis que quelques pas en direction des commandes du vaisseau avant qu’une secousse plus puissante que les autres ne nous projettent tous contre la paroi de la navette. Celle-ci s’inclinait dangereusement, à cause des fissures toujours plus nombreuses dans le sol. Par le hublot contre lequel je venais de me percuter, j’aperçus les dommages déjà irrémédiables causés à notre unique chance de salut.

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